Napoléon
disposait, en 1815, de la carte marchande de Ferraris, levée
à partir de 1771 et publiée en 1774, et de la carte
de Capitaine et Chanlaire, copie de la carte de Ferraris réalisée
en 1795 après l'annexion de la Belgique par la France.
Voici,
ci-dessous, un détail de la carte marchande de Ferraris,
la carte dont se servait Napoléon (ainsi que ceux de ses
officiers qui avaient la chance d'en posséder un exemplaire).
Et voici un
gros plan sur le secteur comprenant le hameau de Mont-Saint-Jean,
la ferme de Mont-Saint-Jean et la ferme de la Haie-Sainte :
Le
hameau de Mont-Saint-Jean se trouve à l'intersection des
chaussées venant de Nivelles (à gauche), et celle
de Charleroi (à droite).
On remarque que la chaussée venant de Charleroi forme un
coude à la hauteur de la ferme de Mont-Saint-Jean, et que
la ferme se trouve donc à gauche de celle-ci, à l'ouest,
alors qu'en réalité, en 1815, elle se trouvait à
droite, comme en témoigne le plan de Craan, levé en
1815 et publié en 1816 :
Ce plan est
originellement orienté sud-nord, et je l'ai renversé
pour faciliter la comparaison avec la carte de Ferraris. La ferme
de Mont-Saint-Jean est le bâtiment en quadrilatère
à droite de la chaussée.
Bien.
Sur la carte dont disposait Napoléon, la ferme de Mont-Saint-Jean
se trouvait à gauche de la chaussée, alors qu'en réalité
elle se trouvait à droite.
Il y a donc une erreur sur la carte.
Mais quelle importance ce fait peut-il avoir, puisque Napoléon
ne pouvait pas voir cette ferme, qui lui était cachée
par la crête du terrain ?
J'ai été
frappé, lorsque j'ai commencé à étudier
de plus près l'histoire de la bataille de Waterloo, par le
fait que Napoléon, dans le récit qu'il fit de la bataille
dans le bulletin dicté le 20 juin 1815 (deux jours seulement
après la bataille), en décrivait les différentes
phases d'une façon qui paraissait fantaisiste ( Bulletin
de Napoléon).
Mon étonnement
s'est accru encore lorsque j'ai lu attentivement le discours prononcé
par le général Drouot, aide de camp de Napoléon,
à la Chambre des Pairs le 23 juin 1815 (Discours
de Drouot). J'y ai relevé les mêmes erreurs que
dans le bulletin dicté par Napoléon.
En poursuivant
mes recherches, et en lisant systématiquement tous les récits
connus - écrits après la bataille - je me suis rendu
à l'évidence que tous les officiers français
commettaient des erreurs de localisation, les mêmes erreurs.
Mais alors ?
C'est dans
un passage du discours du général Drouot que je devais
trouver un début de réponse :
Il [l'Empereur]
porte en avant toute sa garde ; ordonne à quatre bataillons
de passer près le village de Mont-Saint-Jean,
de se porter sur la position ennemie, et d'enlever à la baïonnette
tout ce qui résisterait. La cavalerie de la garde et tout
ce qui restait de cavalerie sous la main, seconda ce mouvement.
Les quatre bataillons, en arrivant sur le plateau, sont accueillis
par le feu le plus terrible de mousqueterie et de mitraille.
Or, on connaît
avec suffisamment de certitude l'itinéraire suivi par les
bataillons de la moyenne Garde pour pouvoir dire que, lorsque Drouot
dit "le village de Mont-Saint-Jean", il parle
en fait de la ferme de la Haie-Sainte.
Serait-il possible
que Napoléon ait commis la même erreur ?
Il suffit
de lire attentivement le bulletin, en prenant comme clé de
lecture "Mont-Saint-Jean = la Haie-Sainte"
pour voir que le récit, jusque là considéré
comme incompréhensible, prend tout son sens.
voir :
Bulletin de
l'Armée
Bulletin de
l'Armée analysé
Discours
de Drouot
Discours
de Drouot analysé
Cette erreur
de lecture de carte n'avait pas échappé aux observateurs
anglais (ou du moins à certains d'entre eux), comme le montrent
les deux extraits suivants :
"An Historical
Account of the Battle of Waterloo, intended to elucidate the topographical
plan, executed by W. B. Craan, Translated with explanatory notes,
by Captain Arthur Gore, 1817."
Il s'agit de la traduction anglaise de la notice du plan de Craan.
W.B. Craan était Ingénieur vérificateur du
cadastre du Brabant méridional (Examining engineer of the
Government Surveys of South Brabant). Son plan, levé en 1815
et publié début 1816, constitue une des meilleures
sources pour l'histoire de la bataille. Son traducteur était
capitaine au 30th rg of Foot. Il avait pris part à la bataille,
au cours de laquelle il fut blessé.
L'autre extrait
provient de l'ouvrage publié par Booth, "The Battle
of Waterloo (...) with circumstantial details, by a near Observer,
tenth edition, 1817 :
"Il
est évident qu'ici, comme dans les autres relations
françaises, Mont-Saint-Jean est mis pour la Haie-Sainte."
Cette note se trouve en commentaire de la traduction du discours
du général Drouot.
(à
suivre.)
|