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Nous avons
été opprimés pendant douze années par
un seul homme. Il a porté la dévastation dans toutes
les contrées de l‘Europe, et soulevé contre nous les
nations étrangères. Accablés sous le nombre,
nos défenseurs ont dû reculer ; les murs de Paris
ont vu, pour la première fois depuis plusieurs siècles,
flotter les bannières ennemies. L‘auteur de tant de maux
a déposé le pouvoir ; après avoir versé
tous les fléaux sur notre patrie, il a quitté le sol
de la France. Qui n‘eût pensé qu‘il le quittait pour
toujours?
Tout à coup il se présente, il réclame ses
droits ou ceux de son fils. Il promet aux Français la liberté,
la victoire, la paix. Il redemande le trône.
Ses droits ? quels sont-ils ? la légitimité
héréditaire ? Mais une courte occupation de douze
années, et la désignation d‘un enfant pour successeur,
ne peuvent certes se comparer à sept siècles d'une
possession paisible. Le vœu du peuple ? Mais si ce vœu doit
être compté, n‘a-t-il pas été unanime
dans tous les cœurs pour rejeter Buonaparte? Ainsi, dans aucune
hypothèse, il ne peut réclamer des droits.
Auteur de la constitution la plus tyrannique qui ait régi
la France, il parle aujourd'hui de liberté ; mais c'est
lui qui, durant quatorze ans, a miné et détruit la
liberté. Il n'avait pas l'excuse des souvenirs, l'habitude
du pouvoir ; il n'était pas né sous la pourpre.
Ce sont ses concitoyens qu'il a asservis, ses égaux qu'il
a enchaînés. Il n'avait pas hérité de
la puissance : il a voulu et médité la tyrannie ;
quelle liberté peut-il promettre? Ne sommes-nous pas mille
fois plus libres que sous son empire ?
Il promet la victoire, et trois fois il a laissé ses troupes,
en Égypte, en Espagne et en Russie, livrant ses compagnons
d’armes à la triple agonie du froid, de la misère
et du désespoir. Il a attiré sur la France l‘humiliation
d'être envahie ; il a reperdu les conquêtes que
nous avions faites avant lui.
Il promet la paix, et son nom seul est un signal de guerre. Le peuple
assez malheureux pour le servir redeviendrait l'objet de la haine
européenne ; son triomphe serait le commencement d'un
combat à mort contre le monde civilisé.
Il promet encore le maintien des propriétés, de ces
propriétés surtout qu‘attaquent follement les déclamations
imprudentes de quelques écrivains désavoués.
Mais cette parole même, il ne peut la tenir. Il n'a plus l‘Europe
à donner pour récompense, et les propriétés
des Français devraient remplacer les richesses étrangères.
Il n‘a donc rien à réclamer ni à offrir. Qui
pourrait-il convaincre, ou qui pourrait-il séduire? La guerre
intestine, la guerre extérieure, voilà les présents
qu‘il nous apporte.
Contre un tel adversaire le gouvernement n’a besoin ni de mesures
extraordinaires, ni de précautions ombrageuses, ni d‘extension
de pouvoir. La constitution suffit à tout, et le roi lui
a déjà rendu un solennel hommage, en appelant autour
de lui les représentants de la nation.
Il appelle de même, avec la certitude d'en être entendu,
les hommes qui, à toutes les époques, ont versé
leur sang pour la patrie, et ceux qui ont entouré la monarchie
des sauvegardes de la liberté, et les Français exilés
auxquels il a rendu la terre qui les vit naître, et les nouveaux
propriétaires dont il a sanctionné les acquisitions,
et tous ceux qui pensent, et tous ceux qui sentent, et tous ceux
qui chérissent les principes constitutifs de la dignité
de notre nature.
Il est question de défendre une constitution dont les avantages
sont déjà connus, qui contient tous les moyens d‘amélioration,
et qui deviendra chaque jour plus chère au roi dont elle
fait la sûreté, au peuple dont elle est la garantie ;
il est question de la défendre contre un régime d'usurpation
qui a pesé sur toutes les classes, sur tous les individus,
qui soulèverait contre nous toute l'Europe, qui réunirait
au-dehors et au-dedans tous les genres de honte et tous les genres
de calamités.
Peut-être cet appel est-il superflu. Déjà peut-être
le péril est conjuré. Mais s‘il ne l'était
pas, tous les Français courraient aux armes, défendraient
leur roi, leur constitution et leur patrie ; et ceux-là
ne seront pas les derniers, qui, dans leur franchise et dans leur
conscience,ont pu censurer quelques mesures ou quelques actes de
l'autorité. Il se précipiteront au premier rang, car
ils savent que, plus la liberté leur est chère, plus
il faut repousser Buonaparte, son éternel ennemi ; et
ils sont bien sûrs que le gouvernement qui même, dans
un moment de crise, a donné une double preuve de sagesse
et de force en respectant toutes les libertés, les chérirait
encore plus après la victoire, s’enorgueillirait de régir
un peuple libre, considérerait les droits de ce peuple comme
la plus précieuse de ses propres garanties, et l‘assentiment
national comme la base et le salut du pouvoir.
Benjamin Constant.
N.B. Cet article a été envoyé le 8 ; des circonstances,
indépendantes de la volonté de l'auteur, en ont retardé
de trois jours la publication. |
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