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Le
général Marbot racontait parfois, et avec une émotion
communicative, ce dramatique épisode de nos grandes guerres ;
et c'est bien le lieu de faire remarquer ici tout ce qu'il mettait
d'esprit, de verve, d'originalité et de couleur dans le récit
des événements militaires auxquels il avait pris part :
il n'aimait guère à raconter que ceux-là. Précision
du langage, vigueur du trait, abondance des souvenirs, netteté
lumineuse et véridique, don de marquer aux yeux par quelques
touches d'un relief ineffaçable les tableaux qu'il voulait
peindre, rien ne manquait au général Marbot pour intéresser
aux scènes de la guerre les auditeurs les plus indifférents
ou les plus sceptiques. Son accent, son geste, son style coloré,
sa vive parole, cette chaleur sincère du souvenir fidèle,
tout faisait de lui un de ces conteurs si attachants et si rares
qui savent mêler au charme des réminiscences personnelles
tout l'intérêt et toute la gravité de l'histoire.
Le général Marbot a laissé plusieurs volumes
de Mémoires manuscrits qui ne sont entièrement connus
que de sa famille ; rare et curieux travail, dont sa confiante
amitié nous donnait parfois, dans des causeries intimes,
comme un avant-goût plein de nouveauté et de saveur.
Depuis Eylau jusqu'à Waterloo, les services de Marbot ont
assez d'éclat pour qu'il ne soit pas nécessaire de
les rappeler longuement. De l'état-major d'Augereau, Marbot
passe en 1808 à celui du maréchal Lannes, en 1809
à celui du maréchal Masséna. Il fait, sous
ces deux chefs illustres, les deux premières campagnes d'Espagne,
blessé le 1er novembre 1808 d'un coup de sabre à Agreda,
puis d'un coup de feu qui lui traverse le corps au siège
de Saragosse. La même année, il reçoit un biscaïen
à la cuisse et un coup de feu au poignet à Znaïm,
au moment même où une trêve vient d'être
signée, et où il est envoyé entre les deux
armées ennemies avec mission de faire cesser le feu. Marbot,
comme on a pu le remarquer, est blessé partout, et partout
on le retrouve. L'ambulance ne le retient jamais si longtemps que
le champ de bataille. Sa vigoureuse constitution le sauve des suites
de ses blessures. Sa convalescence même est héroïque.
Son courage et sa vocation tirent parti même des mauvaises
chances. Blessé ou non, les maréchaux, commandant
en chef des corps d'armée dans des positions difficiles,
veulent tous avoir Marbot dans leur état-major, et on comprend
que ce n'est pas seulement l'intrépide sabreur que les maréchaux
recherchent; c'est aussi l'officier sérieux, instruit, d'excellent
conseil, l'homme de bon sens, l'esprit avisé et plein de
ressources, l'intelligence au service du courage et le calme dans
la décision; c'est tout cela qui désigne sans cesse
le jeune Marbot à la confiance et au choix des généraux;
et c'est ainsi qu'il passe les dix premières années
de sa vie militaire, faisant la guerre sous les yeux des plus illustres
lieutenants de Napoléon, à la grande école,
celle du commandement supérieur, ayant vu de près,
dans plusieurs campagnes mémorables, le fort et le faible
de ce grand art si plein de prodiges et de misères, de concert
et d'imprévu, de hautes conceptions et de méprisable
hasard, ayant saisi son secret, et capable pour sa part de nous
le donner dans cette confidence posthume dont il a laissé
à de dignes fils la primeur et l'héritage.
En 1812, le capitaine Marbot quitte définitivement l'état-major
des maréchaux. Nous le retrouvons à la tête
d'un régiment de cavalerie (le 23e de chasseurs), qu'il commande
avec supériorité pendant toute la campagne de Russie ;
et à la Bérézina c'est lui qui protège,
autant que la mauvaise fortune de la France le permet alors, le
passage de nos troupes, et qui contribue à refouler les forces
ennemies qui écrasaient leurs héroïques débris.
