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Marengo.
En 1799, tandis que Bonaparte se trouve en Egypte, avec son armée
bloquée par la victoire navale de Nelson à Aboukir,
les Austro-Russes ont remporté maints succès sur les
forces françaises en Occident. Finalement les victoires de
Masséna et de Brune ont conjuré la crise. Toutefois
l'Italie est perdue. Le 8 octobre 1799, Bonaparte, ayant abandonné
l'armée d'Egypte à son triste sort, rentre en France
sur un navire qui a miraculeusement échappé aux Anglais.
Il a compris que s'il restait aux bords du Nil sa carrière
serait finie. Brune ou Masséna, auréolés par
leurs récentes victoires, pourraient jouer à Paris
les premiers rôles. Il n'en sera pas question. Le 9 novembre,
18 brumaire an VIII, le Corse effectue son célèbre
coup d'État, à vrai dire préparé par
Siéyès. Une nouvelle constitution est élaborée.
Bonaparte devient premier consul pour dix ans avec la quasi-plénitude
du pouvoir.
Il n'est cependant encore qu'un «presque-dictateur »
environné d'adversaires redoutables : royalistes, jacobins,
et ses «amis » les généraux. Ceux-ci,
qui plus tard se serviront largement de l'empereur lorsqu'ils ne
pourront plus espérer mieux, sont prêts à tendre
au premier consul une embuscade à chaque coin. Tel est le
sort fatal de tout «totalitaire » qui s'est installé
par la force : il ne peut se permettre le moindre échec sous
peine de tomber. Un souverain légitime subira une défaite,
perdra même une guerre sans perdre sa couronne. Mais un dictateur,
pour tenir, ne peut connaître que le succès et, pour
durer, doit en provoquer de nouveaux. Napoléon, en 1813,
fera ce terrible aveu à Metternich : « Vos rois, nés
sur le trône, peuvent y remonter vaincus ; moi, pour me maintenir,
il me faut des victoires». L'Angleterre et l'Autriche lui
ayant refusé la paix, Bonaparte décide de frapper
cette dernière en Allemagne et en Italie. Avec beaucoup d'habileté,
il est parvenu, auparavant, à détacher le tsar de
Russie, Paul 1er, de la coalition adverse.
Une armée française, sous Moreau, se trouve en Allemagne
avec mission de prendre l'offensive en direction de Vienne, dans
la vallée du Danube ; une autre opère en Italie septentrionale,
commandée par Masséna. Celui-ci est rejeté
par l'Autrichien Mélas dans Gênes que bloque la flotte
anglaise (carte 1). La frontière française du sud-est
est menacée. Bonaparte compte, avec l'armée de réserve
qui est en France, accomplir une gigantesque manœuvre à revers
: franchir les Alpes au Grand et au Petit- Saint-Bernard, se porter
toutes forces réunies dans la région de Plaisance,
couper ainsi les communications autrichiennes, obliger Mélas
à combattre sur front renversé, délivrer Masséna
et reconquérir l'Italie. Le projet est grandiose. Le premier
consul sait que pour consolider sa situation, il lui faut une victoire
éclatante. Aussi mettra-t-il dans la seconde campagne d'Italie
le meilleur de son talent.
Ce qui frappe dans la vie de Napoléon, c'est combien une
valeur militaire et politique indéniable fut servie par une
chance invraisemblable et constante dans les premières années
de sa carrière. Chance, en 1796, la défection du roi
de Sardaigne qui lui ouvre, toutes grandes, les portes de l'Italie.
Chance, en 1798-1799, d'avoir par deux fois déjoué
la vigilance de Nelson. Chance, comme nous le verrons, dans la campagne
de 1800. Ses pires ennemis, répétons-le, étaient
les généraux. Depuis Brumaire, on s'en doute, les
jaloux ne manquaient pas. A ce moment, Bonaparte n'était
encore qu'un général comme beaucoup d'autres de la
jeune génération révolutionnaire : Hoche, Marceau,
Joubert, Desaix, Masséna, Bernadotte, Moreau, Kléber,
pour ne citer que les chefs militaires susceptibles de jouer un
rôle politique. Les trois premiers sont morts, Dieu merci.
Mais il reste les autres. Avec quelle souplesse, Bonaparte a-t-il
dû manœuvrer au milieu de ses rivaux pour finir par émerger.
Il ne suffit pas d'avoir conquis la place. Il est plus difficile
encore de la garder. Le Corse emmène avec lui en Italie l'honnête
Desaix. Ainsi l'aura-t-il toujours sous la main. Masséna
est assiégé dans Gênes. Le premier consul le
délivrera à moins que le vainqueur de Zurich ne se
rende auparavant.
Le prestige sera normalement pour le libérateur et non pour
le libéré ou le capitulard. Bernadotte reste en France.
Il hait Bonaparte qui le lui rend bien. La police le surveille tout
spécialement. D'autre part, le futur
roi de Suède a épousé la belle-sœur de Joseph
Bonaparte, Désirée Clary. Celle-ci fait partie du
clan Bonaparte qu'elle renseigne naïvement sur les faits et
gestes de son époux. Moreau exerce un commandement indépendant
en Italie. Cela peut être dangereux car il est plein d'ambition
et de talent. Mais il manque de caractère, c'est un indécis
qui commettra, sans aucun doute, la « faute » au dernier
quart d'heure. Il y a Kléber enfin. Bonaparte lui a remis
le commandement peu enviable de l'armée d'Egypte, lorsqu'il
a abandonné celle-ci. Kléber ne le lui pardonne pas
et compte bien rentrer à Paris en accusateur. Mais Nelson
est là. Une chance comme celle de Bonaparte ne se renouvellera
pas pour Kléber.
Et toute la Campagne d'Italie va se dérouler comme si le
premier consul dictait sa loi au destin. Après la mémorable
traversée des Alpes, il est à Plaisance le 7 juin.
Trois jours plus tôt, Masséna a perdu Gênes.
Le 14 juin, à Marengo, Mélas doit accepter le combat
à front renversé. Mais Bonaparte a commis sa seule
faute de la campagne. Il a trop dispersé ses forces. Une
partie du Corps Desaix n'est pas présent. Le général
autrichien s'avance avec tout son monde à la bataille. L'armée
française reflue en désordre. A 15 heures, tout semble
perdu pour Bonaparte. Et la défaite militaire signifiera
la chute du premier consul. Donc un tout autre cours de l'Histoire.
Desaix, cependant, d'initiative, a marché au canon. Il frappe
le flanc droit des Autrichiens victorieux. Bonaparte combine cette
attaque avec un effort de ses troupes ébranlées. L'échec
se transforme en succès. Et le premier consul gagne d'une
pierre deux coups. Desaix ne pourra raconter à Paris la vraie
narration de Marengo. Une balle autrichienne siffle à propos
et le frappe à mort. Larmes de circonstance et soupir de
soulagement. Le récit de Marengo, habilement arrangé,
démontrera que le repli précipité de Bonaparte
fut une géniale ruse de guerre destinée à offrir
aux coups de Desaix le flanc droit autrichien. La fortune du premier
consul ne se limite pas aux événements d'Italie. A
l'heure précise où tombait Desaix, Kléber était
assassiné au Caire par un Egyptien. Le Strasbourgeois ne
viendra pas, lui non plus, jouer les trouble-fêtes à
Paris.
Suite : Austerlitz
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