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Les
erreurs de Napoléon à Waterloo
qu'il
est magistralement parvenu à cacher
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Le 17 juin
1815 vers six heures de l'après-midi, Napoléon, entouré
de son état-major, arrive au lieu-dit « la Belle-Alliance »,
au terme d'une poursuite engagée le matin depuis les Quatre-Bras.
Le temps est épouvantable, la visibilité très
réduite. Il a devant lui un vallon, et il semble que l'armée
de Wellington ait pris position sur le versant opposé et qu'elle
soit décidée à arrêter là sa retraite.
Il existe un grand nombre de témoignages émanant de
l'entourage de l'Empereur, et ils vont nous permettre de nous faire
une idée de la façon dont celui-ci analyse la situation
à ce moment. |
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Le
général Gourgaud, alors colonel et premier officier
d'ordonnance de l'Empereur, a tenu un journal dans lequel on lit :
« Au sortir du village du Caillou, nous distinguâmes
toute l'armée anglaise occupant la belle position de Mont
Saint-Jean, en avant de la forêt de Soignes. Plusieurs batteries
que l'ennemi nous démasqua, et l'approche de la nuit, arrêtent
notre avant-garde ; elle était, d'ailleurs, très fatiguée. »
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Le mameluk
Ali, de son vrai nom Louis-Etienne Saint-Denis, qui figurait dans
l’état-major de l’Empereur en costume oriental, écrit :
« L’horizon,
qui était gris, ne permettait pas à l’œil nu de voir
distinctement ; (...) nous étions sur la fin du jour. » |
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Dans
le bulletin dicté le 20 juin, Napoléon dit :
« A
dix heures du soir, l'armée anglaise occupant Mont-Saint-Jean
par son centre, se trouva en position en avant de la forêt de
Soignes ; il aurait fallu pouvoir disposer de trois heures pour l'attaquer,
on fut donc obligé de remettre au lendemain. » |
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Un des
aides de camp de l'Empereur, le général Drouot, raconte
ainsi l'arrivée dans son discours du 23 juin 1815 :
« Le
premier corps qui était en tête, attaqua et culbuta plusieurs
fois l'arrière-garde ennemie, et la suivit jusqu'à la
nuit, qu'elle prit position sur le plateau en arrière du village
de Mont-Saint-Jean, sa droite s'étendant vers le village de
Braine, et sa gauche se prolongeant indéfiniment dans la direction
de Wavre. Il faisait un temps affreux. Tout le monde était
persuadé que l'ennemi prenait position pour donner à
ses convois et à ses parcs le temps de traverser la forêt
de Soignes, et que lui-même exécuterait le même
mouvement à la pointe du jour. »
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Deux
remarques s'imposent ici :
1°) L'Empereur et son aide de camp situent de façon erronée
l'armée adverse qui est disposée en avant
du village de Mont-Saint-Jean.
2°) L'avis unanime du côté français est que
Wellington va continuer sa retraite dès le lendemain, ce que
confirme l'officier d'ordonnance Gourgaud : |
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« Les
avis sont très variés. Des personnes peu versées
dans l'art de la guerre vont en reconnaissance. La flatterie leur
fait croire l'ennemi en retraite, etc. Ils se bercent de ces idées
là, de l'entrée triomphante à Bruxelles, etc.,
(...) » |
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Dans
ces conditions, la nécessité de procéder à
un examen méthodique du terrain ne se fait pas sentir.
Cette erreur sera lourde de conséquences le lendemain. |
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Napoléon
revient sur ses pas pour loger dans une grosse ferme qu'il a remarquée
en chemin, la ferme du Caillou. |
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Ferme
du Caillou |
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Le mameluk
Ali raconte :
« ...
il fit tirer ses bottes qu’on eut de la peine à lui arracher,
ayant été mouillées toute la journée,
et, déshabillé, il se mit au lit où il dîna.