Blessé tout à la fois d'un coup de feu et d'un coup
de lance à Jacobowo pendant la retraite, il revient peu de
mois après, et à peine guéri, recevoir en pleine
poitrine la flèche d'un Baskir sur le champ de bataille de
Leipsick. Au combat de Hanau, le dernier que nos troupes livrèrent
sur le sol de l'Allemagne, le colonel Marbot retrouve sa chance,
il est blessé par l'explosion d'un caisson; et enfin à
Waterloo, dans une charge de son régiment, il reçoit
d'une lance anglaise, et après des prodiges de valeur, une
nouvelle blessure, mais non pas encore la dernière.
L'aveugle et fanatique réaction qui emporta un moment le
gouvernement restauré après les Cent-Jours fit inscrire
le nom de Marbot sur la liste de proscription du 24 juillet 1815.
La réaction lui devait cela. Marbot se réfugia en
Allemagne; et c'est là, sur ce théâtre de nos
longues victoires, qu'il composa ce remarquable ouvrage (3) qui
lui valut, quelques années après, de la part de l'empereur
Napoléon mourant sur le rocher de Sainte-Hélène,
cet immortel suffrage de son patriotisme et de son génie:
« Au colonel Marbot: je l'engage à continuer à
écrire pour la défense de la gloire des armées
françaises, et à en confondre les calomniateurs et
les apostats ! (4) »
La Restauration
était trop intelligente pour garder longtemps rancune à
la gloire de l'Empire. Elle pouvait la craindre, mais elle l'admirait.
La lettre de Vérone, dans laquelle le sage roi Louis XVIII
avait rendu un si grand témoignage au héros d'Arcole
et des Pyramides, était toujours le fond de sa politique
à l'égard des serviteurs du régime impérial.
Le général Rapp était un aide de camp du roi.
Les maréchaux de Napoléon commandaient ses armées.
Marbot fut rappelé de l'exil et nommé au commandement
du 8e régiment de chasseurs à cheval. Déjà,
en 1814, et très peu de temps après le rétablissement
de la monarchie des Bourbons, le colonel Marbot avait été
appelé à commander le 7e de hussards, dont M. le duc
d'Orléans était alors le colonel titulaire. Cette
circonstance avait décidé en lui le penchant qui le
rapprocha depuis de la famille d'Orléans, et qui plus tard
l'engagea irrévocablement dans sa destinée. Homme
de cœur et d'esprit comme il l'était, attaché plus
encore peut-être par sa raison que par sa passion à
ces principes de 89 et à ces conquêtes de la France
démocratique que la Charte de 1814 avait consacrés,
— esprit libéral, cœur patriote, Marbot s'était senti
tout naturellement entraîné vers un prince qui avait
pris une part si glorieuse en 1792 aux premières victoires
de l'indépendance nationale et qui, le premier aussi, en
1815, avait protesté du haut de la tribune de la pairie contre
la réaction et les proscripteurs. Aussi, quand le duc de
Chartres fut en âge de compléter par des études
militaires la brillante et solide éducation qu'il avait reçue
à l'Université, sous la direction d'un professeur
éminent, ce fut au colonel Marbot que fut confiée
la mission de diriger le jeune prince dans cette voie nouvelle ouverte
à son intelligence et à son activité ;
et tout le monde sait que le disciple fit honneur au maître.
Dès lors le général Marbot (le roi l'avait
nommé maréchal de camp après la révolution
de Juillet) ne quitta plus le duc d'Orléans jusqu'à
sa mort, et il le servit encore après, en restant attaché
comme aide de camp à son jeune fils. Devant le canon d'Anvers
en 1831 ; plus tard, en 1855, pendant la courte et pénible
campagne de Mascara où il commanda l'avant-garde ; en
1839, pendant l'expédition des Portes-de-Fer ; en 1840,
à l'attaque du col de Mouzaïa, — partout Marbot garda
sa place d'honneur et sa part de danger auprès du prince,
et il reçut sa dernière blessure à ses côtés,
« ... C'est votre faute si je suis blessé !,
dit-il en souriant au jeune duc, comme on le rapportait à
l'ambulance. — « Comment cela? dit le prince. — Oui, monseigneur;
n'avez-vous pas dit au commencement de l'action : Je parie que si
un de mes-officiers est blessé, ce sera encore Marbot ?
