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Remarques
du colonel Janin
Le
colonel Janin appartenait en 1815 à l'état-major du 6e corps d'armée,
celui de Mouton, comte de Lobau.
Lorsque parut l'ouvrage du général Gourgaud, Janin releva les nombreuses
libertés que l'auteur y avait prises avec la vérité, et il crut,
pour l'honneur de l'armée française et de ceux de ses chefs qui
y étaient injustement accusés, devoir réagir. Il rédigea donc, et
publia, une brochure intitulée :
Campagne
de Waterloo
ou Remarques critiques
et historiques sur l'ouvrage du général Gourgaud,
par E.F. Janin, colonel de l'ancien état-major en non-activité.
L'ouvrage est paru
à Paris en 1820, chez Chaumerot jeune, libraire, Palais Royal,
Galerie de Bois, n° 188.
L'avant-propos
de l'ouvrage explique bien dans quel état d'esprit cette brochure
a été rédigée : |
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Le général Gourgaud a écrit une histoire de la campagne de 1815,
dont l'autorité crut devoir arrêter la publication : devenu très
rare par cette circonstance, cet ouvrage semble en avoir acquis
un nouveau prix. Longtemps, j'ai vainement désiré de le connaître
; loin du monde, dans ma retraite absolue, j'en avais perdu l'espoir,
lorsqu'enfin on m'a procuré la satisfaction d'en prendre lecture.
Il ne m'a pas été difficile d'y reconnaître l'empreinte d'une influence
très marquée : l'auteur a la bonne foi de ne pas la dissimuler :
son but est évident ; il tend surtout à repousser les reproches
que l'inflexible histoire prépare à la plus grande victime de cet
épouvantable désastre. Je respecte son motif ; je rends justice
à la sagacité et à l'exactitude avec laquelle il a rapporté et discuté
un grand nombre de faits ; mais je ne puis croire qu'il ait développé
sa pensée tout entière.
Apologiste, pouvait-il être historien ? Témoin oculaire, acteur
moi-même, et acteur malheureux dans ce terrible drame, qu'il me
soit permis de présenter quelques observations propres à éclairer
le jugement de la postérité, non sur les points de politique, dont
j'abandonne volontiers la discussion, mais sur les doctrines et
des faits relatifs à l'art militaire, par cela même applicables
à tous les temps, et sur les assertions qui intéressent l'honneur
de l'armée.
Je n'ai point sous les yeux l'ouvrage du général Gourgaud, que je
n'ai pu que lire, et sur lequel j'ai seulement pris quelques notes
; c'est donc moins sur le texte que d'après l'impression qu'il m'a
faite que je vais exposer mes remarques.
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Avant de donner de plus larges extraits de l'ouvrage, je citerai
ici un passage qui montre quel pouvait être l'état d'esprit d'une
partie, sans doute moins négligeable qu'on ne le dit aujourd'hui,
des officiers de l'armée française face au retour de Napoléon :
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Il est bien vrai, et j'en conviendrai sans peine, que tous les officiers
marquants de l'armée, à très peu d'exceptions près, avaient vu avec
un sentiment douloureux que, poussé par un esprit de vertige, et peut-être
aussi entraîné par des insinuations étrangères, et dupe lui-même d'un
infâme machiavélisme, Napoléon débarquât sur les côtes de France :
si j'en crois des personnes dont le témoignage m'a paru authentique,
le colonel Gourgaud lui-même partagea ce sentiment (...). Une infinité
d'autres traits que je pourrais citer prouveraient que ce sentiment
fut presque unanime ; mais on ne peut sans la plus grande injustice
et une extrême mauvaise foi en inférer que ces mêmes officiers oublièrent
ce que l'honneur prescrit à tout militaire sous quelque drapeau qu'il
combatte. Ce ne fut point, et je l'affirme sans crainte d'être démenti,
la cause de Napoléon que tous ils prétendirent défendre, mais le territoire
de la patrie, menacé par sa funeste entreprise d'une nouvelle et plus
pénible invasion ; mais l'existence même de la patrie qui, déchirée
dans l'intérieur par l'exaspération des partis, voyait au dehors l'Europe
entière prête à fondre sur elle : il n'est pas un de nous qui ne se
retraçât les scènes affreuses du démembrement de la Pologne, dont
naguère nous parcourions encore le théâtre si longtemps ensanglanté
; pas un de nous qui à l'exemple de ces nobles frères d'armes ne formât
le vœu de verser la dernière goutte de son sang plutôt que de supporter
un pareil outrage. Tels j'ai vu tous les officiers de l'armée que
je connais, et tous chacun dans sa sphère firent tous es efforts pour
élever jusqu'à leur hauteur l'âme des soldats qu'ils commandaient. |
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Le témoignage de Janin nous éclaire sur l'attaque du
bois de Hougoumont.On voit que son opinion était qu'il fallait
d'abord attaquer Hougoumont (le bois), mais que ce n'est pas le plan
projeté, au dire de son général (Mouton, comte
de Lobau).
Et pourtant, l'attaque sur Hougoumont se fait... mais en dépit
du plan de bataille.
Ceci semble confirmer
que c'est l'ignorance de la force réelle de la position de
Hougoumont, du côté de l'état-major français,
qui a provoqué l'hémoragie sur le côté
gauche du dispositif, empêchant la grande attaque du centre
(Ier corps soutenu par le 2e) d'être menée à bien.
