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  Waterloo battle 1815

 

 

 

 

 

 

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Lettre du Maréchal Ney au duc d'Otrante

     
 

     
 

Le 25 juin 1815, le maréchal Ney fut dénoncé dans un club de fédérés comme trahissant la patrie. Son intervention à la Chambre des Pairs, le 22 juin, où il avait affirmé que l'armée était battue sans ressources, et que la seule issue était de traiter avec les ennemis, avait choqué l'opinion et donné lieu à ces accusations de trahison.
Pour se défendre de ces accusations, le maréchal Ney écrivit à Fouché, président du gouvernement provisoire, une lettre dans laquelle il donnait son point de vue sur la campagne de Belgique. Il demandait expressément que cette lettre soit insérée dans les journaux afin qu'elle reçoive "la plus grande publicité".

   

 

Lettre du Maréchal Prince de la Moskowa, au duc d’Otrante, du 26 juin 1815

   
 

A S. Exc. M. le duc d’Otrante.

    Monsieur le Duc,

    Les bruits les plus diffamants et les plus mensongers se répandent depuis quelques jours dans le public, sur la conduite que j’ai tenue dans cette courte et malheureuse campagne : les journaux les répètent et semblent accréditer la plus odieuse calomnie. Après avoir combattu pendant 25 ans, et versé mon sang pour la gloire et l’indépendance de ma patrie, c’est moi que l’on ose accuser de trahison, c’est moi que l’on signale au peuple, à l’armée même, comme l’auteur du désastre qu’elle vient d’essuyer !
Forcé de rompre le silence, car s’il est toujours pénible de parler de soi, c’est surtout lorsque l’on a à repousser la calomnie, je m’adresse à vous, M. le duc, comme président du gouvernement provisoire, pour vous tracer un exposé fidèle de ce dont j’ai été témoin.
(...)
    Le 18, la bataille commença vers une heure, et quoique le Bulletin qui en donne le récit ne fasse aucune mention de moi, je n’ai pas besoin d’affirmer que j’y étais présent. [Bulletin]
M le lieutenant général Drouot a déjà parlé de cette bataille, dans la chambre des pairs [Discours de Drouot] ; sa narration est exacte, à l’exception toutefois de quelques faits importants qu’il a tus ou qu’il a ignorés, et que je dois faire connaître. Vers sept heures du soir, après le plus affreux carnage que j’aie jamais vu, le général Labédoyère vint me dire de la part de l’empereur, que M. le maréchal Grouchy arrivait à notre droite, et attaquait la gauche des Anglais et des Prussiens réunis ; cet officier général, en parcourant la ligne, répandit cette nouvelle parmi les soldats, dont le courage et le dévouement étaient toujours les mêmes, et qui en donnèrent de nouvelles preuves en ce moment, malgré la fatigue dont ils étaient exténués. Cependant quel fut mon étonnement, je dois dire mon indignation, quand j’appris, quelques instants après, que non seulement M. le maréchal Grouchy n’était pas arrivé à notre appui, comme on venait de l’assurer à toute l’armée, mais que quarante à cinquante mille Prussiens attaquaient notre extrême droite, et la forçaient de se replier ! Soit que l’empereur se fût trompé sur le moment où M. le maréchal Grouchy pouvait le soutenir, soit que la marche de ce maréchal eût été plus retardée qu’on ne l’avait présumé par les efforts de l’ennemi, le fait est qu’au moment où l’on nous annonçait son arrivée, il n’était encore que vers Wavre, sur la Dyle : c’était pour nous comme s’il se fût trouvé à cent lieues de notre champ de bataille.
Peu de temps après, je vis arriver quatre régiments de la moyenne garde, conduits par l’empereur en personne, qui voulait, avec ces troupes, renouveler l’attaque et enfoncer le centre de l’ennemi ; il m’ordonna de marcher à leur tête avec le général Friant : généraux, officiers, soldats, tous montrèrent la plus grande intrépidité ; mais ce corps de troupes était trop faible pour pouvoir résister longtemps aux forces que l’ennemi lui opposait, et il fallut bientôt renoncer à l’espoir que cette attaque avait donné pendant quelques instants. Le général Friant a été frappé d’une balle à côté de moi ; moi-même, j’ai eu mon cheval tué, et j’ai été renversé sous lui. Les braves qui reviendront de cette terrible affaire me rendront, j’espère, la justice de dire qu’ils m’ont vu à pied, l’épée à la main, pendant toute la soirée, et que je n’ai quitté cette scène de carnage que l’un des derniers, et au moment où la retraite a été forcée.
