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(...)
"Dans
la matinée du 17, l'Empereur s'est rendu aux Quatre-Bras, d'où il
a marché pour attaquer l'armée anglaise ; il l'a poussée jusqu'à l'entrée
de la forêt de Soignes avec l'aile gauche et la réserve. L'aile droite
s'est portée par Sombres
à la suite du feld-maréchal Blücher, qui se dirigeait sur Savres,
où il paraissait vouloir se placer.
A dix heures du soir, l'armée anglaise occupa Mont-Saint-Jean
par son centre, se trouva en position en avant de la forêt de Soignes
; il aurait fallu pouvoir disposer de trois heures pour l'attaquer,
on fut donc obligé de remettre au lendemain.
Le quartier-général de l'Empereur fut établi à la ferme de Caillou,
près Planchenoit. La pluie tombait par torrents. Ainsi, dans la journée
du 16, la gauche, la droite et la réserve, ont été également engagées
à une distance d'à peu près deux lieues.
Bataille
de Mont-de-Saint-Jean.
A
neuf heures du matin, la pluie ayant un peu diminué, le 1er corps
se mit en mouvement, et se plaça, la gauche sur la route de Bruxelles,
et vis-à-vis le village de Mont-Saint-Jean, qui paraissait le centre
de la position de l'ennemi. Le second corps appuya sa droite à la
route de Bruxelles, et sa gauche à un petit bois à portée de canon
de l'armée anglaise. Les cuirassiers se portèrent en réserve derrière,
et la garde en réserve sur les hauteurs. Le 6e corps, avec la cavalerie
du général d'Aumont, sous les ordres du comte Lobau, fut destinée
à se porter en arrière de notre droite, pour s'opposer à un corps
prussien qui paraissait avoir échappé au maréchal Grouchy, et être
dans l'intention de tomber sur notre flanc droit, intention qui
nous avait été connue par nos rapports, et par une lettre du général
prussien, que portait une ordonnance prise par nos coureurs.
Les troupes étaient pleines d'ardeur. On estimait les forces
de l'armée anglaise à 80 mille hommes ; on supposait que le corps
prussien, qui pouvait être en mesure vers le soir, pouvait être
de 15 mille hommes. Les forces ennemies étaient donc de plus de
90 mille hommes. Les nôtres étaient moins nombreuses.
A midi, tous les préparatifs étant terminés, le prince Jérôme, commandant
une division du 2e corps, et destiné à en former l'extrême gauche,
se porta sur le bois dont l'ennemi occupait une partie. La canonnade
s'engagea ; l'ennemi soutint par 30 pièces de canon les troupes
qu'il avait envoyées pour garder le bois. Nous fîmes aussi de notre
côté des dispositions d'artillerie. A une heure, le prince Jérôme
fut maître de tout le bois, et toute l'armée anglaise se replia
derrière un rideau. Le comte d'Erlon attaqua alors le village de
Mont-Saint-Jean, et fit appuyer son attaque par 80 pièces de canon.
Il s'engagea là une épouvantable canonnade, qui dut beaucoup faire
souffrir l'armée anglaise. Tous les coups portaient sur le plateau.
Une brigade de la 1re division du comte d'Erlon s'empara du village
de Mont-Saint-Jean ; une seconde brigade fut chargée par un corps
de cavalerie anglaise, qui lui fit éprouver beaucoup de pertes.
Au même moment, une division de cavalerie anglaise chargea la batterie
du comte d'Erlon par sa droite, et désorganisa plusieurs pièces
; mais les cuirassiers du général Milhaud, chargèrent cette division,
dont trois régiments furent rompus et écharpés.
Il était trois heures après midi. L'Empereur fit avancer la garde
pour la placer dans la plaine sur le terrain qu'avait occupé le
premier corps au commencement de l'action : ce corps se trouvant
déjà en avant. La division prussienne, dont on avait prévu le mouvement
commença alors à s'engager avec les tirailleurs du comte Lobau,
en prolongeant son feu sur tout notre flanc droit. Il était convenable,
avant de rien entreprendre ailleurs, d'attendre l'issue qu'aurait
cette attaque. A cet effet, tous les moyens de la réserve étaient
prêts à se porter au secours du comte Lobau et à écraser le corps
prussien, lorsqu'il se serait avancé.
Cela fait, l'Empereur avait le projet de mener une attaque
par le village de Mont-Saint-Jean, dont on espérait un succès décisif
; mais par un mouvement d'impatience si fréquent dans nos annales
militaires, et qui nous a été souvent si funeste, la cavalerie de
réserve s'étant aperçue d'un mouvement rétrograde que faisaient
les Anglais pour se mettre à l'abri de nos batteries, dont ils avaient
déjà tant souffert, couronna les hauteurs du mont Saint-Jean et
chargea l'infanterie. Ce mouvement, fait à temps et soutenu par
les réserves, devait décider de la journée, fait isolément et avant
que les affaires de la droite ne fussent terminées, devint funeste.