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Le matin, j'avais été envoyé aux avant-postes
pour reconnaître la position de l'ennemi : la ligne anglaise
décrivait une courbe dont la concavité nous était
opposée, mais de manière que, projetant sa droite
en avant, sa gauche nous était refusée. Le bois de
Hougoumont, en avant de sa droite, me parut et était en effet
fortement occupé. Je pensai et je dis que ce poste devait
être préalablement enlevé. Le général,
à qui je fis mon rapport, me dit que l'attaque aurait lieu
sur le centre.
Tant pis, lui répondis-je. Voici quelles étaient mes
raisons : les Anglais, nous ayant attirés sur un champ de
bataille de leur choix en donnant à leur ligne cette direction,
paraissaient nous tendre un piège : le centre était
à la vérité leur point faible, puisque leur
ligne d'opérations se trouvait perpendiculairement en arrière
; mais il se trouvait renforcé : 1° par la disposition
concave de leur ligne, disposition que le général
anglais paraît affectionner, et dont il s'est plusieurs fois
[servi] avec avantage ; 2° par la concentration d'une plus grande
masse de moyens de défense. La lutte engagée sur ce
point pouvait à la vérité nous conduire à
un résultat plus décisif, mais elle devait être
aussi beaucoup plus vive, beaucoup plus meurtrière, et peut-être
exigeait-elle l'emploi de toutes nos forces, tandis que celles de
l'ennemi, que renfermait ou que masquait le bois de Hougoumont,
inquiéteraient toujours notre flanc gauche et nos derrières,
et exigeraient au moins un corps d'observation qui dans l'attaque
du centre pouvait nous être bien nécessaire. Si j'avais
eu connaissance de la position de l'armée prussienne, ce
raisonnement se fortifiait encore, puisque nous ne pouvions aborder
le centre anglais sans prolonger notre flanc droit le long de la
ligne prussienne qui, se portant en avant, nous prenait nécessairement
à revers sans que rien ne s'y opposât ; mais cette
circonstance ne m'était pas connue. Je n'imaginais pas non
plus que le bois de Hougoumont dût être attaqué
en même temps que le centre ; il me semblait que ces deux
attaques simultanées surpassaient nos moyens. L'événement
ne tarda pas à justifier mes conjectures : on échoua
sur l'un et sur l'autre.
Le second corps, chargé de la première, lança
d'abord dans le bois quelques pelotons de tirailleurs qui bientôt
furent détruits et remplacés par d'autres avec aussi
peu de succès, et dans peu de temps nous y vîmes fondre
une excellente division sans aucun résultat.
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Le témoignage
de Janin est précieux parce qu'il nous explique les mouvements
du 6e corps. On voit que, contrairement à ce que Napoléon
a affirmé à Sainte-Hélène, il n'a pas
été envoyé pour s'opposer au corps de Bülow
que Napoléon aurait aperçu dès 11 heures "sur
les hauteurs de Saint-Lambert". Au contraire, il était
destiné à soutenir l'attaque de la droite et c'est
en se déployant sur la droite qu'il fut attaqué par
la droite du IVe corps prussien de Bülow. Ce témoignage
est confirmé par celui de l'autre sous-chef d'état-major
du 6e corps, le colonel Combes-Brassard.
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Combes-Brassard
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Le 6e corps se porte en avant pour soutenir l'attaque du centre :
à peine est-il arrivé sur la crête du ravin qui
sépare les deux armées que son chef d'état-major,
le général Durieux, qui l'avait devancé, revient
blessé et annonce que des tirailleurs ennemis s'étendent
sur notre flanc droit : le comte de Lobau s'avance avec le général
Jacquinot et moi pour les reconnaître, et bientôt nous
voyons déboucher deux colonnes d'environ dix mille hommes chacune
: c'était le corps prussien de Bulow. La destination du 6e
corps se trouva changée par cet incident : il ne s'agissait
plus de continuer l'attaque contre les Anglais, mais bien de repousser
celle des Prussiens : en un mot par la force des choses nous étions
réduits à la défensive la plus défavorable
et dont le résultat n'était plus douteux.
Le 6e corps prit position en potence derrière la droite du
premier, et malgré la grande disproportion du nombre (il n'avait
pas alors plus de 6.000 hommes), malgré l'infériorité
encore plus grande de son artillerie, il arrêta la marche de
front du corps prussien qui pourtant, continuant de se prolonger sur
notre flanc droit, nécessita l'intervention de la garde qui
s'y porta à peu près sur la même ligne que nous.
L'armée fut alors presqu'entièrement engagée,
et, dans sa configuration générale, présentait
les trois faces d'un quadrilatère irrégulier dont le
quatrième côté était la ligne de la Dyle
coupée perpendiculairement par la le défilé de
Gennapes. Des personnes dignes de foi m'ont rapporté depuis
que ce défilé était obstrué par les voitures,
les bagages et tous les embarras qui encombrent le plus souvent les
derrières de nos armées, qui rendent les mouvements
rétrogrades si difficiles, et qui enfin, comme à Baylen,
à la Bérézina, produisent quelquefois des résultats
si funestes.
Quiconque a les premières notions de la guerre sentira que,
dans une position semblable, notre défaite était certaine.
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