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Les Horreurs de la guerre

 

     
Voici un article de la journaliste Séverine publié en avril 1905 dans la revue "Je sais tout"...
neuf ans avant le déclenchement de la première guerre mondiale, dont les esprits les plus pénétrants pouvaient prévoir les horreurs, à la lumière de la guerre russo-japonaise.
 
 

 

Dans l'état actuel de la société, les armées sont nécessaires, mais la guerre, dont la préparation est un patriotique devoir, n'en est pas moins par elle-même un fléau qu'il ne faut cesser de maudire. Si on la regarde de près, si on cherche les chiffres, si on scrute la réalité des faits, et à l'heure actuelle, hélas, rien n'est plus facile, l'imagination demeure confondue, la raison s'affole. le cœur se soulève d'horreur.

   
 
     
 


Cette pyramide de têtes de morts, de crânes dénudés et lisses, aux orbites vides, dorés par le soleil, polis par le vent, lavés par les intempéries, Vereschagine, le grand peintre des horreurs de la guerre, la rencontra, en je ne sais plus quelle solitude de l'Inde.
C'était tout ce qui restait d'un grand combat, de puissantes armées. La fantaisie de deux chefs avait suffi à décider l'hécatombe.
Chacun de ces débris représentait un être humain fauché dans sa force, dans sa fleur ; chacune de ces sphères osseuses avait contenu un cerveau, l'essaim des rêves précis ou obscurs que tout homme porte en soi. Les corbeaux avaient pris la chair, les songes, et, a tire d'ailes étaient partis dans la rafale.
Quelqu'un avait ordonné de concentrer les restes; et les voyageurs traversant la plaine, soit par piété, soit par obéissance, s'appliquaient à rejeter au tas tout fragment isolé.

Les oiseaux noirs continuaient de hanter le site - la bonne auberge! - où si longtemps ils avaient festiné. A peine s'ils accordaient 'quelque attention aux vivants de passage.
Vereschagine fit halte, tira son album. Il était sénsible à ces macabres spectacles plus qu'un autre peut-être, en raison de souvenirs personnels.
Lorsqu'après trois mois de siège Plevna s'était rendue, le peintre avait pu approcher de la ville, s'acheminer vers l'endroit où son frère très chéri était tombé en combattant.
J'eus beau chercher, a-t-il écrit, je ne vis que des crânes grimaçants et des squelettes recouverts par-ci, par-là, de lambeaux d'étoffe, et dont les mains paraissaient se tendre vers un point quelconque de l'horizon, Comment reconnaître mon frère? J'ai examiné avec attention les restes d'uniformes, les crânes, les orbites, et je n'y pus tenir; mes larmes coulaient à torrents, et longtemps je ne pus maîtriser mes sanglots.
De ne pas retrouver celui à qui l'attachaient les liens du sang, de cette tragique impuissance à démêler sa race d'entre les étrangers, sa fraternité s'élargit, s'étendit...
Et dans la jungle, devant ce tumulus effroyable, l'artiste évoquait son propre deuil : le charnier de Plevna ! Alors, il fit une esquisse, l'intitula : « Apothéose de la Guerre », et dédia l'oeuvre : « A tous les grands Conquérants du passé, du présent et de l'avenir ».
Depuis, c'est l'introduction à presque toutes les publications traitant du fléau que la discorde humaine a jugé bon d'ajouter aux calamités naturelles et relativement inéluctables.
D'ailleurs, les faits sont plus effrayants que les images... Prenons-en quelques-uns. S'agit-il de la Grande Armée aux abois, en retraite dans les neiges slaves, réduite, en six mois, de 700.000 à 33.000 soldats? S'agit-il des campagnes napoléoniennes, des huit millions de victimes (dont trois de Français) que fit Bonaparte en seize années de victoires ?
Ou bien des 800.000 combattants disparus dans la campagne de Crimée ; des 300.000 de la guerre d'Italie; des 300.000 du duel prusso-autrichien, que conclut Sadowa; des 500.000 de la guerre de Sécession ; des 800.000 de la campagne de France, en 1870 ; des 400.000 de la guerre turco-russe ? Ou bien encore du demi-million d'existences que dépensèrent les luttes civiles de l'Amérique du Sud ; des trois millions de vies que coûtèrent aux nations européennes la conquête coloniale, de celle des Indes à celle de Madagascar ?

(à suivre...)


     

 

 

 

     

 

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