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COMMENT
ÉTUDIER L'HISTOIRE MILITAIRE
DE LA RÉVOLUTION ET DE L'EMPIRE ?
En
admettant volontiers que Ferrero ait parfois forcé la note
en sens contraire dans sa présentation remaniée de
la Campagne d'Italie, l'exemple n'en montre pas moins que toute
la période révolutionnaire, consulaire, impériale,
devrait être « repensée » au point de vue
militaire. Si des groupes de chercheurs, travaillant avec objectivité,
dépouillaient les archives, dont tant sont encore inexploitées,
les vues conventionnelles s'en trouveraient bouleversées.
Tous ceux qui lisent des ouvrages ou qui se proposent de rédiger
un travail sur les campagnes de 1792-1815, devraient tout d'abord
méditer les points suivants:
1 °) La Révolution fut idéologique. Il ne s'agit
pas ici de contester le grand actif de cette Révolution dans
la réalisation des réformes indispensables et des
institutions durables. Nous n'envisageons que les opérations
militaires. Mais tout régime idéologique - nous le
savons mieux encore depuis quarante ans - a un besoin vital de propagande.
Donc, il arrange, tronque, falsifie, embellit les faits.
2°) Le Consulat et l'Empire eurent, eux aussi, un grand besoin
de propagande pour idéaliser le Corse, pour exalter le moral
à l'intérieur, pour impressionner et s'acquérir
les pays conquis. Les Bulletins périodiques de la Grande
Armée donnaient une première version des batailles.
Le Dépôt de la Guerre en faisait ultérieurement
une « toilette » plus spectaculaire. Enfin, Napoléon,
durant ses cinq années d'exil, eut tout le temps de donner
la « version définitive » de ses Campagnes à
l'usage de la postérité. Il dictait, pour le Mémorial,
maintes de ses conceptions, non pas telles qu'elles furent, mais
telles qu'avec le recul, il souhaitait qu'elles eussent été.
Non seulement ses déclarations manquent-elles souvent de
sincérité et d'objectivité mais aussi d'honnêteté
vis-à-vis de ses subordonnés qu'il n'a que trop tendance
à rendre responsable des échecs.
3°) La période qui suit 1815 est celle du Romantisme.
Les Romantiques, se souciant fort peu de vérité historique,
se complaisent dans l'amplification des exploits d'un temps révolu.
Emportés par la passion, les écrivains du XIXe siècle
déforment les faits à l'instar de Thiers, donnent
des accrocs à la géographie, falsifient les rapports
des effectifs en présence. A cette époque, répétons-le,
la saine critique historique est ignorée. Les disciplines
auxiliaires de l'Histoire sont peu ou mal employées. Beaucoup
d'écrivains militaires et civils adoptent, sans vérification,
la littérature impériale ou post-impériale.
4°) Et pendant plus d'un siècle, tous ceux qui ont étudié
l'histoire militaire de la Révolution et de l'Empire se sont
abreuvés à ces mêmes sources et à ces
sources seules. On comprend dès lors combien les versions
qu'on nous a données sont sujettes à caution.
Voyons brièvement quelques traits de cette incroyable subjectivité.
Commençons par les campagnes de la Révolution avant
1796, soit les années pré-Bonaparte. A ce moment,
les armées révolutionnaires disposent de grands avantages
sur leurs adversaires:
1°) La masse. La France est la nation la plus peuplée
et la plus homogène d'Europe. De plus, la Convention décrétera
la mobilisation totale des hommes et des choses ce qui mettra à
sa disposition une réserve de moyens inépuisable.
En face, les adversaires maintiendront longtemps encore le système
de recrutement restreint d'ancien régime ; Prussiens et Autrichiens
auront des effectifs d'autant plus réduits qu'ils s'intéresseront
beaucoup plus au partage de la Pologne - où les Russes pourraient
profiter de leur faiblesse - qu'à l'Occident. Et l'on sait
combien Berlin, à partir de 1794 déjà, fera
le jeu de Paris.
2°) Un dynamisme provoqué par l'enthousiasme chez les
uns, par la promesse du fameux partage chez les autres : le milliard
prélevé sur le produit de la vente des biens nationaux.
3°) L'organisation divisionnaire et l'artillerie de Gribeauval.
Avantages qui seront du reste fort mal utilisés avant qu'apparaisse
Bonaparte.
4°) La souplesse due au système de réquisition,
à la « vie sur le pays », terminologie qui signifie
tout simplement l'exploitation totale des pays occupés alors
que les adversaires en sont encore au paralysant système
des magasins.
Or, jusqu'en 1796, c'est à l'effet de masse seul que seront
dus les succès des révolutionnaires auxquels il manquera
des cadres compétents et de l'instruction. Les ouvrages du
siècle passé, pour auréoler les armées
de Sambre-et-Meuse et autres, jetaient un voile sur les effectifs
en présence.
(...)
Avec l'année
1796 et l'arrivée de Bonaparte, la situation change. Le jeune
chef possède un très grand talent. Les manœuvres autour
de Mantoue en 1796-1797, celle de 1800 en Italie, Ulm et Austerlitz,
Iéna et Friedland, sont du meilleur classique. Napoléon
devient le virtuose du guibertisme mais il dépasse
son modèle qui n'avait prévu ni l'emploi de l'artillerie
en masse, ni la succession des efforts par l'ordre divisionnaire.
Il faut cependant ne pas perdre de vue que Napoléon continue
à disposer seul, jusqu'en 1809, de tous les avantages dont
jouissaient les armées révolutionnaires. En plus,
il a des finances solides grâce aux excellentes mesures qu'il
a prises sous le Consulat, grâce aussi à l'imposition
et à l'exploitation systématique des pays asservis.
Il dispose de ressources humaines considérables grâce
à une conscription effrénée en France et dans
toute l'Europe occupée. Il présente l'unité
de commandement politico-militaire contre les coalisés guidés
par des intérêts différents et ne synchronisant
pas leurs efforts dans l'espace et le temps. Mais même dans
cette période, incontestablement d'éclat, que de fausses
lumières ont été projetées. Examinons
succinctement, Marengo, Austerlitz
et Iéna-Auerstädt.
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