La nuit, il dormit peu, étant dérangé à
tout moment par les allants et venants : l’un venait lui rendre compte
d’une mission, l’autre recevoir les ordres, etc. » |
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Souvenirs
du mameluck Ali, Paris 1926, page 110. |
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Le chirurgien
Bourgeois rend compte de l’état d’esprit qui règne à
ce moment au quartier général de l’Empereur :
« On était généralement persuadé
que l'armée anglaise consacrerait la nuit à continuer
son mouvement de retraite, et personne ne mettait en doute qu'on ne
dût le lendemain arriver à Bruxelles : ainsi l'on se
plaisait à considérer la campagne comme terminée,
puisque déjà l'on se croyait maître de cette ville. » |
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René
Bourgeois
*
Relation fidèle et détaillée de la dernière
campagne de Buonaparte, par un témoin oculaire, Paris 1815,
page 45
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Cette
opinion règne également dans la troupe, comme l’indique
ce passage de la lettre écrite le 1er août par le lieutenant
Martin, du 45e de ligne (1e corps, Drouet d’Erlon) :
« …nous fûmes contraints de nous arrêter
à une demi lieue de Mont-Saint-Jean, autrement dit la ferme
de la Belle-Alliance, (...) nous savions en gros que Wellington
avait encore la plus grande partie de son armée aux environs
de Bruxelles, mais nous ne comptions pas sur une affaire générale
avant quelques jours, que nous lui croyions nécessaires pour
la rassembler entièrement.. » |
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Lettre
du lieutenant Jacques Martin, de Genève, écrite à
sa mère le 1er août 1815, publiée dans le Carnet
de la Sabretache, 1895. |
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Quoiqu'il
ait raconté plus tard, Napoléon n'est pas sorti de la
ferme du Caillou pendant la nuit pour reconnaître le terrain.
Autant que la fatigue et la pluie, c'est la conviction dans laquelle
il est que les Anglais ne tiendront pas la position qui fait que Napoléon
ne juge pas nécessaire de partir en reconnaissance. Il est
persuadé que les Anglais, comme la veille aux Quatre-Bras,
vont reprendre leur marche de retraite dès l’aube, tout comme
il croit que les Prussiens se retirent vers le Rhin, et qu’il a réussi
sa manœuvre de séparation des deux armées.
Erreur d’appréciation funeste, qui sera la cause première
de la catastrophe du lendemain. |
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Il faut
ici relever un travers de l'esprit de Napoléon qui a été
avoué même par ses plus grands admirateurs, comme Frédéric
Masson et Henry Houssaye : Napoléon a perdu le sens des
réalités, il prend ses espérances pour des faits :
la fortune l'a si souvent favorisé, et ses plus grands revers
n'ont pas pu le corriger de ce travers. |
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Le témoignage
du valet de chambre de l’Empereur, Marchand, précise celui
d’Ali :
« A trois heures, il fit appeler son premier officier
d'ordonnance, le colonel Gourgaud, lui dit d'aller reconnaître
l'état du terrain, et si l'artillerie pourrait manœuvrer ;
on voyait qu'il était impatient de pouvoir attaquer. (…)
Le colonel Drouot (*) rapporta que les chemins étaient
tellement dénaturés et les terres mouillées qu'il
ne pensait pas qu'on pût faire manœuvrer l'artillerie qu'elles
ne fussent un peu séchées. L'Empereur après ce
rapport continua de rester dans son lit, mais se leva de bonne heure,
et vit avec plaisir le temps s'éclaircir (…). » |
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(*)
Il est probable que Marchand a voulu désigner Gourgaud |
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Au petit
matin, toujours persuadé que les Anglais vont continuer leur
retraite, Napoléon envoie le général Dejean porter
l'ordre au général d'Erlon de se mettre en mouvement
et de suivre l'ennemi. Mais le maréchal Ney, le général
Reille et le général d'Erlon font savoir à l'Empereur
qu'au contraire, l'ennemi se dispose à recevoir la bataille.
