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J'occupai
jusqu'à dix heures du soir, avec deux escadrons, une position sur
laquelle les Anglais étaient le lendemain. Les fusées à la Congrève
qu'ils lancèrent toute la soirée, passaient au-dessus de nous, et
faisaient dans les ténèbres un superbe effet. Les plaisants disaient
que c'était un feu d'artifice que l'ennemi nous donnait.
Enfin, je reçus l'ordre de rejoindre en
arrière le reste de la brigade. Le temps était affreux ; la pluie
tombait par torrents ; après avoir erré quelque temps, pour trouver
où nous caser, les deux régiments s'établirent dans une grande ferme,
où les hommes et les chevaux furent à peu près à couvert.
Le 18 à quatre heures du matin, nous étions
à cheval et vers huit heures, après avoir fait rafraîchir nos chevaux
quelques instants, nous nous rendîmes sur le champ de bataille.
Notre régiment fut détaché de la division et, avec trois escadrons
de chasseurs, prit position à l'extrême droite, n'ayant pas d'ennemis
devant nous.
Le combat s'engagea à notre gauche sur
toute la ligne. Dès midi, la panique s'empara de quelques régiments
d'infanterie du 1er corps d'armée et le sauve-qui-peut y
fut prononcé. Ils fuyaient dans le plus grand désordre, je courus
à eux avec un peloton de hussards pour les arrêter. Voyant parmi
les fuyards un porte-drapeau avec son aigle, je lui dis de me la
remettre; il l'avançait déjà pour ma la donner, lorsque la réflexion
me vint : "Je ne veux pas vous déshonorer, monsieur,
lui dis-je, déployez votre drapeau et portez vous en avant, en
criant avec moi Vive l'Empereur !" Il le fit sur le champ,
le brave homme ! Bientôt les soldats s'arrêtèrent et, dans peu d'instants,
grâce à ses efforts et aux nôtres, près de trois mille hommes étaient
réunis et avaient fait volte-face.
Cette fuite était d'autant plus étonnante
et extraordinaire que l'ennemi ne poursuivait pas ; mais par qui
le malveillant sauve-qui-peut avait-il été prononcé
? On l'ignorait.
Jusque vers quatre heures, nous restâmes
paisibles spectateurs de la bataille. Dans ce moment le général
Domon vint à moi ; le feu des Anglais était à peu près cessé ; il
me dit que l'affaire était gagnée, que l'armée ennemie était en
retraite, que nous étions là pour faire jonction avec le corps du
maréchal Grouchy et que nous serions le soir à Bruxelles ; il partit.
Peu de moments après, au lieu de faire
jonction avec les troupes du maréchal Grouchy comme nous nous y
attendions, nous reçûmes l'attaque d'un régiment de hulans prussiens.
Nous le repoussâmes vigoureusement et lui donnâmes la chasse, mais
nous fûmes forcés à la retraite par le feu à mitraille de six pièces
de canon, derrière lesquelles les hulans se replièrent.
Le colonel Marbot
avait été blessé d'un coup de lance à la poitrine, dans l'attaque
des Prussiens.
Attaqués alors par l'infanterie, nous nous
reployâmes sur le centre en battant en retraite.
Dans notre mouvement rétrograde, nous rencontrâmes
le maréchal Soult, major général, qui nous
fit placer près d'une batterie de la garde pour la soutenir ; le
canon ennemi nous fit quelque mal.
Peu après, nous reçûmes l'ordre de nous porter en arrière, pour
nous opposer à des tirailleurs prussiens.
Jusque là, nous pensions que la bataille était gagnée sur les autres
points de la ligne ; mais lorsque, arrivés sur la grande route,
nous la vîmes encombrée de fuyards, nous fûmes détrompés. Nous cherchâmes
d'abord à les rallier, mais cela fut impossible, il fallut faire
aussi retraite, mais du moins, nous la fîmes en ordre, marchant
à quelques centaines de pas sur le côté de la route, jusqu'à ce
que la nuit et les difficultés du chemin nous eussent forcés à y
rentrer et à marcher pêle-mêle, avec les fuyards de toutes armes.
(...)
Il tint à peu de chose que les résultats de cette
déplorable journée ne fussent bien différents
!... Le désordre était déjà dans l'armée
anglaise, lorsque le corps prussien, s'étant dérobé
au maréchal Grouchy, arriva sur le champ de bataille et ramena
la victoire plus qu'échappée, aux Anglais. Sans cette
marche adroite, le pont de Waterloo construit sur la Tamise, l'eût
été sur la Seine ! Ah ! du moins, d'après toute
justice, on devrait voir sur ce monument la statue du général
prussien ! .. |
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