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Barras

     
 

     
 

Barras (Paul, vicomte de) 1755-1829. Toutes les biographies de Barras donnent des détails différents de sa carrière. On en retiendra qu'il entra jeune dans l'armée (dans le régiment de Languedoc ?), qu'il a servi aux Indes, donné sa démission, et assisté à la prise de la Bastille. Elu à la Convention par le département du Var, il siège avec les Montagnards et vote la mort du roi. Envoyé en mission dans le Midi avec Fréron, il participe au siège de Toulon, où il fait connaissance de Bonaparte.
Devenu suspect à Robespierre, Barras rassemble autour de lui tous ceux qui se sentent menacés par l'Incorruptible (notamment Fouché, Tallien, Fréron) et contribue de façon décisive à la chute de la Montagne (journée du 9 thermidor).  Nommé général en chef de l'armée de l'intérieur, il écrase le 13 vendémiaire an III (5 octobre 1795) l'insurrection royaliste, avec l'appui de Bonaparte.
Elu directeur  en vertu de la constitution de l'an III, il mène une vie fastueuse. C'est grâce à lui que Bonaparte reçoit le commandement de l'armée d'Italie. Grâce à son habileté politique (il est un des instigateurs du coup d'état du 18 fructidor an V), il parvient à se maintenir au Directoire jusqu' au coup d'état du 18 brumaire, auquel il ne tente pourtant pas de s'opposer

 

 
 
  Il donne sa démission et se retire dans son château de Grosbois, mais le Premier Consul le contraint à se retirer à Bruxelles. En 1805, il retourne en Provence, mais suspect de conspiration, il est assigné à résidence à Rome. Il rentre en France à la chute de l'Empire et, bien que régicide, est excepté de la proscription qui frappe tous ceux qui avaient voté la mort de Louis XVI.
Barras a assisté à la prise de la Bastille, il été à l'origine de la chute de Robespierre, il a connu Bonaparte à Toulon, il l'a pris à son service en vendémiaire et l'a fait nommer général en chef de l'armée de l'Intérieur, puis de celle d'Italie, il lui a fait connaître Joséphine de Beauharnais et a dirigé la France pendant 4 ans. C'est donc un personnage important dans l'histoire. Napoléon en a fait "le roi des Pourris". Peut-être pour faire oublier tout ce qu'il lui devait.

 Les Mémoires de Barras ont été publiés en 1895-1896 par Georges Duruy. Jean Tulard écrit dans sa biographie : "De toute manière les mémoires de Barras ne sauraient constituer une source solide pour la période en raison de la haine de l'ancien directeur pour son protégé." Je préfère ce qu'écrit Alfred Fierro  dans "Mémoires de la Révolution" : "En tout état de cause, la partialité de Barras est évidente et ses mémoires doivent être utilisés avec beaucoup de précautions."
Le Dictionnaire Robert 2 écrit : "Ses mémoires donnent une description intéressante de la vie politique, sociale et des mœurs sous le Directoire."

     

 

Biographie universelle, ancienne et moderne, par une société de gens de lettres et de savants (Biographie Michaud). Supplément, tome 57, Paris, 1838 :

   
 

BARRAS ( Paul-François-Jean-Nicolas, comte de), l'un des cinq premiers directeurs de la république française, naquit le 20 juin 1755 (1766 en 1834 ?), à Fos-Emphoux, village de la Provence. Il était l’aîné de trois frères de la branche cadette d'une ancienne famille originaire de Digne , et si ancienne qu'on disait proverbialement : «Noble comme les Barras, aussi anciens que les rochers de la Provence. » Ce fut chez son oncle, chef d'escadre, qu'alla descendre, dans son voyage en Provence, Monsieur, depuis Louis XVIII. Le jeune Barras fut élevé avec peu de soin dans son pays natal. Né avec des passions vives et un goût effréné pour les plaisirs, il commença de bonne heure sa carrière militaire, en qualité de sous-lieutenant dans le régiment de Languedoc ; mais ses fredaines l'en firent sortir en 1775. On l'envoya alors à l'Ile-de-France, dont un de ses parents était gouverneur, et il y entra dans le régiment de Pondichéry. Se rendant à la côte de Coromandel, il faillit périr. Le vaisseau qui le portait, assailli par la tempête, donna contre des écueils qui bordent les Maldives. Tout l'équipage s'abandonnait au désespoir, lorsque , tirant les matelots de leur stupeur, Barras leur fit construire un radeau, monta dessus avec eux, et réussit à gagner une île habitée par des sauvages. Un mois après, il fut secouru et transporté avec ses compagnons à Pondichéry. Son aventure eut un certain éclat, et lui valut quelque renommée. Un peu plus tard, il concourut, sous les ordres du général Belle-Combe, à la défense de Pondichéry, investi par les Anglais. Après la reddition de la ville, il assista , sur l'escadre de Suffren, au combat de la Progua. Ayant ensuite pris parti dans l'Inde pour son parent le gouverneur, contre le maréchal de Castries, ministre de la marine, il en éprouva du désagrément et donna sa démission (1).

De retour en France avec le grade de capitaine, il vint a Paris , et s'y livra à son goût pour le jeu et les femmes, ce qui dérangea sa fortune, d'ailleurs médiocre. On le confondit souvent avec son frère le chevalier, dont la passion pour le jeu était encore plus violente, et qui a fini par en être la victime. Avant son départ pour l’Inde, Barras s’était marié avec mademoiselle Templier, fille d’un riche marchand de Cotignac.
Mais, préférant le séjour de Paris, il continua d'y habiter tandis que sa femme restait en Provence. Ainsi il se trouvait dans cette ville au mois de juillet 1789, et il fut présent à la prise de la Bastille. Il est faux que dès lors il ait manifesté des opinions révolutionnaires : bien qu'on ne le rangeât point, de même que son frère, parmi les adversaires de la révolution, qu'on désignait sous le nom d'aristocrates, il penchait ouvertement pour le parti de la cour. Appelé comme témoin devant le Châtelet, dans la procédure sur les attentats des 5 et 6 octobre, il déposa : « qu'ayant entendu trois individus dire des choses affreuses contre le roi et la reine, il avait voulu leur représenter l'innocence du roi ; mais qu'ayant été mal reçu, il s'était éloigné en frémissant d'horreur. » Les événements qui suivirent amenèrent de grands changements dans ses opinions, et il paraît évident que voyant la révolution devenir la route du pouvoir et de la fortune, ce fut par calcul qu'il s'en fit partisan (2). C’était d'ailleurs un de ces hommes qui, par leur immoralité et le désordre de leurs affaires , appartiennent nécessairement a toute espèce de révolution. S'étant rendu en Provence , vers le commencement de 1790, il y obtint par de violentes déclamations, quelque ascendant sur la multitude (3). On le nomma administrateur du département du Var, puis juré à la haute-cour d'Orléans, et enfin, au mois de septembre 1792, député à la convention nationale, où il siégea dès le commencement sur la crête de la Montagne , et où il vota la mort de Louis XVI, sans appel et sans sursis (4). Envoyé en septembre 1793 dans le Midi avec Fréron, il se porta vers Toulon, au moment où cette ville s'était livrée aux Anglais pour se soustraire au joug de la convention. Il courut alors les plus grands dangers : après avoir échappé en combattant, à des gens apostés qui attaquèrent sa voiture a Pignans, il s'embarqua à Saint-Tropez, arriva de nuit à Nice, et arrêta, au milieu de son armée, le général Brunet , qu'il accusa d'avoir été, avec le contre- amiral Trogoff, l'auteur secret de la reddition de Toulon. Il mit ensuite en état de siège Marseille, où il se montra néanmoins un peu moins cruel que son collègue Fréron. S'étant porté immédiatement sur Toulon , il suivit lui-même toutes les opérations du siège de cette place. Son premier soin fut d'éloigner de l'armée assiégeante le général en chef Carteaux, dans la seule vue de s'attribuer les honneurs du succès. Mais ce succès se fit longtemps attendre : l'armée de la république échoua dans plusieurs attaques ; elle était dans l'état le plus déplorable ; et les représentants commissaires, désespérant de réussir, avaient écrit à la convention qu'il fallait se retirer derrière la Durance, lorsque le général Dugommier, secondé par l'activité et l'intelligence d'un jeune officier d'artillerie, Bonaparte, réussit à s'emparer des forts des Anglais, et les força de rentrer dans la place. Fréron et Barras désavouèrent alors la dépêche alarmante qu'ils avaient adressée à la convention ; et peu de jours après, ils entrèrent dans Toulon. C'était Barras qui avait distingué le jeune capitaine d'artillerie, et qui lui avait fait confier la direction des principales attaques (5) , malgré l'opinion de son collègue Salicetti , compatriote de Bonaparte , qui en faisait peu de cas. « Il est faux comme un jeton », dit-il à Barras. — « Cela est possible, répondit celui-ci, mais il est habile ; j'ai été frappé de l'intelligence qu'il a montrée pour élever la première batterie. » Ce fut par l'effet des batteries, que les Anglais se virent contraints d'évacuer la place. Les commissaires représentants y exercèrent alors d'horribles massacres ( Voy. Fréron , XVI,)
(6). Selon l'usage de ce temps-là, ils rendirent en même temps compte de leurs opérations à la convention nationale et a la société des Jacobins, et par une cruelle dérision, ils annoncèrent « que les seuls honnêtes gens qu'ils eussent trouvés dans la ville , étaient les galériens. » On conçoit que cette société, où ils siégeaient parmi les membres les plus exaltés, ne leur épargna pas les éloges. Seul avec Fréron, Barras y fut nominativement excepté des plaintes portées par 400 sociétés populaires de ces contrées, contre tous les représentants qui y avaient été en mission. Cependant il eut le malheur de déplaire à Robespierre par l'excès même de son effervescence, et le redoutable dictateur avait résolu de l'envelopper dans la grande proscription méditée contre ceux de ses collègues qu'il appelait les brigands de la Montagne. Retranché dans son appartement au Palais-Royal, où il avait formé sous sa main une espèce d'arsenal, Barras était résolu de repousser la force par la force, et de périr en vendant chèrement sa vie, plutôt que de se laisser traîner à l'échafaud. Dès qu'il sut qu'une conspiration se formait contre Robespierre, il se joignit aux membres des comités, qui, menacés comme lui de l’échafaud, tentèrent un effort pour renverser leur oppresseur. C'est ainsi qu'il devint un des principaux auteurs de la révolution du 9 thermidor an 2 (27 juillet 1794). Nommé par ses collègues commandant de la garde nationale de Paris, et secondé par sept autres représentants, il dispersa les troupes d'Henriot et s'empara de Robespierre ; puis après avoir rendu compte à la convention des mesures prises et du dévouement général qui s'était manifesté pour l'exécution de ses décrets, s'étant démis du commandement, il acquit par là de la popularité et beaucoup d'influence. Le 23 septembre , il dénonça Moïse Bayle et Granet comme fauteurs des derniers troubles du Midi, et comme ayant été les ennemis de Marat : c'était encore alors un crime que Barras lui-même ne devait pas tarder à partager. Inculpé a son tour par Granet et par Escudier comme dilapidateur, il fut justifié par un décret. En novembre, nommé membre du comité de sûreté générale, il se déclara tout à fait contre les Montagnards, et se jeta dans le parti de la réaction, désigné sous le nom de Thermidorien, parce qu'il avait renversé Robespierre le 9 thermidor.

