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Le premier corps qui était en tête, attaqua et culbuta plusieurs
fois l'arrière-garde ennemie, et la suivit jusqu'à la nuit, qu'elle
prit position sur le plateau en arrière du village de Mont-Saint-Jean,
sa droite s'étendant vers le village de Braine, et sa gauche se
prolongeant indéfiniment dans la direction de Wavre. Il faisait
un temps affreux. Tout le monde était persuadé que l'ennemi prenait
position pour donner à ses convois et à ses parcs le temps de traverser
la forêt de Soignes, et que lui-même exécuterait le même mouvement
à la pointe du jour.
Au
jour, l'ennemi fut reconnu dans la même position. Il faisait un
temps effroyable, qui avait tellement dénaturé les chemins, qu'il
était impossible de manœuvrer avec l'artillerie dans la campagne.
Vers neuf heures, le temps s'éleva, le vent sécha un peu la campagne,
et l'ordre d'attaquer à midi fut donné par l'empereur.
(...)
Le
deuxième corps commença l'attaque à midi. La division commandée
par le prince Jérôme, attaquait le bois qui était placé en avant
de la droite de l'ennemi. Il s'avança d'abord et fut repoussé, et
n'en resta entièrement maître qu'après plusieurs heures de combat
opiniâtre.
Le
premier corps dont la gauche était appuyée à la grand'route, attaquait
en même temps les maisons de Mont-Saint-Jean, s'y établissait, et
se portait jusque sur la position de l'ennemi. Le maréchal Ney qui
commandait les deux corps, se trouvait de sa personne sur la grand'route,
pour diriger les mouvements suivant les circonstances.
Le
maréchal me dit, pendant la bataille, qu'il allait faire un grand
effort sur le centre de l'ennemi, pendant que la cavalerie ramasserait
les pièces qui paraissaient n'être pas beaucoup soutenues. Il me
dit plusieurs fois, lorsque je lui portais des ordres, que nous
allions remporter une grande victoire.
Cependant
le corps prussien qui s'était joint à la gauche des Anglais, se
mit en potence sur notre flanc droit et commença à l'attaquer vers
cinq heures et demie du soir. Le 6e corps, qui n'avait pas pris
part à la bataille du 16, fut disposé pour lui faire face, et fut
soutenu par une division de la jeune garde et quelques batteries
de la garde. Vers sept heures, on aperçut dans le lointain, vers
notre droite, un feu d'artillerie et de mousqueterie. On ne douta
pas que le maréchal Grouchy n'eût suivi le mouvement des Prussiens
et ne vînt prendre part à la victoire. Des cris de joie se font
entendre sur toute notre ligne. Les troupes, fatiguées par huit
combats, reprennent vigueur et font de nouveaux efforts. L'Empereur
regarde cet instant comme décisif. Il porte en avant toute sa garde
; ordonne à quatre bataillons de passer près le village de Mont-Saint-Jean,
de se porter sur la position ennemie, et d'enlever à la baïonnette
tout ce qui résisterait. La cavalerie de la garde et tout ce qui
restait de cavalerie sous la main, seconda ce mouvement. Les quatre
bataillons, en arrivant sur le plateau, sont accueillis par le feu
le plus terrible de mousqueterie et de mitraille. Le grand nombre
de blessés qui se détache fait croire que la garde est en déroute.
Une terreur panique se communique aux corps voisins, qui prennent
la fuite avec précipitation. La cavalerie ennemie qui s'aperçoit
de ce désordre, est lâchée dans la plaine ; elle est contenue pendant
quelque temps par les douze bataillons de vieille garde qui n'avaient
point encore donné et qui, entraînés eux-mêmes par ce mouvement
inexplicable, suivent, mais en ordre, la marche des fuyards.
Toutes
les voitures d'artillerie se précipitent sur la grande route, bientôt
elles s'y accumulent tellement qu'il est impossible de les faire
marcher, elles sont pour la plupart abandonnées sur le chemin, et
dételées par les soldats qui en emmènent les chevaux.
Tout
se précipite vers le pont de Charleroi et celui de Marchiennes,
d'où les débris furent dirigés sur Philippeville et Avesnes.
Tel
est l'exposé de cette funeste journée. Elle devait mettre le comble
à la gloire de l'armée française, détruire toutes les vaines espérances
de l'ennemi, et peut-être donner très prochainement à la France
la paix si désirée ; mais le ciel en a décidé autrement, il a voulu
qu'après tant de catastrophes notre malheureuse patrie fût encore
une fois exposée aux ravages des étrangers.
Quoique
nos pertes soient considérables, notre position n'est cependant
pas désespérée. Les ressources qui nous restent sont bien grandes
si nous voulons les employer avec énergie.
(...)
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