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Histoire militaire de la
Révolution et de l'Empire :
Iena-Auerstädt

     
 

     
 

Retour à Comment étudier l'histoire militaire de la Révolution et de l'Empire ? par Henri Bernard.

 
 

 

Henri Bernard, En lisant "Aventure, Bonaparte en Italie", par Guglielmo Ferrero,
critique historique et histoire militaire.
Revue belge de philologie et d’histoire. 1961, tome XXXIX, n° 2.
(suite)

   
 

Iena-Auerstädt.
Pour l'histoire de la Campagne de Prusse, 1806, Napoléon eut pu se contenter de l'exposé de son plan - grandiose sans aucun doute - et de sa mémorable traversée du Frankenwald qui aboutit à prendre l'armée prussienne à contrepied. Cela ne lui suffit pas.
En effet, le 14 octobre 1806, l'empereur remporte à Iéna, avec sa masse principale, 90.000 hommes, une écrasante victoire sur une partie des forces prussiennes, comptant 60.000 combattants. Ce même jour, Davout, l'un des meilleurs maréchaux de l'empereur, bat 55.000 Prussiens avec des effectifs presque moitié moindres, à Auerstädt. D'Iéna à Auerstädt, il y a 20 kilomètres. Entre les deux groupements français victorieux, se trouvait le corps du maréchal Bernadotte qui ne participa à aucune des deux batailles. Napoléon prétendit, dans la suite, que Bernadotte avait désobéi en n'exécutant pas l'ordre de l'empereur de soutenir Davout. La légende s'est perpétuée pendant un siècle. C'est encore ainsi qu'on
nous a enseigné la journée du 14 octobre 1806. Mais trois travaux ont rétabli la vérité historique. Ils sont dus au lieutenant-colonel français Titeux qui a minutieusement dépouillé les dépêches et autres documents des archives militaires (1), à sir Dunbar Plunket Barton de la Royal Historical Society (2) et à Henry Vallotton (3).
« Le soir de la bataille d'Iéna» écrit Barton « Napoléon supposait avoir rencontré et défait le gros de l'armée prussienne. Il fut stupéfait le lendemain d'apprendre qu'il n'avait eu en face de lui que l'arrière-garde, et que le gros avait refusé le combat et lui avait faussé compagnie. Il le fut encore davantage quand il apprit que Davout avait inopinément rencontré le gros des forces prussiennes au village d'Auerstädt et l'avait complètement défait, quoiqu'il se battit à un contre deux (4) ».
« C'était une bonne nouvelle; mais elle impliquait une erreur dans les manœuvres de Napoléon, par ailleurs brillantes et couronnées de succès. Elle signifiait qu'il s'était trompé sur la position de l'ennemi, qu'il y avait eu deux batailles au lieu d'une, et que la victoire véritable revenait à un de ses subordonnés, cependant que lui-même n'avait livré qu'un simple combat d'arrière-garde. Des questions embarrassantes seraient certainement posées par ses critiques et ses ennemis, par exemple celle-ci : pourquoi l'empereur a-t-il laissé Davout inférieur en nombre, livrer combat à Auerstädt au gros de l'armée prussienne ? Si l'empereur avait dit la vérité, il aurait reconnu qu'il s'était trompé sur la position de l'ennemi et qu'il ne se doutait nullement que Davout rencontrerait le gros des forces prussiennes à Auerstädt ou ailleurs. Mais Napoléon ne reconnaissait jamais une faute de stratégie ».
«Napoléon et son chef d'état-major Berthier, cherchèrent donc une explication spécieuse pour couvrir l'empereur. Ils la trouvèrent dans l'absence de Bernadotte. Ils prétendirent que les deux batailles faisaient partie d'un mouvement concerté, et que Bernadotte avait reçu l'ordre de soutenir Davout à Auerstädt, ce qui eut mis le Corps de Davout à la hauteur des circonstances...
« Une semaine s'écoula cependant avant que l'empereur formulât son ingénieuse version de l'incident, qui fut habilement lancée sous la forme d'une accusation pour éviter qu'on ne la prit pour une réflexion tardive.