     
  Pour ne pas perdre sa popularité, il se prononça, en janvier 1795, contre les émigrés du Haut et du Bas-Rhin. Peu de jours après, il provoqua la célébration de l'anniversaire du supplice de Louis XVI, et, voulant intéresser le peuple à cette commémoration, il fit décréter la remise aux indigents des effets engagés au Mont-de-Piété. Peu de temps après, il fut élu président. Lorsque le 1er avril la convention fut assiégée par le peuple des faubourgs, qui venait lui demander du pain et la constitution de 1793, Barras montra encore beaucoup d'énergie ; il fit déclarer Paris en état de siège, et donner le commandement des troupes à Pichegru, auquel on l'adjoignit pendant le péril. Le 20 mai suivant, il fut chargé de la direction de la force armée, et il acheva la défaite du parti terroriste. On lui confia ensuite différentes missions pour l'approvisionnement de Paris , et il dirigea la force armée qui protégea les arrivages. A Saint-Omer il étouffa les troubles occasionnés par le pillage d'un convoi de grains, et fit traduire les séditieux au tribunal criminel. A sa rentrée dans la convention il fut nommé de nouveau l'un des membres du comité de sûreté générale. C'était l'époque où la réélection forcée des deux tiers des conventionnels excitait des troubles, et où le parti royaliste commençait a se montrer. Barras en prit occasion de présenter a l'assemblée des réflexions sur la situation de la république : il jura qu'elle triompherait des royalistes et des anarchistes, et quelques jours après, il proposa des mesures contre les séditieux, et surtout contre les journalistes. Les sections de Paris se déclarèrent contre la convention ; et, la crise étant imminente, Barras parla avec force contre les factieux, et demanda la permanence. Les colonnes sectionnaires ayant marché le 13 vendémiaire ( 5 oct. 1795) contre la convention, Barras, qui avait signalé ce mouvement comme dirigé par le parti royaliste, fut encore chargé du commandement général de la force armée. Ce fut dans cette circonstance qu'il employa sous ses ordres Bonaparte, qui depuis longtemps sollicitait en vain, auprès du comité de salut public, sa réintégration dans le grade de général de brigade (Voy. Napoleon). Barras l'employa de la manière la plus utile, et ce fut réellement Bonaparte qui fit toutes les dispositions de défense. La convention triompha (7), et l'on vit Barras attribuer franchement au jeune général tous les honneurs de la victoire. Il loua hautement, en présence de l'assemblée, les dispositions qu'il avait faites ; sa nomination au grade de général de division fut votée par acclamation, et aussitôt après on lui donna le commandement de Paris. Son protecteur Barras fut un des cinq directeurs créés par la constitution de l'an 3, et il alla avec ses collègues s'établir dans le palais du Luxembourg. Ce fut ainsi que commença, après la plus sanglante révolution, le retour graduel des Français au gouvernement monarchique. On a blâmé avec raison, sous beaucoup de rapports, le système qui fut adopté par ce nouveau gouvernement. Cependant il est juste de dire que d'abord il comprit, mieux que la convention, les moyens de terminer à la fois les guerres du dehors et les dissensions de l'intérieur. Quant a Barras , il s'occupa toujours beaucoup moins des affaires que de ses plaisirs : il eut des chevaux, une meute, des équipages, table ouverte, enfin une cour, de beaux aides de camp et de jolies maîtresses : mesdames de Château-Regnault, Tallien et Beauharnais étaient en quelque sorte ses sultanes favorites. Toutefois, par la violence de son caractère, il conserva un grand ascendant sur ses collègues ; et, si ce ne fut par l'éloquence, ce fut par son énergie et son audace qu'il domina souvent les délibérations. Pour ne pas montrer de suite une cupidité criante , il ne prenait rien, mais il se laissait donner 50, 100.000 francs par les fournisseurs et les hommes à grandes affaires qu'il favorisait. Ce fut alors que Mme Tallien lui présenta le fameux Ouvrard qui, pour première affaire, obtint une fourniture de la marine. Quant à Ramel, son ancien collègue à là convention, il le fit nommer ministre des finances, et reçut, pour prix de ce service, quelques poignées d'assignats ou de mandats sans valeur ; mais il se fit adjuger plusieurs propriétés nationales, entre autres un hôtel dans la rue des Francs-Bourgeois, un autre dans la rue de Babylone, puis le château de Ruel. Il fit aussi dans le même temps l'acquisition de la terre de Grosbois qui devint à la fois son quartier général et son rendez-vous de chasse ; fournisseurs, solliciteurs, chiens, chevaux, aventuriers de toute espèce, telle fut partout la suite de Barras. Pendant tout le ministère de Ramel il roula sur l'or et l'argent. Du reste, on sait qu'en France, et surtout depuis la révolution, de pareils travers n'ont jamais fait beaucoup de tort au pouvoir ; ils n'ôtèrent donc rien au crédit de Barras, et il est même sûr qu'il fut alors le plus populaire des cinq directeurs ; ce qui est plus remarquable, c'est qu'il était dans ce gouvernement le protecteur connu des anciens nobles. Sa cour offrait un singulier mélange des plus grands noms de l'ancienne France et des hommes les plus fameux de !a révolution. Qu'on ne perde pas de vue que lui et ses quatre collègues étaient investis d'un pouvoir absolu sur l'armée, et qu'ils étaient portés naturellement à marcher sur les traces du comité de salut public. Quoi qu'on en ait dit, il n'est pas douteux que Bonaparte n'ait mis tous ses soins à obtenir la faveur de Barras, et que dans cette vue il n'ait pas hésité à lui épargner l'ennui d'une passion usée, en recevant de sa main, pour femme, la veuve du général Beauharnais, si célèbre depuis sous le nom de l'impératrice Joséphine. S'étant ainsi assuré de la protection de Barras, Bonaparte lui présenta comme infaillible la conquête de l'Italie qu'il proposa de diriger lui-même.      
  Carnot, dont il avait su aussi gagner la confiance, fut l'examinateur et le juge du plan, d'abord remis à Barras. Les services qu'il avait rendus à la convention le 13 vendémiaire (5 octobre 1798) et la faveur résultant de cet exploit lui firent également obtenir sans peine les suffrages des trois autres directeurs. Ayant pris le commandement de l'armée d'Italie, qu'il mena si rapidement à la victoire, il ouvrit une correspondance confidentielle, soit avec Carnot, soit avec Barras, auquel il adressait plus particulièrement ses aides de camp chargés de missions secrètes. Quand, après le traité avec le roi de Sardaigne, il eut fait son entrée à Milan, tant de pouvoir réuni dans ses mains offusqua les directeurs, et ils voulurent qu'il partageât le commandement avec Kellermann. Voyant tout son avenir compromis par cette résolution, Bonaparte envoya des instructions à son aide de camp Murat qui était alors a Paris, et déjà très avant dans la confiance dé Barras. Il le chargea de s'assurer entièrement le patronage de ce directeur, en faisant mettre a sa disposition un million qui était en dépôt à Gènes ; et, tandis que Murat pressait Barras de détourner ses collègues de disloquer l'armée d'Italie, Joséphine circonvenait Carnot pour le même objet. Sur les observations de celui-ci, le directoire remit en délibération la séparation des deux armées, et il fut décidé que Bonaparte resterait le maître absolu de l'Italie. Que ne lui fallut-il pas alors d'adresse et de ménagements pour se maintenir en même temps dans la faveur de Barras et de Carnot déjà en pleine rivalité ! Barras était fort mécontent de son collègue qui aurait voulu conduire à son gré toutes les opérations de la guerre ; et le rigide Carnot s'indignait de ce que Barras, protecteur éhonté de tous les traitants , de tous les fournisseurs, s'enrichissait de leurs pots de vin, et par ce funeste exemple répandait dans toutes les parties de la république une contagion de rapine et de concussions. Et ce fléau ne s'arrêtait point aux affaires de l'intérieur ; à l'ouverture de la campagne de 1797, l'antique république de Venise craignant pour son existence, l'ambassadeur Quirini vint implorer contre les projets de Bonaparte l'appui du directoire. Saisissant avec empressement une pareille occasion, Barras lui dépêcha un aide de camp pour le sonder, et mettre à prix la protection qu'il lui offrait. Le puissant directeur, voulait bien consentir à préserver les Vénitiens de leur ruine, si de leur côté ils mettaient à sa disposition une somme de deux cent mille ducats. Quirini ayant consulté son gouvernement fut autorisé a suivre cette négociation, mais avec la recommandation de prendre des sûretés. En faisant intercepter un courrier du gouvernement de Venise, Bonaparte découvrit cette intrigue ; et comme elle contrariait ses projets, il la signala au directoire, sans toutefois compromettre le nom de Barras (8). Le traité préliminaire de Leoben, en donnant plus d'activité aux négociations diplomatiques, donna aussi plus d'intensité aux passions politiques du dedans et du dehors. Le directoire d'ailleurs était divisé. La mésintelligence entre Barras et Carnot prenait un tel caractère de violence et d'aigreur, qu'un déchirement dans l'Etat était inévitable par la raison que les partis se groupaient autour de ces deux directeurs, qui formaient comme deux sommités opposées dans le gouvernement. Le parti de Barras, en minorité dans les deux conseils, l'emportait au directoire sur le parti de Carnot qui, aux yeux des révolutionnaires, penchait trop décidément vers la paix au dehors et vers un système de modération dans l'intérieur. La réunion de Clichy, où n'entraient que des membres du corps législatif, voulait donner la prépondérance à Carnot et à Barthélémy. Barras, en butte aux attaques de ce parti, fit tomber un accès de sa colère sur Poncelin, rédacteur d'un journal qui l'avait fort mal traité, et qui, enlevé par des sbires, fut indignement flagellé dans une des chambres du palais directorial (Voy. Poncelin, au Supp.). Cet étrange abus de pouvoir redoubla les clameurs, et le nom de Barras retentit dans tous les journaux en même temps qu'il figurait sur les placards dont chaque jour les murs de Paris étaient couverts. C'était le prélude d'événements plus importants, et auxquels chaque parti se préparait.      
 