Incrédule, Napoléon va aux avant-postes, et il vérifie
le fait par lui-même. |
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Gourgaud,
son premier officier d’ordonnance, a noté dans son journal :
« Le 18 au matin, des rapports semblables [la
retraite supposée des Anglais] arrivent. Divers commandants
de corps écrivent, cependant, que l'armée anglaise paraît
s'être réunie avec l'intention de livrer bataille. S.M.
donne ordre au comte d'Erlon de pousser en avant. A peine cet ordre
est-il parti que Ney, d'Erlon, Reille l'envoient dire à Sa
Majesté que toute l'armée anglaise est en position,
et offre la bataille. Sa Majesté monte alors à cheval,
et se rend à notre position. Elle parcourt la ligne, et reconnaît
celle des ennemis. » |
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Relation
d’un officier général français, bataille de
Waterloo, Nouvelle Revue rétrospective, 1896, n° 24,
page 370. |
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Fleury
de Chaboulon, secrétaire de l'Empereur, écrit :
« Napoléon
fut surpris lorsque le jour lui découvrit que l'armée
anglaise n'avait point quitté ses positions et paraissait
disposée à accepter la bataille. Il fit reconnaître
ces positions par plusieurs généraux, et pour me servir
des expressions de l'un d'eux, il sut qu'elles étaient défendues
par une armée de canons, et par des montagnes d'infanterie. »
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Fleury
de Chaboulon
Mémoires
pour servir à l'histoire de la vie privée, du retour,
et du règne de Napoléon en 1815, 1820, tome II,
p. 172.
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Le commandant
de l’artillerie du 1er corps, le général Dessales confirme
l’erreur d’appréciation de Napoléon à ce moment :
« L'Empereur avait fait une reconnaissance dès
le matin. Il ne croyait pas encore que les Anglais voulussent lui
livrer bataille ; il fit faire plusieurs mouvements sur la droite
pour s'en assurer. » |
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Général Dessales
Souvenirs du général Dessales, dans
Revue de Paris, 15 janvier 1895. |
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Napoléon
dit à d'Erlon :
« Ordonnez
aux troupes de faire la soupe, de mettre les armes en état,
et nous verrons vers midi. » |
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Le chirurgien
Bourgeois, de l’état-major, confirme :
« Le jour ayant paru, l'armée prit les armes
et fut très surprise de voir que les Anglais avaient non seulement
conservé toutes leurs positions de la veille, mais qu'ils paraissaient
encore très disposés à les défendre. Buonaparte,
qui avait paru craindre qu'ils ne lui échappassent pendant
la nuit, fut très satisfait de les retrouver à son réveil. » |
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Relation
fidèle (...) par un témoin oculaire, Paris 1815, page
46 |
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Deux
généraux français, Lamarque et Berthezène,
qui n’étaient pas à Waterloo (le premier était
en Vendée, le second avec le maréchal Grouchy), firent
en 1816 un voyage sur les lieux et ils se livrèrent à
une enquête sur les événements auprès des
généraux qui étaient auprès de l’Empereur,
notamment le maréchal Soult. Ils confirment tous deux que Napoléon
se trompait encore au petit matin : |
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« Le
mauvais temps avait duré toute la nuit. A la pointe du jour
on aperçut encore les Anglais dans leur position. L'Empereur,
à qui on en fit le rapport, dit que c'était une arrière-garde
qui couvrait la retraite et ordonna au général Drouet
de la faire suivre par une division. Un de ses aides de camp fit en
même temps une reconnaissance sur toute la ligne et découvrit
que ce n'était pas seulement une arrière-garde, mais
toute l'armée disposée à combattre en avant de
la trouée de la forêt de Soignes. L'Empereur voulut s'en
assurer par lui-même, on perdit un temps précieux et
il était plus de dix heures quand les troupes se mirent en
mouvement. » |
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Essai
historique sur les Cent Jours, dans Mémoires et souvenirs
du général Lamarque, publiés par sa famille,
Paris 1835, page 111 |
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Quant
au général Berthezène, il écrit :
« Pendant la nuit, Napoléon reçut l'avis
que l'armée anglaise faisait sa retraite ; il le crut d'autant
plus facilement qu'il ne pouvait se persuader que Wellington voulut
livrer bataille dans une telle position, et sans aucun doute celui-ci
ne l'eut pas fait, s'il n'avait compté sur la coopération
du général prussien. A cette nouvelle, l'Empereur avait
ordonné au comte d'Erlon de se mettre en mouvement et de suivre
vivement l'ennemi [en note : « le général
Dejean fut porteur de l’ordre. »] ; mais comme
rien dans le camp anglais ne confirmait cet avis, on dut se préparer
à combattre. Dès qu'il fit jour, l'Empereur reconnut
lui-même la position et donna les ordres pour l'attaque. »
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Berthezène,
Souvenirs militaires de la République et de l’Empire, Paris,
1855, vol.II. |
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La concordance
des témoignages de l'entourage de Napoléon ne laisse
que peu de doutes sur le fait que l'Empereurl s'est complètement
mépris sur la stratégie de ses adversaires.
