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Histoire militaire de la
Révolution et de l'Empire

     
 

     
 

Le colonel Henri Bernard, professeur à l'Ecole royale militaire de Belgique de 1948 à 1965, a publié en 1954 une excellente étude sur Waterloo : "La Campagne de 1815 en Belgique ou la faillite de la liaison et des transmissions." (Bruxelles, 1954.)

En 1961, dans une analyse critique de l'ouvrage de Guglielmo Ferrero "Aventure, Bonaparte en Italie" (paru en 1936), il a mis en lumière quelques points fondamentaux que ne devraient pas perdre de vue ceux qui étudient l'histoire militaire de la Révolution et de l'Empire :

 
 

 

Henri Bernard, En lisant "Aventure, Bonaparte en Italie", par Guglielmo Ferrero,
critique historique et histoire militaire.
Revue belge de philologie et d’histoire. 1961, tome XXXIX, n° 2.

   
 

(...)

COMMENT ÉTUDIER L'HISTOIRE MILITAIRE
DE LA RÉVOLUTION ET DE L'EMPIRE ?

En admettant volontiers que Ferrero ait parfois forcé la note en sens contraire dans sa présentation remaniée de la Campagne d'Italie, l'exemple n'en montre pas moins que toute la période révolutionnaire, consulaire, impériale, devrait être « repensée » au point de vue militaire. Si des groupes de chercheurs, travaillant avec objectivité, dépouillaient les archives, dont tant sont encore inexploitées, les vues conventionnelles s'en trouveraient bouleversées.
Tous ceux qui lisent des ouvrages ou qui se proposent de rédiger un travail sur les campagnes de 1792-1815, devraient tout d'abord méditer les points suivants:
1 °) La Révolution fut idéologique. Il ne s'agit pas ici de contester le grand actif de cette Révolution dans la réalisation des réformes indispensables et des institutions durables. Nous n'envisageons que les opérations militaires. Mais tout régime idéologique - nous le savons mieux encore depuis quarante ans - a un besoin vital de propagande. Donc, il arrange, tronque, falsifie, embellit les faits.
2°) Le Consulat et l'Empire eurent, eux aussi, un grand besoin de propagande pour idéaliser le Corse, pour exalter le moral à l'intérieur, pour impressionner et s'acquérir les pays conquis. Les Bulletins périodiques de la Grande Armée donnaient une première version des batailles. Le Dépôt de la Guerre en faisait ultérieurement une « toilette » plus spectaculaire. Enfin, Napoléon, durant ses cinq années d'exil, eut tout le temps de donner la « version définitive » de ses Campagnes à l'usage de la postérité. Il dictait, pour le Mémorial, maintes de ses conceptions, non pas telles qu'elles furent, mais telles qu'avec le recul, il souhaitait qu'elles eussent été. Non seulement ses déclarations manquent-elles souvent de sincérité et d'objectivité mais aussi d'honnêteté vis-à-vis de ses subordonnés qu'il n'a que trop tendance à rendre responsable des échecs.
3°) La période qui suit 1815 est celle du Romantisme. Les Romantiques, se souciant fort peu de vérité historique, se complaisent dans l'amplification des exploits d'un temps révolu. Emportés par la passion, les écrivains du XIXe siècle déforment les faits à l'instar de Thiers, donnent des accrocs à la géographie, falsifient les rapports des effectifs en présence. A cette époque, répétons-le, la saine critique historique est ignorée. Les disciplines auxiliaires de l'Histoire sont peu ou mal employées. Beaucoup d'écrivains militaires et civils adoptent, sans vérification, la littérature impériale ou post-impériale.

4°) Et pendant plus d'un siècle, tous ceux qui ont étudié l'histoire militaire de la Révolution et de l'Empire se sont abreuvés à ces mêmes sources et à ces sources seules. On comprend dès lors combien les versions qu'on nous a données sont sujettes à caution.
Voyons brièvement quelques traits de cette incroyable subjectivité. Commençons par les campagnes de la Révolution avant 1796, soit les années pré-Bonaparte. A ce moment, les armées révolutionnaires disposent de grands avantages sur leurs adversaires:
1°) La masse. La France est la nation la plus peuplée et la plus homogène d'Europe. De plus, la Convention décrétera la mobilisation totale des hommes et des choses ce qui mettra à sa disposition une réserve de moyens inépuisable. En face, les adversaires maintiendront longtemps encore le système de recrutement restreint d'ancien régime ; Prussiens et Autrichiens auront des effectifs d'autant plus réduits qu'ils s'intéresseront beaucoup plus au partage de la Pologne - où les Russes pourraient profiter de leur faiblesse - qu'à l'Occident. Et l'on sait combien Berlin, à partir de 1794 déjà, fera le jeu de Paris.
2°) Un dynamisme provoqué par l'enthousiasme chez les uns, par la promesse du fameux partage chez les autres : le milliard prélevé sur le produit de la vente des biens nationaux.
3°) L'organisation divisionnaire et l'artillerie de Gribeauval. Avantages qui seront du reste fort mal utilisés avant qu'apparaisse Bonaparte.
4°) La souplesse due au système de réquisition, à la « vie sur le pays », terminologie qui signifie tout simplement l'exploitation totale des pays occupés alors que les adversaires en sont encore au paralysant système des magasins.
Or, jusqu'en 1796, c'est à l'effet de masse seul que seront dus les succès des révolutionnaires auxquels il manquera des cadres compétents et de l'instruction. Les ouvrages du siècle passé, pour auréoler les armées de Sambre-et-Meuse et autres, jetaient un voile sur les effectifs en présence.

(...)

Avec l'année 1796 et l'arrivée de Bonaparte, la situation change. Le jeune chef possède un très grand talent. Les manœuvres autour de Mantoue en 1796-1797, celle de 1800 en Italie, Ulm et Austerlitz, Iéna et Friedland, sont du meilleur classique. Napoléon devient le virtuose du guibertisme mais il dépasse son modèle qui n'avait prévu ni l'emploi de l'artillerie en masse, ni la succession des efforts par l'ordre divisionnaire.
Il faut cependant ne pas perdre de vue que Napoléon continue à disposer seul, jusqu'en 1809, de tous les avantages dont jouissaient les armées révolutionnaires. En plus, il a des finances solides grâce aux excellentes mesures qu'il a prises sous le Consulat, grâce aussi à l'imposition et à l'exploitation systématique des pays asservis. Il dispose de ressources humaines considérables grâce à une conscription effrénée en France et dans toute l'Europe occupée. Il présente l'unité de commandement politico-militaire contre les coalisés guidés par des intérêts différents et ne synchronisant pas leurs efforts dans l'espace et le temps. Mais même dans cette période, incontestablement d'éclat, que de fausses lumières ont été projetées. Examinons succinctement, Marengo, Austerlitz et Iéna-Auerstädt.

     

 

 

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