La majorité du directoire, conduite par Barras, ne négligeait rien pour mettre l'armée dans ses intérêts. Ce fut à cette époque qu'il envoya Dubois de Crancé à Bonaparte pour l'obliger a se prononcer. Déjà blessé par les discours et les écrits des orateurs et des journalistes du parti clichyen, le général en chef de l'armée d'Italie envoya son aide de camp Lavalette à Barras, avec une lettre où il offrait à la majorité du directoire de marcher sur Paris à la tête de vingt-cinq mille hommes, si les affaires prenaient une tournure défavorable à la république. Barras fit signer à ses deux collègues une réponse secrète d'approbation et d'acceptation. Mais, pour l'exécution du coup d'état qu'on méditait contre les conseils, et dont le plan fut d'abord arrêté chez Barras, les amis de ce directeur jetèrent les yeux sur Hoche dont l'armée d'ailleurs était plus rapprochée de Paris que celle d'Italie. Mme Tallien ayant contribué à ce choix par l'ascendant qu'elle exerçait sur Barras, on vit Mme de Staël et sa coterie, fortifiées par le parti qui prônait et exaltait Bonaparte, faire concevoir des craintes sur les suites de l'intervention de Hoche, en représentant ce général comme très entreprenant et d'une ambition dangereuse. Ainsi fut écarté Hoche, au moment où il allait entrer dans la carrière du pouvoir. La marche des troupes fut suspendue par suite de l'éveil que cet incident donna aux deux conseils ; et le triumvirat directorial, voulant s'assurer désormais l'action entière du gouvernement, pour frapper le coup d'état qui n'était qu'ajourné, écarta les ministres qui n'étaient pas exclusivement à sa disposition. Barras se promettait surtout par ce changement d'ôter le portefeuille de la guerre à Carnot, et, en renversant Pétiet, sa créature, de faire donner celui des affaires étrangères a Talleyrand qui y était porté par la coterie de Mme de Staël. Mais Rewbell, qui votait avec Barras, repoussait Talleyrand qu'il qualifiait, dans sa grossièreté révolutionnaire, d'intrigant, d'émigré ayant joué tous les partis : « Cela est possible, dit Barras, mais trouvez-en un qui connaisse mieux tous les cabinets, qui ait autant de talent, et qui puisse servir aussi utilement un gouvernement qui ne doit plus être celui des sans-culottes !... » A force d'entendre vanter Talleyrand, Rewbell renonça à son opposition, et Barras annonça le changement des ministres à Bonaparte, changement qui irrita au dernier point le parti de Clichy et les amis de Carnot. Willot, arguant de la déclaration de Barras au Châtelet en 1790, où il s'était dit lui-même âgé de 33 ans, prétendit qu'il n'avait pas l'âge de 40 ans exigé par la constitution pour être directeur, et fit passer la proposition d'un message au directoire pour savoir quel était l'âge de Barras lors de son entrée en fonctions. Par là on espérait l'expulser du gouvernement. Le directoire écrivit au conseil que Barras était né le 30 juin 1755 ; qu'ainsi, à l'époque de son entrée en fonctions, il avait quarante ans plus trois mois, et par conséquent l'âge voulu par la loi. Barras publia même a l'appui de cette assertion un acte de naissance que l'on crut être celui de son frère (9). Au reste, cette attaque, d'un caractère trop vague pour les circonstances, ne pouvait pas avoir d'autre résultat que de donner l'éveil à celui contre lequel on la dirigeait, et de le décider à surprendre ses ennemis avant qu'ils eussent rassemblé des moyens suffisants pour le renverser (10). On pourra juger dans quelle disposition d'esprit était Barras par la lettre confidentielle qu'a cette même époque l'aide de camp Lavalette écrivit à Bonaparte. « Ce matin j'ai vu Barras ; il m'a paru bien affecté de tout ce qui se passe. Il ne m'a pas caché que la division est très prononcée entre les membres du directoire.— Nous nous tiendrons fermes, m'a-t-il dit, et si nous sommes décrétés d'accusation, nous monterons à cheval et nous les écraserons. – Il m'a répété que, dans la crise où ils se trouvaient, de l'argent les aiderait puissamment. Je lui ai fait votre proposition ; il l'a acceptée avec transport , et vous écrit a ce sujet. » Cette proposition n'était rien moins que l'offre de trois millions pour aider le directoire dans son coup d'état. Barras ne tarda pas en effet à demander à grands cris de l'argent à Bonaparte lui-même. « Point de retard, lui disait-il, songe bien que c'est avec de l'argent seulement que je peux remplir tes honorables et généreuses intentions. » En attendant les trois millions promis, Bonaparte envoyait a Paris son lieutenant Augereau, pour diriger la journée qui se préparait contre les conseils et la minorité du directoire. Le 5 août, Lavalette mandait encore à Bonaparte : «Barras dit à qui veut l'entendre : J'attends le décret d'accusation pour monter à cheval et marcher contre les conspirateurs des conseils, et bientôt leurs têtes rouleront dans les égouts. » Ces menaces faites par un homme d'exécution ne laissaient pas d'intimider les conseils. Toutefois, Laréveillère et Rewbell ne partageaient pas d'abord les passions fougueuses de Barras, ni la violence de ses projets : aussi était-ce sur lui que se portait plus particulièrement l'animadversion publique ; c'était à ses liaisons avec Bonaparte, avec Hoche et avec d'autres généraux, qu'on attribuait l'esprit dont les troupes étaient animées. Dans le triumvirat il y avait donc hésitation, lorsque Barras pressait le coup d'Etat. La situation, d'ailleurs, se compliquait par les lenteurs que l'Autriche mettait a conclure la paix, espérant trouver, dans les troubles qui agitaient la France, des chances d'arrangement plus favorables. Barras ayant poussé Rewbell et Laréveillère-l’Epeaux à la rupture de l’armistice, l'ordre de reprendre les hostilités allait être expédié, lorsque Carnot et Barthélémy demandèrent que leur opinion motivée, pour s'opposer à une mesure si désastreuse, fût inscrite sur le registre des délibérations. Cette demande ayant effrayé Barras, la question fut ajournée. Mais sur une nouvelle dépêche peu pacifique de Bonaparte, le triumvirat posa de nouveau la question déjà débattue. Une explication avec les deux directeurs dissidents eut lieu dans la nuit du 14 au 15 août, et se renouvela dans la matinée ; elle fut des plus vives : il y eut même des provocations entre Barras et Carnot. Toutefois, les deux directeurs du parti de la paix parvinrent a faire ajourner de nouveau tout projet de recommencer la guerre. Lavalette fit ainsi part à Bonaparte de ces déchirements du directoire. «Voici mot pour mot ce que m'a dit Barras avant-hier : Enfin, j'ai déchiré le voile ce matin au directoire. Il était question des négociations d'Italie. Carnot prétendait que Bonaparte était dans une situation assez avantageuse, quand il signa les préliminaires, pour ne souscrire qu'à des conditions qu'il pût tenir par la suite. J'ai défendu Bonaparte ; j'ai dit à Carnot : tu n'es qu'un vil scélérat ; tu as vendu la république, et tu veux égorger ceux qui la défendent : infâme brigand ! Il n'y a pas un pou de ton corps qui ne soit en droit de te cracher au visage. Carnot me répondit d'un air embarrassé : Je méprise vos provocations, mais un jour j'y répondrai. » A l'arrivée d'Augereau à Paris, Barras avait annoncé cette nouvelle a Lavalette en lui disant, « Sa présence en fera pâlir plus d'un, surtout quand nous lui aurons conféré un titre qui donnera plus de poids à ses actes. » En effet, Augereau fut nommé commandant de Paris, et destiné in petto à se mettre à la tête du mouvement contre les conseils. C'était particulièrement avec Barras qu'il conférait à ce sujet. Dans une dépêche confidentielle à Bonaparte, il lui disait : «Hâtez-vous de recueillir et d'envoyer, par un officier de confiance, toutes les pièces trouvées à Venise, Vérone et autres lieux, qui dévoilent le système royal de Clichy ; elles donneront lieu à démasquer les traîtres et à provoquer leur supplice : c'est au directeur Barras qu’il faut les adresser... » Ce fut sur ces pièces qu'on fonda le coup d'état provoqué par Barras, Augereau et le ministre de la police, Sotin. Le prince de Carency, fils aîné du duc de la Vauguyon, ayant révélé à Barras et à Sotin le secret des royalistes qui devaient opérer leur mouvement contre les triumvirs directoriaux, le 3 septembre, ceux-ci paralysèrent le mouvement par leurs menées dans le corps législatif ; et le lendemain, 18 fructidor (4 sept. 1797), ils assurèrent leur attaque dirigée par Augereau, qui, après avoir investi le lieu des séances des deux conseils, en força l'entrée, et se saisit des députés qu'on voulait proscrire. Cinquante-quatre furent condamnes à la déportation, ainsi que les directeurs Carnot, Barthélémy, et plusieurs journalistes. Carnot parvint a se soustraire à la déportation par la fuite. Dans la journée même du 18 fructidor, Barras et Lavalette annoncèrent leur triomphe à Bonaparte ; et par post-scriptum le directeur ajouta : «La paix, la paix ! mais honorable et solide, mais non pas l'infâme proposition de Carnot...» Deux jours après, il lui écrivit encore : « Les infâmes journalistes auront leur tour aujourd'hui. La résolution des cinq-cents sera adoptée. On nous donne demain deux collègues, François de Neuchâteau et Merlin (qui remplacèrent en effet les deux directeurs proscrits). Termine la paix, mais une paix honorable ; que le Rhin soit limite ; que Mantoue soit à la république cisalpine , et que Venise ne soit pas à la maison d'Autriche. Voilà le vœu du directoire épuré ; voilà celui de tous les républicains ; voilà ce que veulent l'intérêt de la république et la gloire bien méritée du général et de l'immortelle armée qu'il commande. » Il lui écrivit encore deux jours après : « Ton silence est bien étrange, mon cher général ; les déportés sont partis hier ; Augereau se conduit on ne peut mieux, il a la confiance des deux partis; elle est bien méritée. Les Bourbons partent demain pour l’Espagne (11) ». Mais, malgré toutes ses avances à Bonaparte, Barras conservait à son égard une grande méfiance, au sujet des 3 millions que le conquérant de l'Italie ne lui avait pas envoyés. Bonaparte, de son côté, n'entendait pas se soumettre au pouvoir toujours croissant de Barras, et gêné par ses instructions relatives à la paix, dont la révolution du 18 fructidor pressait le dénouement, il renouvela le stratagème de l'offre de sa démission et de la menace de sa retraite. Bien que son énorme puissance donnât déjà beaucoup d'ombrage aux directeurs, ils ne pouvaient pas, dans l'état des affaires, se passer de ses services. En conséquence Barras, d'accord avec ses collègues, lui envoya à Passeriano, au moment où les négociations touchaient à leur terme, Bottot, son secrétaire intime, qui fut chargé de le sonder. Bonaparte devina facilement la mission de cet émissaire: il se joua de lui, et fit la paix au mépris de ses instructions. Le directoire n'osa pas se plaindre ; et, quelques mois plus tard, lorsque Bonaparte revint de Rastadt, où ce général avait paru un instant pour y diriger les négociations, on lui fit une magnifique réception (10 décembre 1798). C'était Barras qui présidait ce jour-là le directoire : il adressa à Bonaparte une réponse ridiculement emphatique, puis termina en lui donnant l'accolade fraternelle. Ses collègues suivirent cet exemple, et ils pressèrent aussi fort tendrement dans leurs bras le héros pacificateur. Ce fut une véritable scène de comédie, où personne ne dit sa pensée. Il est sûr que dès lors Bonaparte aurait voulu renverser le directoire et s'emparer du pouvoir ; mais, selon son expression, la poire n'était pas mûre. Les directeurs, qui l'avaient pénétré, mais qui craignaient de se dévoiler, lui offrirent la perspective d'une invasion de l'Angleterre. Il préféra la conquête aventureuse de l'Egypte. Barras et le ministre Talleyrand s'entendirent pour l'y pousser.

