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Dessales

 
  Le général Dessales (Victor-Albert) est né à Versailles en (1776). Il s'engage en 1792 (à l'âge de seize ans) dans un bataillon de volontaires de Seine-et-Oise, et y est élu premier sergent de la compagnie des canonniers. Il combat à Jemappes et à Fleurus. Il est nommé capitaine en novembre 1793, prend part au siège de Mayence, et combat en Italie sous Scherer et Championnet. Devenu chef de bataillon, il remplit en 1805 et 1806 des missions diplomatiques auprès des princes de la Confédération du Rhin. Il combat en Espagne en 1809. Rappelé à la Grande Armée, il est directeur des équipages de pont et se fait remarquer pour la construction d'un pont de 60 toises (120 mètres) tout d'une seule pièce sur un bras du Danube à Enzersdorf, qui permet le passage de l'armée française et la victoire de Wagram.
Il devient ensuite Directeur général des ponts militaires et dirige l'arsenal de Metz. En 1813, il commande l'artillerie du 7e corps, puis participe à la défense de Magdebourg. Il est alors nommé général, mais son grade ne sera pas confirmé par Louis XVIII, à qui il s'était pourtant rallié avec enthousiasme. Aussi est-ce avec des sentiments mêlés qu'il voit revenir Napoléon de l'Ile d'Elbe : "Je ne dissimulerai pas, écrit-il, que si mon amour-propre n'eût pas été froissé, j'aurais été franchement pour les Bourbons contre lui qui, en abdiquant, nous avait déliés de tous nos serments. "
Napoléon lui rend son grade de général de brigade et le nomme chef de l'artillerie du 1er corps. C'est dans cette fonction qu'il fait la campagne de Belgique, et qu'il commande la grande batterie, dite de 80 canons, qui fut établie pour soutenir l'attaque du 1er corps.
Ayant fait sa carrière militaire sous la Révolution et l'Empire sous le nom de Dessales, l'orthographe de son nom a été rectifiée en de Salle en vertu d'un jugement rendu en 1819 par le tribunal de Versailles.
Des extraits des Souvenirs du général Dessales, ou de Salle, ont été publiés dans le numéro du 15 janvier 1895 de la Revue de Paris.
 
     

 

 
 

Il plut abondamment toute la nuit. J'avais cédé mon logement au comte d'Erlon, je la passai donc au bivouac. J'étais trempé le matin, et sans une voiture que je trouvai au parc, il m'eût été impossible de changer, ce qui m'eût été fort pénible.

Le fatal 18 juin arriva. Le terrain était détrempé quoi qu'il fît assez beau. L'Empereur avait fait une reconnaissance dès le matin. Il ne croyait pas encore que les Anglais voulussent lui livrer bataille ; il fit faire plusieurs mouvements sur la droite pour s'en assurer. Je dus aller reconnaître un chemin qui entrait dans la forêt, pour m'assurer s'il était praticable à l'artillerie. Les deux armées étaient en observation. On fit manger nos soldats.

Vers dix heures, l'Empereur fit serrer le 1er corps sur le second, qui occupait la gauche du chemin de Bruxelles. Nous occupâmes la droite de ce chemin, encaissé sur ce point. Deux divisions du 5e corps et la garde formaient la réserve.

J'étais auprès du comte d'Erlon quand M. de Labédoyère, général aide de camp de l'Empereur, vint me dire de sa part qu'il me donnait le commandement d'une batterie de quatre-vingts bouches à feu, qui se composait de toutes mes batteries de six, de ma réserve de douze, et des réserves des 2e et 5e corps, ce qui ne formait réellement que cinquante-quatre bouches à feu dont vingt-quatre de douze. J'avais d'abord l'ordre de mettre en batterie toutes ces pièces dans la position que nous occupions, à mi-côte, sur une seule ligne, et de commencer le feu de toutes à la fois pour étonner et ébranler le moral de l'ennemi. J'allais me conformer à cet ordre quand le général Ruty, commandant en chef l'artillerie, vint à moi et me dit de faire la reconnaissance d'une position plus avancée afin de l'occuper plus tard. Vieux soldat, sachant par théorie et par pratique que tout mouvement sur le champ de bataille est une crise, et que surtout un mouvement d'une grande quantité d'artillerie est dangereux, je le fixai longtemps, interrogeant son regard pour être bien certain qu'il parlait sérieusement. Quand j'en eus acquis la certitude, je fis ma reconnaissance rapidement, puis au retour j'engageai le feu qui fit tout à coup trembler le sol.

(...)

