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Dernière modification le 13 janvier 2007.

Philippe de Ségur



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(Ségur participe à la campagne des Grisons sous Macdonald.)

Peu de jours avaient suffi pour reposer notre jeune armée, quand l'armistice, symptôme menaçant de la paix, vint irriter notre impatience. Elle éclata dans mille propos, dont, en ces temps de révolutions, on ne mesurait pas l'imprudence. " Que ferions-nous de cette paix qui ne profiterait qu'au dictateur ? Chaque armée n'aurait donc combattu que pour lui seul ! De quel droit ses guides, ses gardes, ses armées d'Égypte et de Marengo, avec leur renommée rivale étrangère à la nôtre, l'élèveraient-ils de plus en plus, sur leur pavois, en tête et au-dessus de tout ? Souffrirait-on que les vainqueurs de Naples, de Zurich et de Hohenlinden, que Macdonald, Masséna et Moreau lui-même, que tous nos généraux en chef enfin, devinssent les sujets et les marchepieds de Bonaparte ? "

Ces sentiments, que tous n'avouaient pas ouvertement, fermentaient dans tous les cœurs, qu'enflammaient la plus jalouse des passions, l'amour de la gloire, et l'envieuse égalité, et la fierté de nos généraux, à laquelle chacun de nous s'unissait et que révoltait une soumission forcée à un autre général en chef, naguère leur compagnon d'armes et leur égal !

Chaque jour ces passions, dangereuses au pouvoir naissant du Premier Consul, aspiraient avidement le souffle des partis, que les lettres et la mauvaise presse nous apportaient de la capitale. Une autre passion plus violente en fut alors soulevée ; elle s'ajouta à toutes les autres, et, dans l'armée plus qu'ailleurs, excita un mécontentement universel. Là surtout, la guerre de la Révolution avait été une guerre de castes et de classes. Cette armée plébéienne venait d'y conquérir sa gloire et ses grades contre l'aristocratie française et toutes les aristocraties étrangères, dont ces grades avaient été, de tous temps, le patrimoine. Généraux, officiers, presque tous dataient de 1792. Les souvenirs de leurs humiliations sous la monarchie étaient tout vivants encore. Quelque forts et fiers qu'ils fussent de leur illustration si glorieusement acquise, elle était récente. Il n'y avait pas un an que les triomphes de la coalition l'avaient contestée et mise en péril. Ils savaient que, aux yeux des Noblesses de toute l'Europe, ils n'étaient considérés que comme une armée de parvenus qui n'avaient d'autre droit que la victoire.

C'était là le point d'irritation le plus chatouilleux. Aujourd'hui, que le temps a tout confirmé, que la fusion s'est accomplie, et que cette lutte, s'abaissant, se dénaturant, s'est transformée en celle du pauvre contre le riche, ou même de ceux qui n'ont rien contre ceux qui ont quelque chose, il reste pourtant encore assez de cette inquiétude jalouse, pour qu'on puisse comprendre quelle en devait être alors la violence.

Au milieu de ce foyer tout brûlant d'amour-propre et d'intérêt, d'orgueil et d'honneur, les nouvelles de Paris apportèrent les propositions du Prétendant, la rentrée des émigrés, l'accueil qu'ils recevaient de madame Bonaparte. On se récria. L'irritation devint si vive au quartier général, que, dans nos conversations, pour avoir fait un appel à la générosité nationale en faveur des moins offensifs de ces émigrés, on m'avertit que je devenais suspect, et que j'allais rendre insupportable ma présence au milieu de mes camarades.

Tel était le soulèvement de tous les esprits. On en avait déjà pu distinguer le germe, quand nous avions appris l'attentat du 3 nivôse suivi de la déportation des terroristes. Cet attentat n'avait pas été accueilli avec l'indignation qu'il méritait ; on l'avait même tourné en ridicule, tant l'esprit de parti est passionné. La fierté indépendante et jalouse des chefs s'excita de ces dispositions ; elle espéra. On sait quels fruits amers elle produisit : elle fut fatale à Moreau quatre ans plus tard ; elle borna la carrière de ses meilleurs lieutenants, et suspendit, pendant huit ans, celle de notre général.

Au reste tout ceci fut moins sérieux à Trente qu'au quartier général de l'Allemagne, grâce à la joyeuse vie qu'on y menait, à la composition de l'armée, comme aussi aux mœurs douces et élégantes, aux nobles sentiments et à la constante gaieté de caractère heureux de Macdonald.