     
  S'étant ainsi débarrassé de l’ambitieux général, le directoire se crut plus affermi ; mais il avait à lutter contre les efforts souvent réunis des royalistes et des jacobins. Ces derniers inquiétaient tellement Barras que, dans la semaine même qui avait suivi la révolution du 18 fructidor, il n'avait pas hésité à se mettre en rapport avec des agents du prétendant, cherchant à les rassurer, et les couvrant de sa protection. On sait que ce fut lui qui fit alors écarter la proposition de bannir tous les nobles. On ne peut douter que, frappé de l'instabilité de tous les gouvernements révolutionnaires, il n'ait voulu, dans ce temps là, se faire un appui d'un autre côté, et qu'à la même époque il n'ait combattu de tout son pouvoir les anarchistes dans les élections. Au mois de mai 1798, il fit tous ses efforts pour que celles où ce parti avait prévalu fussent annulées. Il avait à ses ordres une police de sûreté, dont la principale affaire était d'épier les démarches des Jacobins. Les royalistes avec lesquels il était en rapport furent contraints de lui faire parvenir des bulletins sur cette faction anarchique, qui leur était encore mieux connue qu'à lui-même. Ces bulletins lui furent toujours remis par l'entremise de Macé de Bagneux, son ami, qui vivait avec lui, occupant une partie de son appartement au Luxembourg. Quel contraste dans cet homme qui venait de frapper si cruellement lui-même le parti royaliste à la journée du 18 fructidor ! Sentant cette contradiction, il disait dans l'intimité, qu'il n'avait agi dans cette occasion que pour sa sûreté personnelle. Il convenait aussi qu'il avait échappé à un grand danger, ne concevant pas comment le directoire avait pu triompher dans une lutte où toutes les chances étaient pour les conseils. « Il ne leur aurait fallu, disait-il , qu'assez d'énergie et d'unanimité pour porter le décret d'accusation ! » Ces contradictions dans les pensées et dans les actions de Barras, expliquent assez sa conduite ultérieure. Maintenant nous devons le considérer sous l'influence de l'époque si remarquable où le directoire, n'étant plus retenu par aucun contrepoids, envahit l'Egypte en pleine paix, renversa le pape, révolutionna la Suisse, subjugua le royaume de Naples et, faisant crouler le trône de Sardaigne, suscita une nouvelle coalition plus formidable que la première. Pendant ces événements qui remplissent un intervalle de quinze mois, Barras n'eut que les apparences de la suprématie, puisque Rewbell, plus maître que lui de ses mouvements, l'obtenait presque toujours par sa fermeté ou son obstination , sachant gagner et amener à ses vues ses trois autres collègues, que Barras, toujours occupé de ses plaisirs, ne soignait et ne ménageait pas assez. Quoiqu'il dirigeât exclusivement tout ce qui avait rapport a la guerre, Rewbell parvint à en faire donner le portefeuille à Schérer, son parent et sa créature, et à prodiguer les places les plus importantes a tous ses affidés. L'accaparement de toutes les affaires était tel de la part de ce dur Alsacien, que Barras n'était pas sûr de la plus petite faveur, à moins de l'emporter de vive force et par des menaces. Cette tyrannie de Rewbell devint si insupportable pour Barras, qu'il l'obligea en mai 1799, de sortir du directoire, en acceptant la boule noire, que d'abord il avait été convenu de faire tomber dans les mains de Laréveillère-l’Epeaux. Barras préféra l'autre combinaison, bien qu'il prévît que Sieyes serait le remplaçant , et que celui-là avait derrière lui un parti très puissant. Le directoire, plus que jamais en butte au mécontentement général, se voyait obligé, bien que privé de ses meilleurs généraux, de résister aux efforts de la seconde coalition qui, sur le vaste théâtre de la guerre, obtenait des succès effrayants. A la suite d'une révolution appelée la journée du 30 prairial (18 juin 1799), trois des cinq directeurs, Treilhard, La Réveillère-Lépeaux et Merlin de Douai, furent éliminés par le corps législatif. Gohier, Roger-Ducos , ex-conventionnel, tous deux de la plus complète nullité, Moulins, général presque ignoré, devinrent les collègues de Barras , dont le talent politique consistait dans l'audace, et de Sieyes, doué de toute l'astuce d'un mauvais prêtre. Entre toutes les journées de la révolution, celle-là se distingua par cette exception , qu'elle s'opéra sans émeute comme sans baïonnettes, par la seule force des actes législatifs. Il était aisé de voir que Barras ayant résisté à ce mouvement, mais ne l'ayant pas fait, avait perdu de son influence. Il lui en resta néanmoins assez pour faire appeler Fouché de Nantes au ministère de la police. Toutes les factions s'agitaient, et la France était sur un volcan.      
  C'est ici qu'il faut placer le récit des relations de Barras avec les agents de Louis XVIII, que voulait rétablir l'empereur de Russie, Paul Ier, chef de la nouvelle coalition. Le Neuchâtelois Fauche-Borel (Voy. ce nom, au Supp.), qui déjà avait gagné Pichegru à la cause royale, fut chargé de ces périlleuses communications.
Un rapport fut fait à ce sujet, par les envoyés de Louis XVIII à l'empereur de Russie, qui approuva les négociations, et le prétendant expédia aussitôt à Barras des lettres patentes que le comte de Saint-Priest remit à Guérin de St-Tropez, ami et confident de ce directeur. Ces lettres patentes avaient pour base les demandes faites au nom de Paul Barras, qui consentait à rétablir la monarchie, dans la personne de Louis XVIII, lequel, de son côté, promettait à Barras sûreté, indemnité : sûreté, en engageant sa parole royale de s'interposer entre Paul Barras et tout tribunal quelconque qui voudrait connaître de ses opinions, de ses votes et de sa vie passée, et d'annuler par son pouvoir souverain toute recherche à cet égard ; indemnité, en lui assurant le paiement d'une somme au moins équivalente a celle que pourraient lui valoir deux années d'exercice encore au directoire. Cette somme était évaluée largement à douze millions de livres tournois, y compris les deux millions qui devaient être distribués entre ses coopérateurs, sans compter la somme nécessaire aux frais du mouvement à effectuer dans Paris. Telle fut la substance des lettres patentes du 8 mai 1799 revêtues de la signature du roi, contresignées par le comte de Saint-Priest et scellées du sceau de l'Etat. Voici maintenant le récit que Fauche-Borel a publié : « Je me suis bien gardé de représenter M. de Barras, régicide, comme revenu franchement aux Bourbons et comme accueillant avec transport le projet qui tendait à rétablir Louis XVIII. J'ai dit et j'ai prouvé que Barras avait ouvert une négociation secrète avec les agents du roi, et que le roi s'était assuré de l'assentiment de l'empereur Paul Ier, qui était alors le chef de la coalition armée contre la France. Et dans ce quelle circonstance eut lieu cette négociation? Au moment où la république était dans le plus grand péril, déchirée par les factions dans l'intérieur, et au dehors attaquée sur ses frontières mêmes par des armées victorieuses. La destinée de la France, ou plutôt celle du gouvernement directorial, allait dépendre d'une seule bataille. Or, j'ai dit que, dans un avenir si menaçant, M. de Barras négocia secrètement pour sa sécurité, pour s'assurer au besoin un asile, de l'argent et du repos. Tel on a vu Fouché, régicide, négocier à Gand avec Louis XVIII, d'abord dans la vue de sa sécurité future et de la conservation de ses richesses ; puis, par un délire d'ambition, changer de vue et former un plan plus vaste. » Barras vivait encore lorsque cet écrit a paru , et il n’y a opposé aucune dénégation. Du reste, comme dans toutes les intrigues politiques essentiellement cachées, il y eut la négociation confidentielle, dont Guérin de St-Tropez, ancien officier de marine, fut l'intermédiaire, et la négociation, en quelque sorte ostensible, que Fauche-Borel exécuta. D'autres agents encore y furent employés, et nous savons que l'abbé de Crangeac, neveu de Précy, eut, pour le même objet, plusieurs conférences secrètes au Luxembourg. Pour plus de sûreté, Barras fit à ses collègues quelques ouvertures ; mais il est certain qu'il ne donna aucun renseignement, et que surtout il ne compromit pas les agents royalistes avec qui il continua d'avoir des rapports (12).

