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Le
séjour de l'empereur à Wilna nous donna l'occasion
d'observer, dans tous ses détails, la composition de l'état-major
général. L'empereur avait auprès de lui le
grand maréchal, le grand écuyer, ses aides de camp,
ses officiers d'ordonnance, les aides de camp de ses aides de camp,
et plusieurs secrétaires pour son travail du cabinet. Le
major général avait huit ou dix aides de camp et le
nombre de bureaux nécessaire pour tout le travail qu'exigeait
une pareille armée ; l'état-major général,
composé d'un grand nombre d'officiers de tous grades, était
commandé par le général Monthion. L'administration,
dirigée par le comte Dumas, intendant général,
se subdivisait en service administratif proprement dit : ordonnateurs,
inspecteurs aux revues et commissaires des guerres; service de santé
: médecins, chirurgiens et pharmaciens ; service de vivres
dans ses différentes branches, et ouvriers de toute espèce.
Quand le prince de Neuchâtel en passa la revue à Wilna,
on eût cru voir de loin des troupes rangées en bataille,
et, par une malheureuse fatalité, malgré le zèle
et les talents de l'intendant général, cette immense
administration fut presque inutile dès le commencement de
la campagne, et devint nuisible à la fin. Qu'on se représente
maintenant la réunion sur le même point de tout ce
qui composait cet état-major ; qu'on imagine le nombre prodigieux
de domestiques, de chevaux de main, de bagages de toute espèce
qu'il devait traîner à sa suite, et l'on aura quelque
idée du spectacle qu'offrait le quartier général.
Aussi, lorsque l'on faisait un mouvement, l'empereur n'emmenait
avec lui qu'un très-petit nombre d'officiers ; tout le reste
partait d'avance ou suivait en arrière. Si l'on bivaquait,
il n'y avait de tentes que pour l'empereur et le prince de Neuchâtel;
les généraux et autres officiers couchaient au bivac,
comme le reste de l'armée.
Le service d'aide de camp que nous faisions auprès du major
général n'avait rien de pénible. Tous les jours
deux d'entre nous étaient de service, l'un pour porter les
ordres, l'autre pour recevoir les dépêches et les officiers
en mission. Notre tour ne revenait donc que tous les quatre ou cinq
jours, quand aucun de nous n'était en course ; ce qui arrivait
rarement, car on envoyait habituellement les officiers d'état-major.
Le prince de Neuchàtel mettait, dans ses rapports personnels
avec nous, ce mélange de bonté et de brusquerie qui
composait son caractère. Souvent il ne paraissait faire à
nous aucune attention; mais, dans l'occasion, nous étions
sûrs de retrouver tout son intérêt, et, pendant
le cours de sa longue carrière militaire, il n'a négligé
l'avancement d'aucun des officiers qui ont été employés
sous ses ordres. On prenait pour son logement la première
maison de la ville après celle de l'empereur; et, comme il
logeait toujours de sa personne auprès de lui, son logement
appartenait à ses aides de camp. L'un d'eux, M. Pernet, était
chargé de tous les détails de sa maison, dont la tenue
pouvait servir de modèle; le prince de Neuchâtel trouvait
lui-même, au milieu de ses occupations, le temps d'y songer;
il voulait que ses aides de camp ne manquassent de rien, et il avait
souvent la bonté de s'en informer. C'était, au milieu
de la guerre, une bien grande douceur que de n'avoir à s'occuper
d'aucun de ces détails, et de se trouver, sans la moindre
peine, mieux logés et mieux nourris que tout le reste de
l'armée. La composition des officiers du quartier général
contribuait encore à l'agrément de notre situation.
Parmi les officiers attachés à l'empereur ou aux généraux
de sa maison se trouvaient MM. Fernand de Chabot, Eugène
d'Astorg, de Castellane, de Mortemart, de Talmont. Les aides de
camp du prince de Neuchàtel étaient MM. de Girardin,
de Flahault, Alfred de Noailles, Anatole de Montesquiou, Lecouteulx,
Adrien d'Astorg et moi. On pouvait quelquefois se croire encore
à Paris au milieu de cette réunion.
Nous voyions
peu le prince de Neuchâtel, n'étant chargés
d'aucun travail auprès de lui; il passait presque toute la
journée dans son cabinet à expédier des ordres,
d'après les instructions de l'empereur. Jamais on ne vit
une plus grande exactitude, une soumission plus entière,
un dévouement plus absolu. C'était en écrivant
la nuit qu'il se reposait des fatigues du jour; souvent au milieu
de son sommeil il était appelé pour changer tout le
travail de la veille, et quelquefois il ne recevait pour récompense
que des réprimandes injustes, ou pour le moins bien sévères.
Mais rien ne ralentissait son zèle; aucune fatigue de corps,
aucun travail de cabinet n'était au-dessus de ses forces;
aucune épreuve ne pouvait lasser sa patience. En un mot,
si la situation du prince de Neuchâtel ne lui donna jamais
l'occasion de développer, les talents nécessaires
pour commander en chef de grandes armées, il est impossible
au moins de réunir à un plus haut degré les
qualités physiques et morales convenables à l'emploi
qu'il remplissait auprès d'un homme tel que l'Empereur.
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Major général Berthier
Monthion
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