Cependant les Prussiens continuaient leur mouvement offensif, et notre droite pliait sensiblement : les Anglais marchèrent à leur tour en avant. Il nous restait encore quatre carrés de la vieille garde, placés avantageusement pour protéger la retraite ; ces braves grenadiers, l’élite de l’armée, forcés de se replier successivement, n’ont cédé le terrain que pied à pied, jusqu’à ce qu’enfin, accablés par le nombre, ils ont été presqu’entièrement détruits. Dès lors le mouvement rétrograde fut prononcé, et l’armée ne forma plus qu’une colonne confuse ; il n’y a cependant jamais eu de déroute, ni de cris sauve qui peut, ainsi qu’on en a osé calomnier l’armée dans le Bulletin. Pour moi, constamment à l’arrière-garde que je suivis à pied, ayant eu tous mes chevaux tués, exténué de fatigue, couvert de contusions, et ne me sentant plus la force de marcher, je dois la vie à un caporal de la garde qui me soutint dans ma marche, et ne m’abandonna point pendant cette retraite. Vers onze heures du soir, je trouvai le lieutenant général Lefebvre-Desnouettes ; et l’un de ses officiers, le major Schmidt, eut la générosité de me donner le seul cheval qui lui restât. C’est ainsi que j’arrivai à Marchienne-au-Pont, à quatre heures du matin, seul, sans officiers, ignorant ce qu’était devenu l’empereur que, quelque temps avant la fin de la bataille, j’avais entièrement perdu de vue, et que je pouvais croire pris ou tué. Le général Pamphile Lacroix, chef de l’état-major du deuxième corps, que je trouvai dans cette ville, m’ayant dit que l’empereur était à Charleroi, je dus supposer que S.M. allait se mettre à la tête du corps de M. le maréchal Grouchy, pour couvrir la Sambre, et faciliter aux troupes les moyens de se rallier vers Avesnes, et, dans cette persuasion, je me rendis à Beaumont ; mais des partis de cavalerie nous suivant de très près, et ayant déjà intercepté les routes de Maubeuge et de Philippeville, je reconnus qu’il était de toute impossibilité d’arrêter un seul soldat sur ce point, et de s’opposer aux progrès d’un ennemi victorieux. Je continuai ma marche sur Avesnes, où je ne pus obtenir aucuns renseignements sur ce qu’était devenu l’empereur.
    Dans cet état de choses, n’ayant de nouvelles ni de S.M., ni du major général, le désordre croissant à chaque instant et, à l’exception des débris de quelques régiments de la garde et de la ligne, chacun s’en allant de son côté, je pris la détermination de me rendre sur-le-champ à Paris, par Saint-Quentin, pour faire connaître le plus promptement possible au ministre de la guerre la véritable situation des affaires, afin qu’il pût au moins envoyer au-devant de l’armée quelques troupes nouvelles, et prendre rapidement les mesures que nécessitaient les circonstances. A mon arrivée au Bourget, à trois lieues de Paris, j’appris que l’empereur y avait passé le matin à neuf heures.
    Voilà, monsieur le duc, le récit exact de cette funeste campagne.
    Maintenant, je le demande à ceux qui ont survécu à cette belle et nombreuse armée : de quelle manière pourrait-on m’accuser du désordre dont elle vient d’être victime, et dont nos fastes militaires n’offrent point d’exemple ? J’ai, dit-on, trahi la patrie, moi qui, pour la servir, ai toujours montré un zèle que peut-être j’ai poussé trop loin et qui a pu m’égarer ; mais cette calomnie n’est et ne peut être appuyée d’aucun fait, d’aucune circonstance, d’aucune présomption. D’où peuvent cependant provenir ces bruits odieux qui se sont répandus tout à coup avec une effrayante rapidité ? Si, dans les recherches que je pourrais faire à cet égard, je ne craignais presqu’autant de découvrir que d’ignorer la vérité, je dirais que tout me porte à croire que j’ai été indignement trompé, et qu’on cherche à envelopper du voile de la trahison les fautes et les extravagances de cette campagne, fautes qu’on s’est bien gardé d’avancer dans les Bulletins qui ont paru, et contre lesquelles je me suis inutilement élevé avec cet accent de la vérité que je viens encore de faire entendre dans la chambre des pairs.
J’attends de la justice de V. Exc., et de son obligeance pour moi, qu’elle voudra bien faire inscrire cette lettre dans les journaux, et lui donner la plus grande publicité.

        Je renouvelle à V. Exc., etc.

                                Le maréchal, Prince de la Moskowa,
                                                        Signé Ney
    Paris, le 26 juin 1815.

     

 

 

 

 

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