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L'amitié
d'un grand homme est un bienfait des dieux!
Dans un de
ses fréquents voyages à Paris, au commencement de
la révolution, Fauche-Borel reçut de l'auteur d'un
misérable pamphlet contre la reine la proposition de l'imprimer
: non content de s'y être refusé, il crut convenable
de porter à la connaissance de la princesse et le fait de
son refus et le pamphlet lui-même. Cette démarche lui
valut une présentation à l'Œil de Boeuf et quelques
mots obligeants de la part de la reine. Il n'en fallut pas plus
pour exalter l'imagination ardente de Fauche-Borel et déterminer
ce dévouement qui l'attacha depuis à la cause des
augustes infortunes. L'un des premiers gages qu'il en donna fut
de se charger, après l'arrestation de Louis XVI à
Varennes, d'imprimer et de répandre le petit factum intitulé
: Protestation des princes, etc.
Les relations qu'il entretenait avec le parti , autant que les suggestions
de son propre zèle, firent de lui en 1795,
sous la direction du comte de Montgaillard, l'intermédiaire
des relations du prince de Condé avec le général
Pichegru. C'est au quartier-général
d'Altkirch, le 14 août de celte année, qu'il noua les
premières intelligences de l'intrigue qui gagna Pichegru
au parti royaliste,que toutefois le général se montra
résolu, dès l'abord, à ne servir qu'en dehors
de toute coopération de l'étranger et sous certaines
garanties de confiance mutuelle.
Pour mieux masquer ses menées, Fauche-Borel s'installa comme
imprimeur à Strasbourg, d'où il suivait sa négociation
avec Pichegru ; il y fut arrêté le 21 novembre 1795
par ordre du Directoire, qui, instruit de leurs pratiques ne put
toutefois en saisir la moindre preuve propre à établir
judiciairement le complot.
Fauche-Borel n'eut pas plutôt recouvré sa liberté
qu'il se mit en devoir de renouer des intelligences qui désormais
allaient nécessiter de sa part une audace et une habileté
extraordinaires. Des le mois de juin 1796, le Prétendant
(Louis XVIII), avec qui Fauche-Borel avait été mis
en communication directe, chargea le fidèle Neufchâtelois
d'une nouvelle mission près de Pichegru , alors retiré
à Arbois. C'est là qu'aurait été définitivement
entendue entre eux la question de la constitution à donner
par Louis XVIII, comme point de départ de tout concert entre
le général et le Prétendant. Vers le même
temps fut aussi répandue par ses soins, dans l'intérieur
de la France, la Déclaration de Louis XVIII du 10 mars 1797
, dans laquelle ce prince parlait de la constitution de l'Etat et
des améliorations qu'il désirait y introduire en interrogeant
le voeu public à cet égard.
Les élections de l'an V ayant amené Pichegru au conseil
des Cinq Cents, et la présidence de ce conseil lui ayant
été déférée (20 mai 1797), ses
communications avec le parti royaliste prirent plus d'activité
et nécessitèrent la présence de Fauche-Borel
à Paris. Mais, peu de mois après, éclata le
18 fructidor, qui terrassa le parti royaliste au moment où
il croyait triompher ; de plus, la saisie des fourgons du général
Klinglin ne tarda pas à mettre au grand jour la correspondance
de Pichegru, irrécusable témoignage des menées
de Fauche-Borel. Avant toutefois réussi à s'échapper,
ce dernier n'en poursuivit qu'avec plus d'activité ses manoeuvres
à Neufchâtel ; et quand l'invasion de la Suisse par
les Français vint accroître autour de lui les périls,
il nouait, au coeur même de la république, les fils
de l'intrigue dans laquelle entra le directeur Barras
avec quelques agents du cabinet britannique et Pichegru lui-même,
récemment évadé de Cayenne et qui venait de
se rendre à Londres. Fauche-Borel y vint aussi après
avoir traversé Augsbourg, Berlin et Hambourg, et, dès
leurs premières entrevues, ils convinrent de repasser sur
le continent pour combiner leurs manoeuvres avec celles des cabinets
relatives à la formation de la deuxième coalition.
À Mitau, où il se rendit peu de temps après
avec le marquis de la Maisonfort, Fauche-Borel reçut de Louis
XVIII des lettres patentes destinées à Barras,
à qui la journée du 18 brumaire ne laissa pas le temps
d'effectuer le complot de restauration auquel il donnait les mains.
Plusieurs autres excursions, dans lesquelles nous ne pouvons suivre
Fauche-Borel et le fil de ses intrigues, le rapprochèrent
de Pichegru ; mais il en fut de nouveau séparé par
le sauve qui peut du parti, auquel donnèrent lieu les arrestations
de Baireuth.
De nouveau ramené à Neufchâtel par les intérêts
du parti et les besoins de sa propre sûreté, Fauche-Borel
ne tarda pas à y recevoir une nouvelle mission du Prétendant
près de la police spéciale instituée à
Londres pour diriger de ténébreuses attaques contre
le gouvernement français, alors même que se traitaient
les préparatifs de la paix d'Amiens. De Londres, il fut envoyé
à Paris, comme intermédiaire de l'intrigue déjà
nouée par l'agence royaliste avec Moreau et, quoique arrêté
bientôt après et jeté dans les prisons du Temple,
il n'y suivit pas avec moins d'activité près de ce
général l'objet de sa mission, et il réussit
à le mettre en communication avec Pichegru et Georges Cadoudal.
