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Précis
historique des villes hanséatiques.
Dans un moment où
la saine politique dirige les gouvernements vers tous les objets
qui tendent à la prospérité du commerce, peut-être ne verra-t-on
pas avec indifférence le précis historique de ces villes qui en
ont jeté les premiers fondements dans l'Europe encore ignorante
et barbare. Le commerce leur doit aussi, dans des temps plus éclairés,
ses développements et ses progrès. Voici quelles en furent l'origine
et les causes :
Lorsque l'Europe était dans le plus fort de ses institutions féodales,
deux villes au nord de l'Allemagne conçurent le projet généreux
de s'en affranchir et de se rendre libres. Lubeck et Hambourg se
liguèrent pour arrêter les brigandages et les pirateries qui se
commettaient sur les grands chemins et sur les eaux.
Peu à peu d'autres villes, au nombre de quatre-vingt-six, accédèrent
a cette ligue; et dès lors le droit du plus
fort, qui infestait ces contrées de vols et de rapines, se
vit tout à coup réprimé. Tels furent les faibles commencements de
la Hanse teutonique.
Ses progrès rapides, son esprit de commerce et de justice accrurent
ses richesses et sa puissance à tel point, qu'elle fut recherchée
des princes les plus absolus, et que, plus d'une fois, ils furent
obligés d'en recevoir des lois. Cependant la plupart des villes
qui entrèrent dans cette ligue continuèrent de rester sous la dépendance
de leur suzerain; mais, comme le commerce leur procura de grandes
richesses, leur assujettissement à des princes qui étaient presque
tous pauvres n'eut point d'influence ou fort peu, sur les traités
ou sur les entreprises
qu'elles firent en commun.
C'est principalement sur mer qu'elles tentèrent
et opérèrent grandes choses. Les puissances, loin de s'y
opposer, étaient restées comme spectatrices indifférentes des entreprises
de cette hanse, qui offrait à l'Europe un genre de ligue qui n'avait
pas encore paru dans le monde politique.
C'est principalement à ses villes maritimes que la ligue dut le
concert et la conduite de tous ses intérêts. Leur prévoyance active
sut s'approprier tout le commerce de l'intérieur et du dehors. A
cet effet elles établirent quatre grands comptoirs où l'on vit affluer
toutes les productions commerciales, Londres , Berghen, Bruges et.
Novogorod furent les entrepôts qu'elles se choisirent;
Londres, pour correspondre avec l'Angleterre , l'Ecosse et l'Irlande
;
Berghen, pour communiquer avec le Danemarck, la Norwège et la Suède;
Novogorod, et dans la suite Nerva, pour la Pologne, la Prusse, la
Livonie, la Russie, l'Asie mineure et la Perse;
Bruges, et postérieurement Anvers, pour être en relation avec les
Pays-Bas, la Haute-Allemagne, la France, l'Espagne, le Portugal,
l'Italie et la Hongrie.
C'est de ces quatre points que la Hanse étendait ses relations commerciales
à presque tout le monde connu.
Les avantages qu'elle en recueillit furent considérables ; elle
les dut à la sagesse de sa conduite, et surtout à l'art d'avoir
su se procurer des privilèges dans les pays étrangers. Ses avoués
et agents y étaient regardés comme indigènes, y payaient moins d'impôts
que les natifs mêmes du pays ; et de cette manière les villes maritimes
de la Hanse débitaient au-dehors les marchandises fabriquées par
les villes de l'intérieur qui s'étaient unies avec elles. Prudentes
et heureuses dans leurs entreprises contre les puissances, elles
maintenaient aussi par leur audace et par la force les avantages
qu'elles avaient obtenus; et souvent la guerre, en leur assurant
ceux qu'on voulait leur contester, leur en procurait encore de nouveaux.
Nulle puissance alors ne pouvait leur tenir tête; mais vers la fin
du quinzième siècle
cette grande prospérité pencha vers son déclin.
