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66.
- Bourse. - Les faits qui s'y sont passés, méritent
de fixer l'attention de Sa Majesté. On doit d'autant plus
compter sur l'exactitude des renseignements qu'ils sont puisés
dans deux rapports faits par des observateurs absolument étrangers
l'un à l'autre, et qui, néanmoins, se rencontrent
avec une étonnante précision, dans ce qu'ils disent
sur les opérations ayant eu lieu, sur les hommes qui les
ont faites, ainsi que sur les résultats qui peuvent en être
la suite. On s'attendait pour la Bourse du 7 à une hausse
un peu marquée, parce que ce jour était le jour de
rigueur à la livraison des rentes provenant de la liquidation
du mois précédent, et que, la veille, le Syndicat
avait fait afficher de fortes parties de rentes que des agents vendeurs
étaient en retard à livrer. Le cours s'est ouvert
à 59 fr. 70 et il a baissé subitement à 59
fr. 15 et, à minuit (?), il était tombé à
59 fr. 05. Les deux observateurs se réunissent pour annoncer
que c'est moins encore cette baisse subite que la manière
scandaleuse dont elle s'est opérée qui doit fixer
l'attention. Depuis près d'un mois, une forte opération
montée à la hausse attirait les regards des capitalistes,
et la rente, partie de 57 fr. 50, était arrivée à
59 fr. 70, et la confiance dans l'effet se faisait remarquer surtout
par beaucoup de petits placements de 200 francs et 400 francs. A
la même époque, une espèce de coalition se monta
contre la hausse. La presque totalité des agents bien connus
pour jouer pour leur propre compte se réunirent. Les agents
Ferrand, Bresson, Lorraine, Petit jeune, Boisson, Maunel, etc.,
et surtout l'agent de change Coindre, inondèrent la place
de ventes à terme. Ce n'est pas sans quelque étonnement
qu'on a vu Porteau qui, comme agent de la caisse d'amortissement,
jouit d'une très grande influence, se réunir à
ceux qui viennent d'être nommés, et vendre 60 à
80 mille livres de rentes, au moment où le cours s'élevait.
Enfin les hommes qui voulaient la baisse avaient été
obligés de céder à la confiance des acheteurs,
et l'effet s'était maintenu contre toutes les intrigues.
Le 7 était un jour décisif ; tous les moyens, toutes
les intrigues ont été employés. Obligés
de fournir les rentes qu'ils avaient vendues, les joueurs à
la baisse avaient intérêt d'avoir à bon compte
celles dont les noms étaient livrables de suite. Pour les
obtenir à bon marché, il fallait éloigner les
capitalistes de leur acquisition. Pour obtenir ce dernier résultat,
ils ont offert la rente à terme, non seulement au même
prix, mais encore à un prix inférieur à celui
de la rente vendue au comptant. Les capitalistes qui, dans cette
opération, avaient la rente à meilleur prix, en gardant
leur argent, n'avaient aucun intérêt à approcher
de la rente au comptant, qui leur aurait coûté plus
cher et aurait exigé la livraison de leurs fonds, et conséquemment
peu d'acheteurs ont demandé la rente au comptant. Par cette
opération, outre ce résultat, les joueurs à
la baisse en obtenaient un plus dangereux, ils jetaient l'épouvante
parmi les propriétaires de rentes, forçaient les trembleurs
à se défaire de leurs rentes, et se faisaient aider
par eux dans les mouvements de baisse que les nouvelles ventes à
terme, qu'ils venaient de faire, les mettaient dans la nécessité
de provoquer et d'obtenir, à peine d'être ruinés.
Ces ventes à terme se sont toutes faites scandaleusement.
Coindre, qui vend depuis un mois, voyant que les yeux se fixaient
trop sur lui, n'a point voulu paraître pendant qu'on frappait
le grand coup, et, après avoir donné le signal, il
est disparu. En même temps que, de tous côtés
à la fois, les coalisés offraient la rente, ils appelaient
les vendeurs par des nouvelles qu'ils répandaient avec audace.
On colportait une lettre de Martin Schwatz, du Havre, qui annonçait
quatorze maisons détruites et plusieurs personnes tuées.
On annonçait une grande perte devant Boulogne, et S. M. l'Empereur
avait failli périr... On avait tiré un coup de pistolet
à Sa Majesté, et la personne qui était à
côté d'elle avait été tuée. L'agent
de change Bresson répandait le bruit du départ de
l'envoyé de Russie. L'agent de change Laffitte, qui se flatte
de savoir tout ce qui se fait aux relations extérieures,
parlait d’une demande en satisfaction faite par l'Empereur d'Allemagne
et tellement exagérée qu'elle devait être suivie
de la guerre, et mille autres nouvelles plus absurdes les unes que
les autres. Les deux observateurs craignent que ce premier succès
ne donne de la hardiesse aux joueurs à la baisse et ne leur
procure une baisse plus marquée. Tous les deux pensent qu'il
faut enfin en imposer aux agents de change, qui violent audacieusement
la loi qui les a créés, jouent pour leur propre compte,
et qu'un exemple, une suspension, une interdiction, ramèneraient
ces agents à leur devoir, la tranquillité à
la bourse, et la sécurité dans le cœur des capitalistes
qui font des achats réels et dans le cœur des rentiers.
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