Pour cacher son erreur d'appréciation stratégique, et
en même temps son ignorance en ce qui concerne l'existence de
la position fortifiée de Hougoumont, il a inventé, dans
son troisième récit, une sortie nocturne tout à
fait invraisemblable, à pied, une longue promenade qui lui
aurait pris des heures dans les conditions décrites. |
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On aura
noté que ce sont le maréchal Ney et les généraux
d'Erlon et Reille qui ont tiré Napoléon de son erreur.
Il présentera cependant les choses de façon diamétralement
opposée lorsqu'il racontera la conférence d'état-major
qu'il a tenue le matin à la ferme du Caillou :
Dans l’ouvrage publié en 1818 d’après les dictées
de Napoléon à Sainte-Hélène, le général
Gourgaud écrit : |
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« A
la pointe du jour, l'Empereur, en déjeunant, dit : "Sur
cent chances, nous en avons quatre-vingt pour nous." En ce moment
arrivait le maréchal Ney, qui venait de visiter la ligne, et
qui dit : "Sans doute, Sire, si Wellington était assez
simple pour rester là ; mais je viens vous annoncer que la
retraite est prononcée, et que si vous ne vous hâtez
de les attaquer, ils vont nous échapper." L'Empereur n'attacha
pas une grande importance à ce rapport : il lui paraissait
évident que puisque le duc de Wellington n'avait pas battu
en retraite avant le jour, c’est qu'il était décidé
à courir les hasards d'une bataille. » |
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Par
cette simple anecdote dictée à Gourgaud, Napoléon
va renverser les rôles, asseoir sa supériorité
de jugement, et charger le maréchal Ney d'une réputation
d'hurluberlu, d'homme sans tête ni caractère, que l'on
retrouvera dans tous les récits de la bataille de Waterloo
écrits par les historiens de toutes nationalités.
Quand on pense au courage, au sang-froid et à la détermination
dont a fait preuve au cours de la retraite de Russie le maréchal
Ney, qui parvint à sauver les débris de la Grande
Armée, on ne peut être que consterné de voir
la façon dont Napoléon salit sa réputation
au moyen d'une anecdote fabriquée de toutes pièces.
De ce fait, tous les récits prennent l'orientation dictée
et voulue par Napoléon.
Et
ceci n'est pas un point de détail. |
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Napoléon
a maintenant réalisé que Wellington offre la bataille,
mais il n'a pas compris pourquoi. Il est toujours persuadé
que les Prussiens sont hors jeu, comme il le dit encore à
son frère Jérôme, lorsque celui-ci a évoqué,
au cours de la conférence du Caillou, l'éventualité
d'une intervention prussienne :
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« La
jonction des Prussiens avec les Anglais est impossible avant deux
jours, après une bataille comme celle de Fleurus, suivis comme
ils le sont par un corps de troupes considérable. » |
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Son secrétaire,
Fleury de Chaboulon confirme :
« il
ne vint dans l'esprit de personne que les Prussiens, dont quelques
partis assez nombreux avaient été aperçus du
côté de Moustier, pussent être en mesure de faire
sur notre droite une diversion sérieuse. » |
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On le
voit, la bataille de Waterloo s'engage sous de mauvais auspices :
Napoléon, dans son assurance de ne faire qu'une bouchée
de Wellington, n'a pas reconnu le terrain de façon suffisante,
ce que confirmera le maréchal Soult dans une conversation qu'il
aura en 1839 avec l'historien britannique Napier :
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« il
livra la bataille de Waterloo sans avoir examiné la position
de l'ennemi par lui-même. Il se fia au rapport du général
Haxo. Dans ses beaux jours, il l'aurait examinée et réexaminée
en personne. »
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Napier |
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L'erreur
de localisation, relevée dans le Bulletin et le discours
de Drouot, se retrouve aussi dans l'ordre que Napoléon dicte
à onze heures, et qui prescrit de bombarder le village de
Mont-Saint-Jean, puis de s'en emparer. La configuration particulièrement
trompeuse du terrain, à laquelle vient s'ajouter une erreur
sur la carte de Ferraris et l'absence de reconnaissance expliquent
ces erreurs. Ajoutons que l'ignorance de l'existence d'un ensemble
fortifié derrière le bois de Hougoumont vont entraîner
la paralysie du 2e corps d'armée. |
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Mais
le pire, ce qui va causer la catastrophe finale, c'est l'ignorance
totale de l'approche de l'armée prussienne et son intervention
inopinée dans la bataille. Ce que Napoléon s'efforcera
de masquer dans tous ses récits. Dans le bulletin, il écrira
que c'est dès avant neuf heures qu'il était au courant
de la menace prussienne par une lettre trouvée sur une ordonnance
prussienne capturée. Dans les récits de Sainte-Hélène,
c'est après l'attaque contre Hougoumont et avant l'attaque
du 1er corps que Napoléon aurait aperçu des troupes
« sur les hauteurs de Saint-Lambert », et
ce n'est qu'après cette découverte qu'un hussard prussien,
porteur d'une lettre, aurait été capturé.