La sûreté des route de la navigation avait été le but et le cause
de la réunion des villes hanséatiques. Maximilien Ier, en rétablissant
la paix publique, dite en allemand la paix des campagnes,
après une guerre semblable à celle qui a été connue en France sous
le nom de Jacquerie, pourvut à cette sûreté. Les villes délivrées
des pirates et des brigands ne sentirent plus le poids des impositions
qu'il fallait supporter pour l'entretien de la Hanse ; et comme
celles de l'intérieur ne participaient pas à la prospérité commune
en proportion des villes maritimes, elles commencèrent à s'en détacher.
Jusqu'alors elles avaient formé un état dans l'état. Cette monstruosité
politique disparut, quand les princes suzerains eurent mis plus
d'ordre dans leurs finances et formé des armées permanentes.
Enfin l'attention que plusieurs grandes puissances donnèrent à leur
commerce porta le dernier coup à la prospérité de la Hanse.
Le Danemark et la Suède, avec qui elle avait eu des démêlés fréquents,
ouvrirent, à la sollicitation de Charles-Quint, la Baltique aux
habitants des Pays-Bas. Cet empereur fit plus ; il encouragea les
princes allemands à détacher de la Hanse celles de leurs villes
qui cultivaient les manufactures. Celle de Brunswick, refusant d'obéir
à la sommation de son prince, fut mise
au ban de l'Empire ; et cet exemple fit rentrer successivement
toutes les autres dans leur devoir. Dès lors une grande partie du
commerce de la ligue hanséatique passa aux Flamands, auxquels elle
avait constamment fermé la navigation de la Baltique.
La Hanse reçut un autre échec en Angleterre. Sous les règnes de
Marie et d'Élisabeth, on commença à mettre des obstacles à l'exportation
des matières que les villes hanséatiques y allaient prendre pour
les débiter ailleurs. Les Anglais obtinrent aussi pour les marchands,
dits aventuriers, des établissements jusque dans la ville de Hambourg.
Mais la Hanse n'ayant pas voulu souffrir cette concurrence, ces
aventuriers furent obligés de quitter le territoire ; et par représailles
le gouvernement anglais ôta aux villes hanséatiques les privilèges
dont jusqu'alors elles avaient joui en Angleterre.
Ces prérogatives cessèrent aussi d'exister en Suède et en Russie,
lorsque les Suédois s'emparèrent de Nerva et de la province d'Ingrie.
La navigation de la Baltique fut aussi perdue pour les Russes; et
le commerce qu'ils faisaient sur cette mer passa aux Anglais par
la voie d'Archangel.
Dès lors les liens de la ligue furent tellement dissous, qu'en 1628
et 1630 l'empereur ayant voulu lui rendre quelque consistance, pour
appuyer par le moyen de cette hanse des vues de commerce qu'il avait
formées sur la Baltique, fut obligé d'y renoncer.
Ainsi de cette alliance que l'esprit de commerce avait rendue si
puissante, il n'est resté que Lubeck, Brême et Hambourg qui ont
persisté dans la Hanse, et qui portent encore le nom de villes hanséatiques.
Quoique ces trois villes n'aient plus la même puissance qu'à l'époque
où la ligue brillait de toute sa splendeur, les gouvernements les
plus éclairés de l'Europe n'ont jamais perdu de vue les avantages
qu'ils peuvent retirer de la position physique et de la forme constitutionnelle
de ces trois villes. Aussi la France n'a-t-elle jamais cessé de
les protéger, de se les attacher, et d'entretenir des liaisons utiles
avec elles : car il est de son intérêt de soutenir des alliés
fidèles, reconnaissants, industrieux, utiles en temps de
paix, et presque indispensables en temps de guerre.
Lorsque l'automne et l'hiver mettent des obstacles à la navigation,
ces trois villes peuvent servir d'entrepôt pour le commerce. On
est à même d'y être promptement instruit des variations dans les
prix des denrées et marchandises, d'y saisir les moments favorables
pour les spéculations. La France peut y exporter ses vins, ses eaux-de-vie,
ses productions de luxe et autres articles. La France peut en retirer
des comestibles, des chanvres, goudrons, bois de construction et
mille autres objets. En un mot, ces trois villes peuvent nuire difficilement
et peuvent être constamment utiles : elles n'existeraient pas, qu'il
serait de l'intérêt de la France d'en former qui pussent les remplacer.
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