Ce fut alors surtout que je compris la Révolution. J'en voyais pour la première fois à découvert les plus fortes, les plus vivaces et les plus profondes racines. Les passions dont j'étais environné blessaient mes premières affections : elles me repoussaient en moi-même, où j'aimais d'ailleurs à me renfermer ; elles rendaient ma position difficile. Cette situation me fut profitable. Au milieu de cette armée plébéienne, si fière d'elle-même à si juste titre, je mesurai la double folie d'une obstination royaliste et surtout aristocratique : la première, sous ses drapeaux républicains, me sembla une trahison ; quant à la seconde, entouré de tant de guerriers, tout au plus anciens, plus expérimentés, plus instruits que moi, je sentis combien ces prétentions exclusives de naissance seraient non seulement dangereuses, mais injustes et ridicules. Dès lors j'acceptai la Révolution comme un fait accompli, fondé en droit, et auquel le bon sens, l'équité, l'intérêt du pays et même celui de l'ancienne noblesse, ordonnaient qu'on se rattachât.

Cette conviction acquise, cette route tracée, ce rôle choisi, j'y fus fidèle; je voulus y être utile, et contribuer à y entraîner avec moi l'ancienne France, c'est-à-dire le plus grand nombre de nobles qu'il se pourrait, afin de hâter la fusion et de rendre désormais impossible tout retour aux proscriptions conventionnelles et directoriales. Cette idée s'empara fortement de moi depuis, et sans cesse, elle inspira mes conversations, mes actions et jusqu'à mes moindres paroles.

Ce fut surtout alors que, pour m'encourager dans une voie où les rôles avaient tout changé, je comptai et récapitulai continuellement les noms des colonels et des généraux de l'ancienne noblesse alors en pied dans l'armée, en dépit des proscriptions, et qui devaient m'y servir de points d'appui. C'étaient les Caulaincourt, d'Hautpoul, Grouchy, Pully, Rochambeau, d'Hilliers, Macdonald, etc., etc. ; je n'en oubliais qu'un seul, celui qui venait de m'y appeler, et qui bientôt devait être notre protecteur le plus puissant, c'était le Premier Consul ! Mais, par une inconséquence, par un entraînement naturels à mon âge, subissant aveuglément l'influence de l'atmosphère qui m'entourait, je ne voyais en lui qu'un usurpateur passager, l'ennemi de mon général, celui de Moreau, et qui devait incessamment succomber sous le poids de la haine universelle.

Ma vie à Trente fut économe, prudente et studieuse. Ce caractère qui prenait tout au sérieux, ces fortes impressions, et les précautions qu'elles me dictèrent, sans me brouiller avec mes camarades, m'en tinrent à part. Dans cet isolement occupé, que l'un d'eux me rappelait encore hier, ils ne virent qu'un goût prononcé, qu'une passion bizarre et prématurée pour le travail, dont ils me plaignirent ; ils les respectèrent, en sorte que, au milieu des mille plaisirs et des folies du désœuvrement où l'armistice livrait une jeunesse ardente, joyeuse et peut-être un peu trop joyeuse, le jour mon seul délassement fut l'étude, et le soir mon seul jeu, celui des échecs avec un vieux Polonais de la première force, un colonel Dimbowski, qui mit toute sa patience à me rendre capable de lui tenir tête. Pour mes études, elles reçurent une heureuse direction, soit qu'elle m'eût été donnée par le général Dumas, par quelques lettres de mon père, ou par la honte de mon ignorance sur l'esprit, le but, le théâtre, et les divers événements de notre campagne.

Nous étions alors tous établis dans le vaste et gothique palais de l'Evêque de Trente. J'obtins de Macdonald sa correspondance qu'il me confia, et ses instructions à ses généraux ; je les emportai à mon troisième étage. Là, ressaisi de ma première passion, celle du travail, mais l'appliquant à un sujet plus positif et plus utile, je commençai sérieusement ma double carrière de militaire et d'historien. Je fis l'extrait de tous ces matériaux ; je me pénétrai de leur esprit, que m'aidaient à comprendre et mes questions à nos chefs, et une étude approfondie de la carte. Cela fait, et notre départ s'approchant, j'empaquetai soigneusement mon trésor et le conservai précieusement; je ne me doutais pourtant pas alors que je devais bientôt faire usage de ce travail à Copenhague; qu'ensuite il verrait le jour à Paris, et qu'il contribuerait à me faire appeler à l'état-major intérieur et particulier de Bonaparte

   
       

Suite :
- Avec Macdonald au Danemark
- Le camp de Boulogne (1804)

 

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