N'y ayant aucun moyen de contremander, l'ennemi montrant
beaucoup de masses d'infanterie et de cavalerie, et les deux divisions
de cuirassiers étant engagées, toute notre cavalerie courut au même
moment pour soutenir ses camarades. Là, pendant trois heures, se
firent de nombreuses charges qui nous valurent l'enfoncement de
plusieurs carrés et six drapeaux de l'infanterie anglaise, avantage
hors de proportion avec les pertes qu'éprouvait notre cavalerie
par la mitraille et les fusillades. Il était impossible de disposer
de nos réserves d'infanterie jusqu'à ce qu'on eût repoussé l'attaque
de flanc du corps prussien. Cette attaque se prolongeait toujours
et perpendiculairement sur notre flanc droit. L'Empereur y envoya
le général Duhesmes avec la jeune garde et plusieurs batteries de
réserve. L'ennemi fut contenu, fut repoussé et recula ; il avait
épuisé ses forces et l'on n'en avait plus rien à craindre. C'est
ce moment, qui était celui indiqué pour une attaque sur le centre
de l'ennemi. Comme les cuirassiers souffraient par la mitraille,
on envoya quatre bataillons de la moyenne garde pour protéger les
cuirassiers, soutenir la position et si cela était possible, dégager
et faire reculer dans la plaine une partie de notre cavalerie.
On envoya deux autres bataillons pour se tenir en potence sur l'extrême
gauche de la division, qui avait manœuvré sur nos flancs, afin de
n'avoir de ce coté aucune inquiétude, le reste fut disposé en réserve,
partie pour occuper la potence en arrière de Mont-Saint-Jean, partie
sur le plateau en arrière du champ de bataille qui formait notre
position de retraite.
Dans cet état de chose la bataille était gagnée, nous occupions
toutes les positions que l'ennemi occupait au commencement de l'action,
notre cavalerie ayant été trop tôt et mal employée, nous ne pouvions
plus espérer de succès décisifs. Mais le maréchal Grouchy ayant
appris le mouvement du corps prussien, marchait sur le derrière
de ce corps, ce qui nous assurait un succès éclatant pour la journée
du lendemain. Après huit heures de feux et de charge d'infanterie
et de cavalerie toute l'armée voyait avec satisfaction la bataille
gagnée et le champ de bataille en notre pouvoir.
Sur les huit heures et demie, les quatre bataillons de la moyenne
garde qui avaient été envoyés sur le plateau au-delà de Mont-St-Jean
pour soutenir les cuirassiers, étant gênés par sa mitraille, marchèrent
à la baïonnette pour enlever ses batteries. Le jour finissait, une
charge faite sur leur flanc par plusieurs escadrons anglais les
mirent en désordre, les fuyards repassèrent le ravin, les régiments
voisins qui virent quelques troupes appartenant à la garde à la
débandade, crurent que c'était de la vieille garde et s'ébranlèrent
: les cris tout est perdu, la garde est repoussée, se firent entendre,
les soldats prétendent même que sur plusieurs points des malveillants
apostés ont crié sauve qui
peut. Quoiqu'il en soit, une terreur panique se répandit tout
à-la fois sur tout le champ de bataille, on se précipita dans le
plus grand désordre sur la ligne de communication, les soldats,
les canonniers, les caissons se pressaient pour y arriver ; la vieille
Garde qui était en réserve en fut assaillie, et fut elle-même entraînée.
Dans un instant, l'armée ne fut plus qu'une masse confuse,
toutes les armes étaient mêlées, et il était impossible de reformer
un corps. L'ennemi qui s'aperçut de cette étonnante confusion, fit
déboucher des colonnes de cavalerie ; le désordre augmenta, la confusion
de la nuit empêcha de rallier les troupes et de leur montrer leur
erreur.
Ainsi une bataille terminée, une journée finie, de fausses
mesures réparées, de plus grands succès assurés pour le lendemain,
tout fut perdu par un moment de terreur panique. Les escadrons même
de service, rangés à côté de l'Empereur, furent culbutés et désorganisés
par ces flots tumultueux, et il n'y eut plus d'autre chose à faire
que de suivre le torrent. Les parcs de réserve, les bagages qui
n'avaient point repassé la Sambre, et tout ce qui était sur le champ
de bataille sont restés au pouvoir de l'ennemi. Il n'y a eu même
aucun moyen d'attendre les troupes de notre droite ; on sait ce
que c'est que la plus brave armée du monde, lorsqu'elle est mêlée
et que son organisation n'existe plus.
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