| Dernière modification: 31/08/2003 Melzi Issu d'une famille de parlementaires, Mathieu Molé (1781-1855) passa son enfance en émigration et rentra en France en 1796. Il entra au conseil d'Etat en 1806, fut préfet de la Côte d'Or en 1807, directeur général des Ponts et Chaussées en 1809, ministre de la justice en 1813. Ayant fréquenté très jeune les sphères du pouvoir, il apporte par ses Souvenirs la contribution d'un témoin privilégié.
Je fis alors (1801) connaissance avec M. Melzi d'Eril, l'étranger le plus remarquable que j'aie jamais rencontré. Bonaparte l'avait trouvé à Milan, dans sa première guerre d'Italie, et c'est de lui qu'il disait que « si on mettait l'Italie dans une balance, et un Italien dans » l'autre, l'Italien l'emporterait... » Il avait pris tant de goût, pour M. Melzi qu'il passait des nuits entières à causer et à spéculer avec lui sur l'avenir. M. Melzi réunissait à une belle figure, une grande naissance, toute l'instruction qu'on peut avoir sans le secours du travail ni de la lecture. Elevé chez les jésuites, il avait profité de leurs leçons; ses manières étaient nobles, gracieuses, insinuantes, son esprit était ardent, mais son caractère flexible, et sa conversation prudente et réservée. Il avait parcouru toute l'Europe, connaissait tous les cabinets, toutes les cours, et il donnait à l'observation et à la politique tout le temps que lui laissait sa passion dominante, qui était l'amour. Il joignait à des opinions philosophiques et libérales une ambition qu'il dissimulait avec autant d'adresse que de soin. Il reçut Bonaparte à Milan comme un libérateur, et j'ai toujours cru qu'il aurait voulu devenir lui-même le Washington de l'Italie. Ses illusions, s'il en eut, durèrent peu, et il fut peut-être le premier en Europe à deviner à la fois tout ce que pouvait Bonaparte et tout ce qu'il méditait. Je voudrais me rappeler tout ce qu'il m'en racontait, et ces expressions pittoresques et vives avec lesquelles il me dépeignait les premiers mouvements de cette ambition naissante, quoique déjà sans bornes, prête à s'élancer sur le monde comme sur sa proie. Il m'apprit que l'expédition d'Égypte, loin d'avoir été imaginée par le Directoire pour se débarrasser de Bonaparte, était entièrement conçue par ce dernier. En effet, un dessein aussi hardi ne pouvait naître que dans l'esprit de l'homme capable de l'exécuter. Bonaparte, effrayé des dissensions politiques auxquelles la France et l'Europe étaient livrées, peu propre d'ailleurs par son génie à jouer un rôle dans une révolution qu'il ne croyait pas si près de sa fin, conçut l'audacieux projet de reporter la civilisation à son berceau, de détruire la puissance anglaise dans l'Inde, et de revenir par Constantinople en Europe, lorsque l'Asie et l'Afrique seraient déjà sous ses lois. Berthier, un jour qu'il parlait plus qu'il ne voulait, nous avoua que Bonaparte n'avait renoncé à ce vaste dessein qu'en levant le siège de Saint-Jean d'Acre. Ce qu'il y a de sûr, c'est que dans sa première campagne d'Italie, M. Melzi le trouvait tous les soirs dans son palais ou dans sa tente, couché par terre sur des cartes d'Égypte, et bien plus occupé de ses vues sur cette contrée que de la conquête de l'Italie! (Mathieu Molé, Souvenirs d'un témoin de la Révolution et de l'Empire.) |
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