Vous avez gagné !... »
Je montre là, sans y insister autrement, un des côtés
de la physionomie militaire de Marbot : il avait, dans un esprit
très sérieux, une pointe d'humeur caustique très-agréable.
Il était volontiers railleur sans cesser d'être bienveillant.
Une singulière finesse se cachait dans ce qu'on pouvait appeler
quelquefois chez lui son gros bon sens. J'ajoute que les dons les
plus rares de l'intelligence, la puissance du calcul, la science
des faits et le goût des combinaisons abstraites s'alliaient
en lui à une imagination très inventive, à
une curiosité très littéraire et à un
génie d'expression spontanée et de description pittoresque
qui n'était pas seulement le mérite du conteur, comme
je l'ai dit, mais qui lui assuraient partout, dans les délibérations
des comités, dans les conseils du prince et jusque dans la
Chambre des Pairs, sur les questions les plus générales,
un légitime et sérieux ascendant. D'un commerce très
sûr, d'une loyauté à toute épreuve, sincère
et vrai en toute chose, Marbot avait, dans la discussion, une allure,
non pas de guerrier ou de conquérant, — personne ne supportait
mieux la contradiction, — mais de raisonneur convaincu et déterminé,
qui pouvait se taire, mais qui ne se rendait pas. Il avait, si on
peut le dire, la discussion intrépide comme le cœur ;
il marchait droit à la vérité, comme autrefois
à la bataille. Il affirmait quand d'autres auraient eu peut-être
intérêt à douter ; il tranchait des questions
qu'une habileté plus souple eût réservées,
et il n'y avait à cela, je le sais, aucun risque sous le
dernier règne. L'époque, le lieu, l'habitude des controverses
publiques, l'esprit libéral et curieux du prince qu'il servait,
tout autorisait et encourageait chez Marbot cette franchise civique
du vieux soldat. D'ailleurs comment l'arrêter ? Elle
lui était naturelle comme sa bravoure et elle découlait
de la même source. Le livre que l'Empereur avait si magnifiquement
récompensé par deux lignes de sa main, plus précieuses
que le riche legs qu'il y avait joint, ce livre aujourd'hui épuisé,
sinon oublié, est pourtant ce qui donnerait à ceux
qui n'ont pas connu le général Marbot l'idée
la plus complète de son caractère, de son esprit et
de cet entrain qui n'appartenait pas moins à sa raison qu'à
son courage. Le livre est presque tout entier technique, et il traite
de l'art de la guerre dans ses plus vastes et dans ses plus minutieuses
applications ; malgré tout et en dépit de cette
spécialité où il se renferme, c'est là
une des plus attachantes lectures qu'on puisse faire. Je ne parle
pas de cette verve de l'auteur qui anime et relève les moindres
détails ; c'est là l'intérêt qui
s'adresse à tout le monde, c'est le plaisir ; l'ouvrage
a d'autres mérites, je veux dire cette vigueur du ton, cette
ardeur du raisonnement, ce choix éclairé et cette
mesure décisive de l'érudition mise au service des
théories militaires, — mais surtout cet accent de l'expérience
personnelle et ce reflet de la vie pratique, lumineux commentaire
de la science. Tel est ce livre du général Marbot.