Il parvint à s'évader du Temple au moment où
le complot était près d'éclater ; mais ressaisi
presque aussitôt, il sut se soustraire, durant l'instruction
du procès des conjurés, aux investigations faites
pour l'y impliquer ; puis resserré plus étroitement
à la Force, il finit par obtenir son élargissement
par voie diplomatique en qualité d'étranger, et comme
tel fut jeté hors de la frontière de France, à
Wesel. L'importance de ce personnage s'accrut alors tant en raison
de l'habileté dont il avait fait preuve qu'à cause
des nouveaux services que les ennemis de la France se promettaient
d'un agent aussi subtil, au moment où s'organisait contre
elle la troisième coalition des puissances. C'est ainsi que
Fauche-Borel se trouva lié aux dernières manoeuvres
du comte d'Antraigues. Après la bataille d'Austerlitz, une
commission spéciale du gouvernement français venait
d'être dépêchée pour enlever Fauche-Borel
à Berlin quand, par les bons offices de la reine de Prusse,
il échappa à ce péril en se réfugiant
à Londres. Dans l'intervalle, cet agent, que nous n'essaierons
plus de suivre dans toutes ses nouvelles intrigues, avait été
chargé par Louis XVIII d'imprimer et de répandre sa
fameuse déclaration de Calmar (2 décembre 1804). L'épisode
le plus dramatique qu'offre la suite des événements
de sa vie est assurément cette lutte acharnée qu'il
a soutenue jusque sous les premières années de la
Restauration contre un autre agent secret nommé Perlet, ancien
journaliste, lequel, employé à la correspondance dirigée
par Fauche-Borel en tiers avec MM. de Puisaye et d'Antraigues, se
trouva n'être qu'un espion de la police impériale qui
avait su se produire près de l'agence royaliste pour en déjouer
les intrigues. Vaincu pour la première fois en subtilité
par cet espion politique auquel il s'était livré sans
réserve, Fauche-Borel voulut à tout prix avoir raison
d'une mystification qui avait coûté la vie à
un sieur Vitel, son neveu, que les dénonciations de ce Perlet
avaient conduit au supplice. Les détails de la procédure
qu'il poursuivit contre lui devant le tribunal de police correctionnelle
de la Seine sont consignés dans les deux écrits suivants
: Mémoire pour Fauche-Borel contre Perlet, etc., Paris, 1816,
in-4° et deux. édit.; et Réponse de Fauche-Borel
à M. Biffé, substitut de M. le procureur du roi, ayant
porté la parole dans l'affaire contre Perlet suivie du jugement
rendu (24 mai 1816) contre ce dernier, 1816, in-8°.
A la suite des démêlés qu'il avait eus également
avec M. de Puisaye, Fauche-Borel avait été un moment
écarté par la police spéciale de Londres de
toute participation aux affaires de l'agence royaliste; un ordre
de déportation avait même été rendu contre
lui ; mais il reprit le dessus, se rétablit dans la confiance
des agents britanniques, en faisant écarter à son
tour le comte de Puisaye, et, dans les derniers temps, il avait
obtenu à Londres des lettres de naturalisation et une pension.
Les communications qu'il continua d'avoir avec les princes français
lui assignèrent un rôle assez actif parmi les agents
qu'ils employèrent pour opérer la Restauration. Cependant,
depuis 1814, il trouva chez l'homme de confiance par excellence
de Louis XVIII, M. de Blacas, une répulsion fondée
sur les mêmes soupçons qu'avait eus contre lui M. de
Puisaye. Aussi, lorsque pendant les Cent Jours il se rendit près
de lui à Gand, quoiqu'il se dit porteur d'une lettre autographe
du roi de Prusse, dont il avait continué à être
l'agent et dont il était redevenu le sujet, non-seulement
il fut éconduit par M. de Blacas, mais, sur les poursuites
du baron d'Eckstein, agent de ce dernier, il fut saisi et incarcéré
à Bruxelles. Il fallut une intervention diplomatique du cabinet
prussien pour le rendre à la liberté. Il repassa en
Angleterre après l'avènement de Georges IV, et ses
dépositions dans le procès instruit contre la reine
lui valurent une sorte de réhabilitation dans la confiance
des familiers de la cour des Tuileries. L'autorité publique
de sa ville natale fut plus inflexible à son égard
et ne voulut point l'admettre dans la qualité de consul général
de Prusse que lui avait fait conférer le prince de Hardenberg.
Il y fixa néanmoins son séjour ; mais le 7 septembre
1829 il y mit fin à sa vie.
Ses services
avaient été payés d'ingratitude ; longtemps
oublié des Bourbons qui lui devaient tant, il avait enfin
reçu de Charles X, pour toute récompense, une pension
de 5.000 fr. qui ne suffisait pas à ses besoins. Pour se
venger des hommes dont il avait à se plaindre, il publia
ses Mémoires, qui, achevés vers le temps
de sa mort (Paris, 1830 , 4 vol. in-8°), ne firent aucune sensation..
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