     
  Pendant les deux mois de crise qui précédèrent l'invasion du pouvoir par Bonaparte, Barras seconda Sieyes dans son opposition aux Jacobins exagérés, qui voulaient faire déclarer la patrie en danger, afin de s'emparer du gouvernement. Ils n'avaient pour eux que deux des directeurs nouvellement élus, Gohier et Moulin. Barras, blasé par la possession du pouvoir, par l'habitude de la dissolution, et d'ailleurs en proie aux anxiétés d'une négociation épineuse, semblait disposé à se neutraliser. Sieyes conspirait avec son humble collègue, Roger-Ducos, pour renverser la constitution qu'il n'avait pas faite, et y substituer son sénat absorbant et son i-grand électeur dont il eût été le i-grand chancelier. Ce grand électeur était le duc de Brunswick, appuyé par des armées, par sa haute réputation et par des alliances. Mais il fallait à Sieyes un chef d'exécution, un moteur visible. Moreau seul, parmi tous les généraux, depuis la mort de Joubert, avait assez de réputation, de crédit pour se charger d'un tel rôle ; mais il n'avait pas assez de caractère : sans en rejeter le projet, il en déclina l'exécution. Alors Sieyes se crut obligé de mettre dans ses intérêts son collègue Barras ; comme il n'avait pas avec lui de liaisons d'intimité, il lui adressa son confident Chazal, après l'avoir averti de mettre beaucoup de prudence dans ses discours. Chazal arriva chez Barras, lui débita d'abord des lieux communs, en parlant des dangers que présentaient d'un côté les royalistes et de l'autre les jacobins ; il passa ensuite à la situation de la république, à celle des membres du directoire, enfin à la nécessité d'un autre ordre de choses. Barras répondit avec humeur : « Tous ces maux sont dus à ton grand-prêtre ; il entrave toutes nos délibérations, il conspire : sa tête très sûrement et peut-être les nôtres rouleront dans les rues de Paris qu'il agite et qu'il trompe. » Cette réponse portée à Sieyes, le détermina à ne plus différer le renversement du directoire, pour établir son gouvernement projeté. Mais son embarras était grand sous le rapport de l'exécution. Moreau persistait dans son refus, quand on apprit que Bonaparte venait de débarquer à Fréjus (9 octobre 1799).La patrie est sauvée! s'écria Sieyes avec un transport involontaire ; et Bonaparte était a peine entré dans Paris, qu'il lui envoya des émissaires. Bientôt fut établi chez ce général un comité qu'il présidait lui même, et auquel Sieyes et ses adhérents ne manquaient pas d'assister. Barras eut aussi des conférences avec Bonaparte, mais sans confiance ni intimité. Il y fut pourtant question, une fois, des moyens de sauver l'Etat : Talleyrand, Fouché, Real étaient présents ; chacun redoutait le retour de l'anarchie. Bonaparte dit : « Si Barras n'était pas membre du gouvernement, je ne verrais aucune garantie, et je m'en irais : c'est lui qui doit se mettre seul à la tête des affaires. » Barras répondit : « Je m'occupe de garantir la France des entreprises des méchants. J'irai au corps législatif lui exprimer ce qu'il convient de faire, et je donnerai ma démission...» Tous alors feignirent de l'en dissuader. Barras ajouta : « Le changement dont vous sentez la nécessité est prévu partout, il est urgent ; le corps législatif désignera un chef provisoire pris hors de l'armée, en attendant la réunion d'une assemblée constituante et l'organisation définitive de la France... Quant a moi, je n’accepterai rien ; je veux me retirer des affaires. » Cette opinion fut combattue ; on aperçut du dépit, et l’on vit bien qu'il y avait de la froideur entre Barras et Bonaparte. Sieyes n'avait pas manqué de mettre celui-ci en garde contre les projets de son collègue ; il lui avait même révélé des détails qu'il tenait du ministre prussien Haugwitz, sur la négociation secrète avec les Bourbons, que Fauche-Borel avait communiquée à la cour de Berlin , et il avait représenté Barras comme un lâche parjure qui, voyant la république en danger, voulait transiger avec ses ennemis. Fort de cette révélation et de quelques autres confidences de Sieyes, Bonaparte se promit d'en profiter autant que les circonstances le permettraient. Ainsi tout marchait à une révolution, et chacun se préparait à en tirer parti, quand Dubois de Crancé, ministre de la guerre, et l'un des jacobins les plus prononcés de ce temps-là, se fit tort d'arrêter Bonaparte. Il en demanda l'ordre a Barras, et lui dit du ton le plus résolu : « Signez l'ordre d'arrêter le despote qui veut monter sur le trône ; je le tue. » — « Je me f... de ce tout ce qui arrivera : je vais me mettre au bain ; qu'on ne me tracasse pas davantage. » Ce fut. toute la réponse de Barras. Il ne savait rien de ce qui se passait aux Tuileries, lorsque mesdames Tallien et de Carvoisin vinrent lui apprendre que Bonaparte, a la tête de la force armée , s'emparait définitivement du pouvoir. Il en parut confondu et s'écria douloureusement : « Ce petit b… de gueux nous a tous trompés! » Quoique maître de la force armée, Bonaparte craignait cependant encore Barras ; et, voulant le dépopulariser, il dit alors hautement qu'il lui avait proposé de se mettre au-dessus des lois, et le menaça, s'il osait faire la moindre tentative pour s'opposer à son entreprise, de révéler tout ce qu'il lui avait proposé en faveur des royalistes. C'était la démission du directeur que Bonaparte voulait ainsi arracher; et, en effet, Barras l'envoya a Saint-Cloud, par une lettre entortillée dans laquelle on parut entrevoir quelques regrets a travers les assurances d'adhésion à des événements auxquels il ne pouvait plus s'opposer. Dès que Bonaparte eut cette démission, il voulut rattacher au nouvel ordre de choses son ancien protecteur, mais Barras refusa les ambassades et les commandements qui lui furent offerts. Le lendemain Bottot s'étant présenté de sa part à Bonaparte, le nouveau consul l'apostropha ainsi, frémissant de colère: «Que venez-vous faire? m'espionner pour votre Barras ! Il sait que je n'aime pas le sang ; dites-lui qu'il se rende sur-le-champ à Bruxelles, car si j'eusse connu huit jours plus tôt l'affaire des lettres patentes, je les lui aurais fait placer sur la poitrine, et je l'aurais fait fusiller ainsi que vous... » Barras, qui s'était retiré dans sa terre de Grosbois, fut obligé de la vendre et de se rendre à Bruxelles , avec défense de revenir sans une permission (13). Ainsi exilé, le malheureux directeur parut vivre dans un complet éloignement de toute affaire politique. Cependant on ne peut douter qu'il ne nourrît secrètement dans son âme un grand désir de vengeance. Lié depuis longtemps avec Moreau, il connut en 1803 les projets de ce général, et fut alors relégué à Toulon. Plus tard, impliqué dans la conspiration dite de Charles IV en faveur des Bourbons de France et d'Espagne, il fut soupçonné, mais sans motifs, d'avoir communiqué avec l'amiral anglais Exmouth, par l'entremise de Constant, son maître d’hôtel ; car il tenait encore un grand état de maison, étant sorti du directoire avec plus de deux millions de fortune. A la suite de cette affaire, où il y eut quelques victimes, Barras, relégué à Rome, y resta près de deux ans. Là il renoua ses anciennes relations avec Murat qui lui était encore attaché, et qui le couvrit tant qu'il put de sa protection pendant tout le temps de défaveur et d'exil.      
  Enfin la restauration offrit de nouveau à Barras l'accès de Paris, dont si longtemps il avait regretté le séjour. Il vint, en 1814, occuper, rue des Francs-Bourgeois, l'hôtel qu'il avait donné a M. Victor Grand, ancien intendant de sa maison. C'est là que Fauche-Borel, qui n'avait jamais eu avec lui de relations que par écrit, fit sa connaissance personnelle. « Je compris en le voyant, dit-il dans ses "Mémoires", qu'il n'avait pas dévié des sentiments qu'il m'avait paru avoir adoptés avant et depuis l'avènement de Bonaparte au pouvoir. Il cherchait depuis à se réhabiliter dans l'opinion publique, contre laquelle il avait sans doute beaucoup a lutter, parce qu'elle juge toujours trop les hommes d'état comme des citoyens ordinaires. Barras paraissait intimement convaincu de la nécessité d'une réunion franche de tous les partis autour du roi, qui seul pouvait assurer le repos et la tranquillité dont la France éprouvait un si grand besoin. Ces dispositions me semblaient d'autant plus heureuses, que je n'ignorais pas qu'il exerçait déjà dans Paris, sur les débris du parti républicain, une influence qui ne resta pas inaperçue. » C'était au moment où l'on commençait a tramer le retour de Bonaparte relégué à l'île d'Elbe. L'un des hommes les plus fameux de l'époque, Fouché , disgracié et relégué lui-même en Italie par Bonaparte, inconsolable d'avoir été étranger aux derniers événements, et réuni déjà au parti qui se reformait contre les Bourbons, fit épier Barras. Sachant qu'il voyait Fauche et Guérin de S. Tropez, soupçonnant qu'il agissait dans les intérêts du roi, et craignant qu'il ne parvînt à faire échouer la conspiration qui tendait au retour de Napoléon, il lui détacha Lombard-Taradeau pour le sonder et le ramener à ses idées. Tallien, qui avait marché dans la Convention avec Barras, entrait aussi dans les vues de Fouché. Quant à Lombard-Taradeau, compatriote de Barras, et dès longtemps un de ses protégés, mais devenu la créature et le commensal de Fouché, il inspira de la défiance a l'ancien directeur, qui repoussa durement ses insinuations ; mais Lombard ne se tint pas pour battu ; il revint a la charge et le pressa de voir au moins son ancien collègue. « Je ne veux pas voir Fouché, dit Barras, parce qu'il a porté la livrée du tyran, et moi je n'ai pas porté cette livrée. » Toutefois , Barras ayant fait part de ces menées a Guérin de St-Tropez, qui avait toujours sa confiance, celui-ci lui dit qu'il ne fallait pas repousser l'émissaire de Fouché, et il lui représenta que, dans la situation des choses, il devait tout entendre et tout savoir. Barras insistant pour ne pas recevoir chez lui Fouché, on convint d'un rendez-vous sur le boulevard St-Antoine ; et le rendez-vous eut lieu dans le mois d'août 1814. L'ancien ministre de la police indiqua les bases de son plan à Barras, et lui dit : « Nous savons que vous agissez contre nous, et que vous voulez conserver les Bourbons ; nous n'en voulons point, et vous ne devez pas plus en vouloir que nous. Que