Les différences entre ces différentes versions provenant
du même auteur auraient dû suffire pour jeter de la
suspicion sur les affirmations de Napoléon. Mais il n'en
a rien été. |
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Les témoignages
écrits des deux sous-chefs d'état-major du 6e corps
(Janin et Combes-Brassard), celui du général Durutte,
commandant la 4e division du 1er corps, et de nombreux autres témoignages
écrits par les protagonistes tant français que prussiens
montrent que la surprise fut totale, lors du déclenchement
de l'attaque du 4e corps de Bülow, qui avait pu cheminer jusqu'au
champ de bataille, inaperçu grâce au relief d'une part,
et à la négligence des Français de l'autre. |
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Mais
les affirmations contradictoires de Napoléon ont eu bien plus
de poids dans l'écriture de l'histoire de la bataille que tous
les témoignages des acteurs. Et ce d'autant plus que les témoignages
des acteurs qui ont écrit après la parution des récits
de Sainte-Hélène ont été contaminés
par ceux-ci. |
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Napoléon
ne pouvait pas être soupçonné.
Après avoir dirigé de main de maître, pendant
près de vingt ans, la première entreprise de propagande
moderne, Napoléon savait que ses affirmations seraient acceptées
sans examen critique, et que son prestige couvrirait les incohérences
de ses récits.
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Ne disait-il
pas au général Montholon le 23 juillet 1817 :
« Les historiens rendent trop souvent l'histoire inintelligible
par leur ignorance ou leur paresse. Quand ils ne comprennent pas ou
ne savent pas, ils font de l'esprit au lieu de faire des recherches
qui leur apprendraient la vérité. »
Et aussi : « La vérité de l’histoire
ne sera probablement pas ce qui a eu lieu, mais seulement ce qui sera
raconté. » ?
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Le philosophe
et historien français Bertrand de Jouvenel constatait avec
raison :
« Celui qui a commandé quatorze ans à
l'Europe commande encore à la postérité. L'historien
qui l'approche froidement, comme les soldats qui prétendaient
l'arrêter au pont de Grenoble, se rallie à son service,
obéit à la consigne posthume, écrit en dramaturge. »
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Bertrand
de Jouvenel,
Napoléon et l’Économie dirigée, le Blocus continental,
1942, Avant-propos. |
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Le pouvoir de Napoléon reposait sur sa réputation d'infaillibilité
et sur celle de la sûreté de son jugement. Il était
donc vital pour lui, tant qu'il conservait l'espoir de revenir au
pouvoir ou de le léguer à son fils, d'entretenir ce
mythe, fût-ce au prix des plus grands mensonges, fût-ce
au prix de la réputation de ses maréchaux.
Telle est la force morale de Napoléon, que face à ses
affirmations, même les plus osées, les yeux se baissent,
l'intelligence abdique, pour maintenir intact le prestige d'un nom
qui a profondément influencé pendant deux siècles
la pensée militaire du monde occidental. |
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Bernard Coppens
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