Bernadotte qui poursuivait les Prussiens, reçut l'ordre de jeter un pont sur l'Elbe. Avant qu'il fût possible de l'exécuter, il fut blâmé pour ne pas l'avoir fait. Là-dessus se greffa l'accusation plus grave d'avoir désobéi à l'ordre précis de soutenir Davout à Auerstädt, et de l'avoir fait à cause d'une vaine étiquette de commandement
».
De son côté, le lieutenant-colonel Titeux conclut : « L'empereur, pour dissimuler sa propre faute, affirma qu'il avait envoyé l'ordre à Bernadotte de se porter au secours de Davout; mais un examen attentif des dépêches prouve qu'un tel document n'existe pas. En fait, les dépêches officielles innocentent absolument Bernadotte...
« Napoléon ne voulut jamais convenir de ses erreurs et, lorsqu'elles se produisirent et qu'il en eût conscience, il chercha, soit à fausser l'Histoire, au moyen de rapports, de bulletins inexacts ; soit à les attribuer à l'un de ses lieutenants, en créant lui-même une légende ad hoc (5) ».
Les historiens d'autrefois, avant de reprendre à leur compte les reproches de Napoléon, auraient bien fait de consulter la « petite histoire» qu'il est souvent imprudent de négliger. Ils auraient connu alors l'animosité qui opposait, depuis le début de leur carrière, l'époux de Désirée Clary d'une part, l'équipe Bonaparte-Berthier d'autre part. Nous sommes certains aujourd'hui que Bernadotte n'a pas reçu l'ordre de rejoindre Davout. Mais nous ignorons s'il s'agit d'un oubli de Napoléon - comme MM. Barton et Titeux le pensent - ou si c'est Berthier qui n'expédia pas l'ordre conçu par l'empereur. Berthier était un excellent chef d'état- major qui n'oubliait jamais rien. Mais il était aussi un froid calculateur qui ne reculait devant aucune vilenie pour nuire à ceux qu'il détestait (6).
Remarquons d'autre part, que les reproches faits à Bernadotte par l'empereur furent très modérés après Iéna-Auerstädt. Le maréchal n'encourut ni sanction, ni disgrâce, ce qu'il eût mérité s'il avait désobéi. Lorsqu'il sera blessé, quelques mois plus tard, à la défense du pont de Spanden, Napoléon lui témoignera une vive sollicitude. C'est après 1812, après la soi-disant trahison du maréchal devenu prince-héritier de Suède, que l'animosité de Napoléon se changera en haine, et dans le Mémorial, il accablera Bernadotte de tous les maux.

 

 

_____________

(1) Le maréchal Bernadotte et la manoeuvre d'Iéna dans Revue napoléonienne, t. IV, pp. 69-152, avril-septembre 1903.
(2) Bernadotte, Paris, 1931.
(3) Sept souverains de Suède, Lausanne 1950. L'auteur, avocat, historien et diplomate, fut ministre de Suisse en Suède puis en Belgique. A Stockholm il eut accès aux archives de la Maison royale.
(4) D. B. BARTON, op. cit., pp. 194-195. Barton commet ici un erreur légère. Ce n'est pas le gros de l'armée prussienne que Davout rencontra à Auerstädt. Les deux groupements prussiens d'Iéna et d'Auerstädt étaient à effectifs sensiblement égaux.
(5) Lt Col. TITEUX, op. cit., p. ,137.
(6) Pour la campagne de 1809, Berthier obtiendra que Bernadotte commande le Corps saxon. Berthier savait que les Saxons détestaient les Français et se débanderaient dès qu'ils le pourraient. Nouveau moyen de nuire à son pire ennemi. Cela vaudra une vive altercation entre l'empereur et Bernadotte sur le champ de bataille de Wagram. Voir à ce propos Henry VALLOTTON, op. cit., p. 192. «Au cours de toute la campagne, Bernadotte est laissé dans l'ignorance des opérations ; parfois les dépêches de l'état-major ne lui parviennent qu'avec seize jours de retard !
Ce qui n'était pas dans la manière de Berthier.

     
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