pouvez-vous en attendre ?.... » Barras furieux lui répondit : « Vous êtes des coquins, des misérables, vous avez servi le tyran ; mais moi je ne me suis pas vautré, et je ne donnerai jamais les mains a ce qu'il ressaisisse le pouvoir. – Vous avez tort, reprit Fouché, de vous laisser emporter par le ressentiment ; il s'agit ici de et bien autre chose que de petits souvenirs et de petites passions ; il s'agit des plus grands intérêts de la terre. Avec nous, je vous le promets, vous serez influent ; cet homme d'ailleurs est usé, et n'est plus à craindre. Nous ne voulons le faire rentrer que pour rallier l'armée et lui redonner toute sa force; ensuite nous le.... », et il fil signe qu'on le poignarderait. – « Vous le tuerez ! répondit Barras, mais qui mettrez-vous a sa place ? cette vermine de famille, ce bambin ?Nous trouverons le moyen aussi de les annuler. » Ici Fouché et Barras se séparèrent. Quelques jours plus tard ce dernier sollicita une audience du roi pour lui dire tout. Le premier mouvement de Louis XVIII fut d'accorder cette audience ; mais des intrigues de cour l'y firent renoncer, et tous les avertissements, tous les conseils que Barras pouvait donner se bornèrent a une conversation qu'il eut chez le duc d'Havré avec M. de Blacas. II fit d'inutiles efforts pour faire comprendre à ce ministre qu'on était sur un volcan ; qu'on ne devait pas ignorer les intelligences qui existaient entre l'île d'Elbe, Murat, Joseph Bonaparte en Suisse, l'armée, les généraux et même les Tuileries, et qu'il était urgent de prendre une autre marche. M. de Blacas fit entendre à Barras que des intérêts personnels excitaient souvent de fausses craintes ; qu'il ne fallait pas s'en rapporter aux alarmistes qui ne cherchaient qu'a grossir le danger. — « Je savais bien, répliqua Barras, que vous ne me comprendriez pas. Vous êtes mon parent. A vingt-cinq ans vous avez émigré, vous avez vingt ans d'émigration, et vous n'avez rien appris ni rien oublié. Vous ne comprenez pas le danger que court le roi. Vous êtes sur un volcan,vous ne vous en doutez même pas. Du reste, soyez tranquille , je ne veux pas me placer entre le roi et vous. Je voudrais seulement contribuer au repos de la France par la stabilité des Bourbons ; mais il y a des choses que je ne veux révéler qu'au roi. Tout ce que je puis vous dire, pour que vous en fassiez le rapport a S. M., c'est que la conjuration est flagrante.. » La conférence finie, M. de Blacas se plaignit a Guérin des réticences de Barras. Guérin en justifia le motif, et il insista fortement pour que Barras fût admis auprès du roi, ajoutant qu'il y allait peut-être du salut de la monarchie, « Quoi ! répond M. de Blacas, voudriez-vous exposer madame la duchesse d'Angoulême a tomber évanouie a la vue d'un homme qui a voté la mort de son père ? » Voyant M. de Blacas intraitable, il lui insinua que peut-être Barras s'ouvrirait tout à fait s'il recevait de la main du roi une lettre qui pût le porter à ne rien cacher a son ministre. Cet expédient fut agréé, et le roi écrivit de sa main la lettre suivante : « Les circonstances ne me permettant pas de voir en ce moment M. le général comte de Barras, et connaissant les services qu'il a cherché à me rendre dans le temps qu'il était membre du directoire exécutif, ainsi que ceux qu'il peut me rendre encore en ce moment, je l'engage a communiquer avec MM. les duc d'Havré et comte de Blacas, auxquels il doit avoir une pleine et entière confiance. Signé : Louis. Aux Tuileries, le 30 août 1814.»
Barras reçut avec joie la lettre de Louis XVIII, qui lui offrait une garantie dans l'avenir ; mais, n'ayant aucune confiance en M. de Blacas, et ne pouvant plus se dissimuler qu'il venait de se compromettre en pure perte pour lui et pour l’Etat vis-à-vis de son propre parti, il persista dans sa résolution de ne révéler qu'au roi lui-même les secrets de la conjuration. Il annonça au duc d'Havré que, ne pouvant plus être utile à S. M., il allait se rendre dans le midi de la France pour éviter les confidences d'un parti qu'il n'avait plus l'espoir de rattacher aux intérêts du monarque ; et il se rendit dans sa terre des Aigalades, près de Marseille. La catastrophe du 20 mars et la seconde invasion de la France justifièrent les avertissements de Barras, et attestèrent sa bonne foi dans les révélations qu'il avait offertes. Rentré a Paris peu de temps après le second retour du roi, il se mit de nouveau en rapport avec le duc d'Havré. On ne peut pas douter que la haine profonde dont il était animé contre Napoléon et les siens ne fût alors le véritable motif de son zèle pour les Bourbons. Avant même la seconde entrée de Louis XVIII dans Paris, il avait fait passer à ce prince plusieurs mémoires et avertissements qui furent mis sous les yeux du roi. Quand Fauche résolut au commencement de 1816 de faire imprimer et de publier le Précis historique des différentes missions dans lesquelles il avait été employé pour la cause de la monarchie, Barras sachant qu'il devait y figurer, et craignant d'être compromis auprès de son parti, fit tout pour dissuader Fauche de ce projet. Voyant qu'il ne pouvait obtenir un tel sacrifice, il agit sourdement pour mettre obstacle à la publication ; et il obtint du ministre de la police un ordre en vertu duquel la première édition fut saisie. Vingt-huit exemplaires seulement furent sauvés et répandus. Barras, très contrarié de cette publicité partielle, dit un jour à Fauche : « Voyez dans quelle fausse position ce vous me mettez. Je suis forcé de répondre aux personnes qui me demandent si ce que vous dites est vrai relativement aux lettres patentes. Ne pouvant vous désavouer entièrement, que puis-je dire? Que c'est Bottot et Mounier qui ont conduit cette affaire dans laquelle vous n'auriez pas du me faire figurer. Vous me rendrez suspect à mes amis et à mes connaissances, et je n'apprendrai plus rien, si vous ne faites pas un correctif que vous ajouterez comme note additionnelle a votre Précis historique, et que vous refondrez ensuite dans votre récit, lors d'une seconde édition. Là, vous expliquerez que c'est avec Bottot et Mounier que vous avez traité directement ; et comme je communiquai dans le temps votre première lettre au directoire, je puis avouer sans inconvénient que j'ai reçu des propositions de l'étranger. » Fauche consentit à ces modifications ; et il continua d'entretenir avec Barras les mêmes rapports, au grand mécontentement des vieux républicains qui circonvenaient celui-ci, et qui disaient entre eux : « Il est bien étonnant que, lorsque ce nous parlons à Barras des lettres patentes, il les désavoue, et qu'en ce même temps il reçoive aussi bien ce Fauche-Borel qui les a mises au jour. » En effet Fauche était reçu chez Barras sur un pied très amical (14). Au mois de juin 1819 parut une déclaration intitulée : Le général Barras à ses concitoyens. Loin d'avoir aucun rapport direct avec les écrits de Fauche, cette espèce de désaveu regardait spécialement les Souvenirs et anecdotes secrètes, publiées par Lombard de Langres, qui y avait inséré diverses anecdotes très piquantes sur les dernières années du règne de Bonaparte, et qu'il annonçait avoir puisées dans des conversations que le général Lefebvre, duc de Dantzick, avait eues chez Barras et souvent même à sa table. Ces anecdotes étaient vraies ; mais leur divulgation parut alors prématurée. Le duc de Dantzick se voyant compromis dépêcha ses aides de camp pour faire supprimer l'édition. Il y avait une page qui révélait également les rapports qu'avait eus Barras avec Louis XVIII avant et pendant l'année 1814. Voilà ce qui donna lieu au désaveu qui fut d'ailleurs suggéré à Barras par ceux qui l'entouraient. Il contribua aussi beaucoup a faire supprimer l'édition des i-Souvenirs et anecdotes secrètes, parce que certains faits qui y étaient consignés l'auraient compromis avec le parti qui déjà maîtrisait l'opinion publique. Ce fut dans ce sens qu'il publia la déclaration dont il s'agit : c'était moins encore une réfutation captieuse de faits avérés qu'une profession de foi de républicanisme pour satisfaire l'opinion de l'époque. Ainsi il est évident que sur son déclin l'ex-directeur fut circonvenu par une coterie qui voulait le faire mourir républicain, et sans aucunetache de royalisme. Ces contrariétés empoisonnèrent les derniers jours de Barras, infirme et ne quittant plus son fauteuil. Il ne voulut cependant pas désavouer les publications de Fauche-Borel, où tout se trouvait dévoilé, et qui parurent avant sa mort, bien qu'on l'ait obsédé pour tirer de lui un désaveu. Barras mourut le 29 janvier 1829, âgé de 74 ans, à Chaillot (15). Une tentative d'enlèvement de ses papiers politiques eut lieu aussitôt par l'ordre du ministre de la justice Peyronnet ; mais déjà ces papiers avaient été soustraits. Le 1er février, Barras fut inhumé au cimetière de l'Est. M. Pierre Grand, et M. Hortensius de Saint-Albin, tous les deux avocats à la cour royale, prononcèrent chacun un discours funèbre sur sa tombe (16) ; (1834 : suppr 1854 et ils le louèrent sans restriction de ses vertus républicaines). On annonça bientôt après la publication des mémoires de Barras ; mais cette publication n'a pas eu lieu : on sait que sa veuve y met obstacle. — Barras était grand et assez bel homme. Sans esprit ni culture, il avait cette sorte d'intelligence prompte qui tient au caractère. Ses manières étaient prévenantes ; il était actif, brave, généreux, rendait volontiers service ; mais ces qualités furent obscurcies par la dissolution de ses mœurs. Dans tout ce qui a été publié au nom de Napoléon, on voit sans cesse celui-ci occupé de repousser et de dénier ses rapports avec Barras et surtout les services qu'il en avait reçus. Cependant il est incontestable que ce fut cet ancien représentant qui le premier sut le distinguer, l'apprécier et l'employer utilement au siège de Toulon ; et il n'est pas moins notoire que ce fut encore lui qui, au 13 vendémiaire, le produisit, et fut la première cause de sa haute fortune. Après tant de persécutions et d'ingratitude, on comprend aisément les motifs de pareilles dénégations. Barras n'a pas eu d'enfants. Il avait deux frères : l'un était chanoine de St- Victor, à Marseille ; l'autre, qui avait émigré (le chevalier), était un joueur effréné ; il s'est noyé par désespoir. B –p.
     

