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Histoire militaire de la
Révolution et de l'Empire : Marengo

     
 

     
 

Retour à Comment étudier l'histoire militaire de la Révolution et de l'Empire ? par Henri Bernard.

 
 

 

Henri Bernard, En lisant "Aventure, Bonaparte en Italie", par Guglielmo Ferrero,
critique historique et histoire militaire.
Revue belge de philologie et d’histoire. 1961, tome XXXIX, n° 2.
(suite)

   
 

Marengo.
En 1799, tandis que Bonaparte se trouve en Egypte, avec son armée bloquée par la victoire navale de Nelson à Aboukir, les Austro-Russes ont remporté maints succès sur les forces françaises en Occident. Finalement les victoires de Masséna et de Brune ont conjuré la crise. Toutefois l'Italie est perdue. Le 8 octobre 1799, Bonaparte, ayant abandonné l'armée d'Egypte à son triste sort, rentre en France sur un navire qui a miraculeusement échappé aux Anglais. Il a compris que s'il restait aux bords du Nil sa carrière serait finie. Brune ou Masséna, auréolés par leurs récentes victoires, pourraient jouer à Paris les premiers rôles. Il n'en sera pas question. Le 9 novembre, 18 brumaire an VIII, le Corse effectue son célèbre coup d'État, à vrai dire préparé par Siéyès. Une nouvelle constitution est élaborée. Bonaparte devient premier consul pour dix ans avec la quasi-plénitude du pouvoir.
Il n'est cependant encore qu'un «presque-dictateur » environné d'adversaires redoutables : royalistes, jacobins, et ses «amis » les généraux. Ceux-ci, qui plus tard se serviront largement de l'empereur lorsqu'ils ne pourront plus espérer mieux, sont prêts à tendre au premier consul une embuscade à chaque coin. Tel est le sort fatal de tout «totalitaire » qui s'est installé par la force : il ne peut se permettre le moindre échec sous peine de tomber. Un souverain légitime subira une défaite, perdra même une guerre sans perdre sa couronne. Mais un dictateur, pour tenir, ne peut connaître que le succès et, pour durer, doit en provoquer de nouveaux. Napoléon, en 1813, fera ce terrible aveu à Metternich : « Vos rois, nés sur le trône, peuvent y remonter vaincus ; moi, pour me maintenir, il me faut des victoires». L'Angleterre et l'Autriche lui ayant refusé la paix, Bonaparte décide de frapper cette dernière en Allemagne et en Italie. Avec beaucoup d'habileté, il est parvenu, auparavant, à détacher le tsar de Russie, Paul 1er, de la coalition adverse.
Une armée française, sous Moreau, se trouve en Allemagne avec mission de prendre l'offensive en direction de Vienne, dans la vallée du Danube ; une autre opère en Italie septentrionale, commandée par Masséna. Celui-ci est rejeté par l'Autrichien Mélas dans Gênes que bloque la flotte anglaise (carte 1). La frontière française du sud-est est menacée. Bonaparte compte, avec l'armée de réserve qui est en France, accomplir une gigantesque manœuvre à revers : franchir les Alpes au Grand et au Petit- Saint-Bernard, se porter toutes forces réunies dans la région de Plaisance, couper ainsi les communications autrichiennes, obliger Mélas à combattre sur front renversé, délivrer Masséna et reconquérir l'Italie. Le projet est grandiose. Le premier consul sait que pour consolider sa situation, il lui faut une victoire éclatante. Aussi mettra-t-il dans la seconde campagne d'Italie le meilleur de son talent.
Ce qui frappe dans la vie de Napoléon, c'est combien une valeur militaire et politique indéniable fut servie par une chance invraisemblable et constante dans les premières années de sa carrière. Chance, en 1796, la défection du roi de Sardaigne qui lui ouvre, toutes grandes, les portes de l'Italie. Chance, en 1798-1799, d'avoir par deux fois déjoué la vigilance de Nelson. Chance, comme nous le verrons, dans la campagne de 1800. Ses pires ennemis, répétons-le, étaient les généraux. Depuis Brumaire, on s'en doute, les jaloux ne manquaient pas. A ce moment, Bonaparte n'était encore qu'un général comme beaucoup d'autres de la jeune génération révolutionnaire : Hoche, Marceau, Joubert, Desaix, Masséna, Bernadotte, Moreau, Kléber, pour ne citer que les chefs militaires susceptibles de jouer un rôle politique. Les trois premiers sont morts, Dieu merci. Mais il reste les autres. Avec quelle souplesse, Bonaparte a-t-il dû manœuvrer au milieu de ses rivaux pour finir par émerger. Il ne suffit pas d'avoir conquis la place. Il est plus difficile encore de la garder. Le Corse emmène avec lui en Italie l'honnête Desaix. Ainsi l'aura-t-il toujours sous la main. Masséna est assiégé dans Gênes. Le premier consul le délivrera à moins que le vainqueur de Zurich ne se rende auparavant.
Le prestige sera normalement pour le libérateur et non pour le libéré ou le capitulard. Bernadotte reste en France. Il hait Bonaparte qui le lui rend bien. La police le surveille tout spécialement. D'autre part, le
futur roi de Suède a épousé la belle-sœur de Joseph Bonaparte, Désirée Clary. Celle-ci fait partie du clan Bonaparte qu'elle renseigne naïvement sur les faits et gestes de son époux. Moreau exerce un commandement indépendant en Italie. Cela peut être dangereux car il est plein d'ambition et de talent. Mais il manque de caractère, c'est un indécis qui commettra, sans aucun doute, la « faute » au dernier quart d'heure. Il y a Kléber enfin. Bonaparte lui a remis le commandement peu enviable de l'armée d'Egypte, lorsqu'il a abandonné celle-ci. Kléber ne le lui pardonne pas et compte bien rentrer à Paris en accusateur. Mais Nelson est là. Une chance comme celle de Bonaparte ne se renouvellera pas pour Kléber.
Et toute la Campagne d'Italie va se dérouler comme si le premier consul dictait sa loi au destin. Après la mémorable traversée des Alpes, il est à Plaisance le 7 juin. Trois jours plus tôt, Masséna a perdu Gênes. Le 14 juin, à Marengo, Mélas doit accepter le combat à front renversé. Mais Bonaparte a commis sa seule faute de la campagne. Il a trop dispersé ses forces. Une partie du Corps Desaix n'est pas présent. Le général autrichien s'avance avec tout son monde à la bataille. L'armée française reflue en désordre. A 15 heures, tout semble perdu pour Bonaparte. Et la défaite militaire signifiera la chute du premier consul. Donc un tout autre cours de l'Histoire. Desaix, cependant, d'initiative, a marché au canon. Il frappe le flanc droit des Autrichiens victorieux. Bonaparte combine cette attaque avec un effort de ses troupes ébranlées. L'échec se transforme en succès. Et le premier consul gagne d'une pierre deux coups. Desaix ne pourra raconter à Paris la vraie narration de Marengo. Une balle autrichienne siffle à propos et le frappe à mort. Larmes de circonstance et soupir de soulagement. Le récit de Marengo, habilement arrangé, démontrera que le repli précipité de Bonaparte fut une géniale ruse de guerre destinée à offrir aux coups de Desaix le flanc droit autrichien. La fortune du premier consul ne se limite pas aux événements d'Italie. A l'heure précise où tombait Desaix, Kléber était assassiné au Caire par un Egyptien. Le Strasbourgeois ne viendra pas, lui non plus, jouer les trouble-fêtes à Paris.

Suite : Austerlitz

     
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