Il l'écrivit à trente-quatre ans. Le livre est l'homme ;
et je comprends qu'il ait plu à l'Empereur et qu'il ait agréablement
rempli quelques-unes de ses longues veillées de Sainte-Hélène ;il
lui rappelait un de ses officiers les plus énergiques et
les plus fidèles ; il ralliait dans leur gloire et ranimait
dans leur audace tous ses vieux bataillons détruits ou dispersés ;
il flattait, dans le vainqueur d'Austerlitz, l'habitude et le goût
de ces grandes opérations de guerre offensive (5) dont la
théorie intrépide et la pratique longtemps irrésistible
avaient été l'instrument de sa grandeur et la gloire
de son règne. Marbot flattait ces souvenirs dans l'Empereur
déchu plus qu'il ne l'aurait voulu faire peut-être
dans l'Empereur tout-puissant ; mais il écrivait en
homme convaincu. Il défendait la guerre d'invasion comme
quelqu'un qui n'avait jamais fait autre chose, avec conviction,
avec vérité, par entraînement d'habitude et
sans parti pris de plaire à personne. Il était l'homme
du monde qui songeait le moins à plaire, quoiqu'il y eût
souvent bien de l'art dans sa bonhomie, bien du cœur et bien de
l'élan dans sa rudesse. Le général Rogniat
avait écrit (6) que les passions les plus propres à
inspirer du courage aux troupes étaient, selon lui, «
le fanatisme religieux, l'amour de la patrie, l'honneur, l'ambition,
l'amour, enfin le désir des richesses... Je passe sons silence
la gloire, ajoute l'auteur ; les soldats entendent trop rarement
son langage pour qu'elle ait de l'influence sur leur courage....
»
C'était
là, il faut bien l'avouer, une opinion un peu métaphysique
pour l'époque où le général Rogniat
écrivait, et qui, fût-elle fondée (ce que je
ne crois pas), n'était ni utile à répandre
ni bonne à dire.
« .... Mais quoi! s'écrie le colonel Marbot dans sa
réponse, quoi! ils n'entendaient pas le langage de la gloire,
ces soldats qui jurèrent au général Rampon
de mourir avec lui dans la redoute de Montélésimo !
ceux qui, saisissant leurs armes à la voix de Kléber,
préférèrent une bataille sanglante à
une capitulation honteuse! Ils n'entendaient pas le langage de la
gloire les soldats d'Arcole, de Rivoli, de Castiglione et de Marengo,
ceux d'Austerlitz, de Iéna et de Wagram ! Ces milliers de
braves qui couraient à une mort presque certaine dans le
seul espoir d'obtenir la croix de la Légion, n'entendaient
pas le langage de la gloire !... Que veulent donc ces braves
soldats qui s'élancent les premiers sur la brèche
ou s'enfoncent dans les rangs des escadrons ennemis ? Ils veulent
se distinguer, se faire une réputation d'hommes intrépides,
qui attirera sur eux l'estime de leurs chefs, les louanges de leurs
compagnons et l'admiration de leurs concitoyens. Si ce n'est pas
là l'amour de la gloire, qu'est-ce donc?... » (7).
J'ai cité cette héroïque tirade, non pas pour
donner une idée du style du général Marbot :
il a d'ordinaire plus de tempérance, plus de mesure, plus
d'originalité, même dans sa force ;— mais ce style
à la baïonnette, qu'on aurait pu taxer de déclamation
dans un temps différent du nôtre, a aujourd'hui un
incontestable à-propos. Une fois en guerre, qui ne reconnaît
que cette façon de juger le soldat français est à
la fois la plus équitable, la plus politique et la plus vraie ?
Marbot était le moins pindarique et le moins déclamateur
des hommes, quoiqu'il y eût parfois bien de l'imagination
dans son langage. Mais un sûr instinct lui avait montré
ce qui fait battre la fibre populaire sous l'uniforme du soldat
et sous le drapeau de la France ; et aujourd'hui, après
quarante ans, en rapprochant de ces lignes épiques, détachées
d'un vieux livre, la liste récemment présentée
au général Canrobert des 8.000 braves qui se sont
fait inscrire pour l'assaut de Sébastopol, n'est-ce pas le
cas de répéter avec le général Marbot :
Si l'amour de la gloire n'est pas là, où est-il donc ?...
Cette solidarité traditionnelle de la bravoure dans les rangs
de l'armée française, aussi loin que remontent dans
le passé ses glorieuses annales, est très nettement
marquée dans l'ouvrage que le colonel Marbot écrivait
en 1816 et qu'il publiait quelques années après. S'il
l'eût écrit vingt ou trente ans plus tard, il n'eût
pas seulement nommé les conquérants de l’Égypte,
de l'Allemagne et de l'Italie ; il eût signalé,
dans les héritiers de ces belliqueux instincts, la même
flamme d'héroïsme qui animait les pères ;
il les eût suivis sous les murs de Cadix, dans les champs
de la Morée et à l'attaque du fort l'Empereur. Plus
tard, il eût cité ces infatigables soldats qui nous
ont donné l'Afrique : il les avait vus à l'œuvre.