Notes

   
 

(1) Les événements conduisirent alors Barras au cap de Bonne-Espérance ; il y servit sous le général Conway, vec lequel il eut des démêlés au sujet des mauvais traitements qu’on infligeait aux soldats sans mesure comme sans pitié. Ce zèle philantropique le fit accuser d’indiscipline : on le nota comme insubordonné. Déjà au sujet de ses débats avec le ministre Castries, la cour de France avait lancé contre lui des ordres arbitraires, qu’on n’osa pas exécuter par égard pour sa famille. (Retour au texte.)
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  (2) Délégué par le club des Jacobins de Marseille, Barras vint à Avignon en 1791, pour y opérer une réconciliation entre les deux partis qui avaient fait la révolution. Mais tout rapprochement était impossible entre des hommes désintéressés qui n'avaient voulu que rendre le pays français, et une faction anarchique dont Duprat, Mainvielle, Rovère, etc., étaient les chefs, et qui ne respirait que le meurtre et le pillage. Barras ne pouvait réussir dans une négociation où le maire d'Arles, avec plus de talent, avait échoué (Voy, Antonelle, LVI , 368). Dépourvu de toute instruction, parlant peu et parlant mal, Barras paraissait alors doux, froid, timide, apathique, irrésolu, et il était loin de faire entrevoir cette ambition, ce caractère dominateur qu'il déploya deux ans après. Il séjourna environ deux mois à Avignon, et y resta neutre, dînant chez Mainvielle ou chez Duprat, et soupant chez le père de l'auteur de cette note, lequel était alors commandant de la garde nationale, ou chez son associé qui était maire. A—T. (Retour au texte.)      
  (3) Si l’on en croit Despaze dans les Cinq Hommes, brochure évidemment dictée par Barras (Paris 1796, in-18), dès 1789 il écrivit contre les désordres des courtisans, et s’unit, les 12, 13 et 14 juillet à la masse des insurgés qui réduisirent la Bastille. (Retour au texte.)  