L'ennemi, dont l'artillerie était comme retranchée, faisait un feu très vif sur nous, qui ne lui cédions ni en promptitude ni en justesse. Je prêtais une attention extrême à la position de l'ennemi, j'examinais attentivement les masses. Le chef d'escadron Waudré, qui commandait mon artillerie à cheval, vint me prévenir qu'à l'extrême gauche de l'ennemi des masses considérables de cavalerie se formaient, me demandant s'il ne devait pas en rendre compte à l'Empereur.

Je lui répondis : - Retournez à votre poste, car l'Empereur n'est pas homme à laisser quelque chose à prévoir ; il est armé d'une excellente lunette et aperçoit sans doute cette cavalerie.

Dans ce moment le feu de l'ennemi devint plus vif, une nuée d'obus, de boulets et même de fusées à la congrève fondait sur nous ; un obus éclata tout près de moi et blessa presque tout ce qui m'entourait. Je reçus un éclat dans le collet de la redingote que je portais sur mon habit, et qui m'engourdit seulement le bras pour un temps assez long. Je méditais le mouvement que j'avais à opérer et que je me proposais d'exécuter partiellement par batterie, faisant feu en avançant. Je venais d'aborder le maréchal prince de la Moskowa dont j'avais la confiance entière, pour l'avertir de ce que j'allais faire et prendre ses instructions, quand j'aperçus le lieutenant-colonel * * * mettre en mouvement les réserves et se porter, sans aucune précaution, sur la seconde position. Il y arrive pourtant et peut s'y mettre en batterie. Au même instant le maréchal me crie : "Vous êtes chargé !" En effet, la cavalerie ennemie, profitant de l'interruption du feu, chargeait la 1re division du 1er corps qui formait un seul carré dans un pli de terrain au-dessous de nous.

Au moment où avait repris le feu de mes réserves, je ne voulus pas laisser un immense intervalle entre elles et mes canons de 6. J'envoyai mon aide de camp dire aux officiers qui les commandaient de se joindre à la gauche de la batterie. Il était trop tard ! L'infanterie, chargée en arrière par une cavalerie formidable, est rompue. Elle arrive pêle-mêle avec l'ennemi sur la réserve d'artillerie dont le feu est paralysé par la crainte de tuer les nôtres. Je n'ai que le temps d'ordonner un changement de front, l'aile droite en arrière sur la pièce de gauche.

(...)

Le maréchal Ney me dit : - Avez-vous déjà vu une pareille bataille ? Quel acharnement ! Cependant il m'invitait à souper chez lui à Bruxelles, le soir même. Ah Destin !

Enfin le feu ennemi se ralentit, tout paraissait pencher en notre faveur ; l'Empereur nous faisait dire que Grouchy débouchait sur notre droite quand nous entendîmes le canon de ce côté.

L'Empereur s'était trompé, ou nous trompait. Nous ne tardâmes pas à apprendre que c'étaient les Prussiens qui venaient de passer entre notre droite et la gauche de Grouchy pour nous déborder.

Le 5e corps n'eut que le temps de se former en potence et de résister aux troupes ennemies qui menaçaient nos communications. Cependant le feu continuait sur la ligne de bataille et assez loin, quoique allant de plus en plus en diminuant ; on sentait que déjà beaucoup d'artillerie et de troupes avaient cessé de prendre part au combat. J'ai su depuis que l'artillerie, à une batterie belge près, manquait de munitions. J'estime donc que si l'Empereur n'eût pas tenté d'ébranler le dernier carré qui couronnait le mamelon et paraissait destiné à protéger la retraite des Anglais, la bataille était gagnée malgré l'arrivée des Prussiens qui le lendemain se fussent trouvés pris entre nous et le corps de Grouchy. On prétend que Napoléon pressé par des jeunes gens qui l'entouraient, prit ce parti désespéré. Ce qu'il y a de certain c'est qu'il décida du sort de l'armée française.

Je continuais mon feu. Je vois encore une partie de la Garde s'ébranler en colonnes, descendre dans le vallon, remonter à l'attaque du fameux carré anglais. Il n'y avait ni hésitation ni flottement, la charge se faisait admirablement. Mais elle fut reçue avec calme. Le canon d'une batterie belge se joignit au terrible feu de file des Anglais. La garde fut étonnée de tant de résistance. Elle hésita, commença à flotter de droite et de gauche ; elle résista encore quelques minutes, après lesquelles elle fut ébranlée et forcée à la retraite. Enfin elle tourbillonna en désordre et entraîna dans sa fuite, qui s'accéléra de plus en plus, tout ce qui tenait encore derrière elle jusqu'à la hauteur d'où étaient partis nos premiers feux.

(...)

 
 

 

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