Il est mort, en faisant comme nous tous de patriotiques vœux pour
le succès de nos armes, engagées si glorieusement
et si loin ! Les drapeaux changent, les révolutions
s'accumulent, les années s'écoulent :la bravoure
française ne varie pas. Elle est dans la race et dans le
sang. Marbot était plus que personne un type éminent
de ce courage de nature, comme il l'appelle, qui n'a pas seulement
la solidité, mais l'élan, qui n'attend pas l'ennemi,
qui court à lui et le surprend, comme les zouaves à
l'Alma, par ces apparitions soudaines qui font de la vitesse elle-même
un des éléments de la victoire. Ce courage de l'invasion,
de l'offensive, cet art, ou plutôt ce don de marcher en avant,
« de tirer avantage des lenteurs de l'ennemi, de l'étonner
par sa présence, et de frapper les grands coups avant qu'il
ait pu se reconnaître ; » — cette sorte de courage
était bien celle qui convenait à une nation prédestinée,
plus qu'aucune autre, par la franchise de son génie, par
l'expansion contagieuse de son caractère, par la facilité
de sa langue acceptée de tous, à la diffusion de ses
sentiments et de ses idées ; — et il n'est pas inutile
de le rappeler, au moment où un si grand nombre de Français
sont en ligne devant un redoutable ennemi. Marbot avait, avec toutes
les qualités sérieuses du métier, ce courage
d'avant-garde, et il était cité dans l'armée
pour l'audace de ses entreprises ou de ses aventures. Un jour (c'était,
je crois, au début de la campagne de Russie, et il venait
d'être nommé colonel), il arrive à la tête
de son régiment devant un gué qu'il avait mission
de franchir. Le passage était défendu par un nombreux
détachement de Cosaques, appuyés sur une artillerie
imposante. Marbot fait reconnaître la position, qui est jugée
imprenable. « Marchons, dit-il; mes épaulettes
sont d'hier, il leur faut un baptême; en avant !.. »
Et disant cela, il pique des deux. Il y eut là, pendant quelques
instants, une lutte corps à corps, sabre contre sabre, et
des provocations d'homme à homme, comme dans un chant d'Homère.
Enfin l'ennemi céda, les canons furent pris. Marbot reçut
sa quinzième blessure, mais il passa.
Le général
Marbot avait été fidèle à l'Empire jusqu'à
souffrir, en mémoire de cette glorieuse époque, la
proscription et l'exil. Nous avons vu comment la Restauration lui
rendit à la fin justice, et comment la dynastie de Juillet
lui donna sa confiance. La révolution de Février le
mit à la retraite. Le général Marbot se résigna.
Il accepta sans se plaindre une disgrâce qui le rattachait
encore à la royauté déchue. Il avait la qualité
des nobles cœurs, il était fidèle. Le souci très
éclairé et très intelligent du père
de famille n'avait jamais affaibli chez lui le citoyen ni le soldat.
Après avoir été un des héros de l'épopée
impériale, il fut un des personnages les plus considérables
et les plus favorisés de la monarchie de Juillet ; et
il s'en est souvenu jusqu'à son dernier jour, non sans un
mélange de douloureuse amertume, quand il songeait à
cette jeune branche d'un tronc royal, brisée fatalement sous
ses yeux, mais avec une imperturbable sérénité
de conscience, en songeant aussi qu'il n'avait jamais cessé,
depuis soixante ans, de servir son pays sur tous les champs de bataille,
dans toutes les rencontres sérieuses, dans l'armée,
dans le parlement, dans les affaires publiques, dans l'éducation
d'un prince, et jusque dans ces derniers et trop courts loisirs
de sa verte vieillesse, consacrés au récit de nos
grandes guerres et au souvenir de nos victoires immortelles.
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