Despaze

 

 
  (4) Selon la brochure déjà citée, Barras avait demandé la déchéance du roi avant le massacre des prisonniers d’Orléans en 1792. (Retour au texte.)      
  (5) Dans les compilations de Sainte-Hélène on fait dire à Bonaparte que ce fut un autre représentant, nommé Gasparin, qui eut alors le mérite de le distinguer et de l'apprécier ; mais il est de toute notoriété que ce fut Barras. Gasparin était sans crédit et sans influence ; c'est ce qu'attestent tous les témoignages, tous les écrits du temps ; Barras était au contraire, surtout pour les affaires militaires, l'homme influent, le directeur principal de la commission. On verra plus tard quels motifs Napoléon avait pour nier qu'il lui eut tant d'obligation. (Retour au texte.)      
  (6) C'est par erreur que notre collaborateur Beaulieu a dit, à l'article Fréron, que le jeune Bonaparte avait commandé l'artillerie qui fut chargée des massacres après la prise de Toulon. Tous les témoignages et tous les renseignements nous ont offert la preuve que ces massacres furent exécutés par des fusillades ; qu'il n'y fut pas employé une seule pièce de canon, et qu'ainsi ils ne purent pas être dirigés par un officier d'artillerie. (Note de l'édition de 1834 – supprimée dans l’édition de 1854.) (Retour au texte.)      
  (7) Après le 15 vendémiaire, Danican, qui avait combattu pour les sections, publia en Angleterre, où il se réfugia, une brochure intitulée : i-les Brigands démasqués, ou Mémoire pour servir à l’histoire du temps présent, Londres, 1796, in-8°. Barras, en grand costume de directeur, est représenté en frontispice avec cette légende : Paul Barras, premier du nom, roi de France, de Navarre et de Lombardie, duc de Brabant, comte de Nice, prince de Liège, électeur de Cologne, etc.) (Retour au texte.)      
  (8) Quirini s'était déjà fort avancé, et il avait signé des lettres de change pour sept cent mille francs. Lorsque la république de Venise tomba définitivement, il lui fut impossible de les payer. On l'arrêta le 3 décembre. 1797, et il fut conduit au château de Milan, d'où il s'évada quelques mois après. (Retour au texte.)      
  (9) On accusa dans le temps Barras d'avoir fait arracher du registre des baptêmes de sa commune le feuillet sur lequel était inscrit l'acte véritable de sa naissance. A—T. (Retour au texte.)      
  (10) Peu de temps après parut un pamphlet dicté par Barras lui-même, qui a pour titre: les Crimes de Barras, pour servir de base à son acte d’accusation. On se doute bien que ces crimes, au nombre de neuf, sont autant de vertus civiques. Et après ce début : Vil avorton de l'honneur français, vient l'apologie de ses rares et sublimes vertus, qu'on dit être son plus grand crime. (Retour au texte.)      
  (11) C'étaient les Bourbons de la branche d'Orléans et le prince de Conti. (Retour au texte.)      
  (12) Dans un écrit publié par Barras en 1819, sous ce titre : le général Barras à ses concitoyens, il donne à ce sujet les explications suivantes : « Au fort de la proscription exercée contre moi par Buonaparte, les uns ont répandu que j’en recevais en secret un traitement particulier et même des bienfaits ; les autres ont répandu en même temps et depuis, qu’avant le 18 brumaire j’aurais pris part à des entreprises tentées contre la forme du gouvernement dont le dépôt nous était confié par la nation…… Une proposition venue des pays étrangers fut, dans le temps, apportée à l’un des membres du directoire. A l’instant même le directoire tout entier en eut connaissance. Si le témoignage unanime de tous mes anciens collègues qui vivent encore ne suffisait pas pour ce fait historique, les archives du directoire comme celles des ministères feraient foi que tout ce qui a pu avoir lieu en conséquence de cette proposition n’a existé que par délibérations spéciales du directoire, portées en ses registres secrets, et dont les ministres d’alors, particulièrement ceux des relations étrangères et de la police, suivirent l’exécution. Je déclare que non seulement je n’ai reçu aucun traitement de Buonaparte, mais qu’il a refusé le remboursement même d’avances faites de mes deniers et de mon propre mouvement au ministère de la guerre, en l’an 7, pour le besoin de nos armées, dans une circonstance des plus urgentes. Je déclare que depuis je n’ai jamais reçu de qui que ce soit aucun genre de traitement, même de réforme. J’ai dû au gouvernement impérial une persécution continue ; je dois au gouvernement constitutionnel le repos de la vie privée désormais abritée sous les lois, comme celle de tous les citoyens qui respectent l’ordre social. Voilà mon existence, mon ambition, mes vœux. » Ces faits, au reste, seraient bien éclaircis, si jamais les mémoires de Barras sont publiés. Il paraît certain, si l’on en croit ceux qui jusqu’à la fin ont connu ses intimes pensées, qu’à propos des propositions de Louis XVIII, il était convenu d’attirer à Vesel ce prince et ses partisans, et d’opérer à son égard comme le fit depuis Bonaparte à l’éagrd du duc d’Enghien. Cela paraît assez probable ; mais ce qui ne le paraît pas moins, c’est qu’en se rendant ainsi l’intermédiaire entre les révolutionnaires impitoyables et Louis XVIII, Barras était assez habile pour se ménager, quel que fût l’événement, un moyen de mettre en sûreté sa personne et sa responsabilité. D-r._r. (Retour au texte.)      
  (13) On fit alors une caricature dégoûtante sur la manière dont il rendait cette terre qui, achetée depuis par le général Moreau, porta toujours malheur à son propriétaire. A—T.». (Retour au texte.)      
  (14) Barras demeurait alors rue Bleue, n. 20. L'auteur de cette note qui depuis 1791, l'ayant perdu de vue , et ne l'ayant aperçu que dans quelques cérémonies publique, n'avait jamais été l'encenser dans son palais du Luxembourg, ni se vautrer, comme disait Barras lui-même, alla le visiter dans son domicile bourgeois, où il eut peine à le reconnaître. L'ancien directeur n'avait alors que 63 ans ; mais les regrets sur sa grandeur passée, les ennuis de sa position actuelle semblaient l'avoir vieilli plus que les ans, l'abus des plaisirs et les infirmités. C'était toujours le même homme qui, en 1791, froid, taciturne embarrassé, hésitait sur la bannière qu'il avait à suivre. Mais il était plus catarrheux, cacochyme, morose, rapetissé tant au moral qu'au physique, et semblait encore flotter entre la république et la monarchie. Sa conversation n'offrait rien de positif ni d'intéressant. Il se plaignait vaguement de tout le monde, et paraissait regretter surtout d'avoir quitté le certain pour l'incertain. Cette irrésolution explique assez la conduite antérieure et subséquente de Barras, et démontre bien évidemment qu'il n'avait jamais eu que l'audace et l'activité du moment, quand il était stimulé par l'intérêt ou l'ambition, et qu'il tenait en main tous les moyens de satisfaire ses goûts ou de se maintenir au pouvoir ; mais que, dans toutes les autres circonstances, il ne fut réellement qu'un homme fort ordinaire. A—t» (note de l’édition de 1834.) (Retour au texte.)      
  (15) Ce fut là qu’il passa les dernières années de sa vie, vivant assez modestement et recevant quelques amis. Il se faisait appeler citoyen par ses gens. (Retour au texte.)      
  (16) Le discours de M. Hortensius de St.Albin fit partie d’une brochure intitulée Obsèques du général Barras (1er février 1829.) Paris in-8° de 12 pages. On y trouve l’éloge du caractère généreux et facile de Barras comme homme privé. Ce discours est précédé d’une notice sur Barras tirée du Constitionnel ; on y relate des traits de bienfaisance. M. de Saint-Albin père, dépositaire des manuscrits de Barras prépare, dit-on, la publication de ses mémoires ; ils éclaireront, sans doute, des faits qui, jusqu’à présent n’ont été présentés qu’avec passion par des écrivains de parti. (D-R-R.) (Retour au texte.)      

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

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