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1789 : La cocarde tricolore

     
         
 

Début de l'article
Chapitre 2
Chapitre 3

 

Le témoignage de Failly
Les couleurs du roi
Le rôle de La Fayette


 
 
       
 

Le témoignage de Failly

Je crois que, par toutes les citations données au long de ces pages, l'existence de la cocarde tricolore avant le 17 juillet a été suffisamment démontrée. Il est néanmoins un texte qu'il est encore important de citer, car il est extrait d'une lettre écrite par un membre de la milice bourgeoise, et il décrit exactement l'histoire de la cocarde comme je viens de la retracer. Cette lettre a été publiée dans Annales historiques de la Révolution française, en juillet 1956. Mais l'importance de ce témoignage a échappé au commentateur, puisque, comme tout le monde, il était persuadé que la cocarde tricolore était une création plus tardive ; ou alors, il n'accordait aucune importance à ce détail d'une consternante futilité...

     
 

Du 18 juillet 1789. (...) J'ai pris les armes et la cocarde uniforme bleu et rose et moi 200.000ème nous avons lundi dépêché des patrouilles aux barrières, dans toutes les rues, dans tous les environs de Paris dans tous les corps de garde, chez tous les commissaires aux halles, etc.
Le meurtre ne fut pas grand en général dans ce pays ; on a plus craint qu'essuyé de violences.
Dimanche soir la populace semblait vouloir se porter du côté de Versailles.
(...) On fut cet instant-là dans la plus grande crainte. On entendit toute la nuit beaucoup de coups de fusil mais la canaille seule était sortie et en grand nombre, on en fut moins effrayé.
Le lundi de grand matin on sonna le tocsin dans toutes les paroisses, les électeurs s'assemblèrent à la ville. Chaque quartier dans l'église de son district. Au même instant fut formée, sans chef cependant, une milice bourgeoise, qui en cinq ou six heures fit éloigner par le soin que l'on prit, toute la canaille armée et sans aloy qui inondait Paris et exposait beaucoup le citoyen ; on arrêtait tous ceux qui étaient armés sans être en patrouille, on les désarmait et s'ils ne nommaient pas leur district, on les conduisait provisoirement en prison. On donna d'abord pour passeport la cocarde verte, mais le soir réfléchissant que cette cocarde était livrée du comte d'Artois, on la prit rose, bleu et blanc. Cette journée se passa dans la plus grande transe.
(25)

     
 

Cette lettre est le seul document que j'aie retrouvé qui fasse nettement la distinction entre la cocarde-uniforme (bleue et rouge) et la cocarde-sauvegarde (verte, puis tricolore) et qui cite les trois différentes cocardes. Je ne l'ai trouvée qu'après avoir déduit l'explication sur les différentes cocardes par la confrontation des autres témoignages.

     
       
 

Les couleurs du roi

Pour quelle raison la couleur blanche a-t-elle été ajoutée au bleu et au rouge de Paris? L'explication la plus communément avancée est que le blanc était la couleur du Roi. Cette affirmation, pourtant. a le défaut de reposer sur un anachronisme. Prenons "l'Etat général de la France", de Waroquier, espèce d'annuaire paru en janvier 1789. On y lit que les Gardes de la Prévôté portent tous le hoqueton à bouillons d'orfèvrerie, dont le fonds est des couleurs du Roi, incarnat [rouge], blanc et bleu.
Prenons le classique "Traité des marques nationales" de Beneton de Morange, ouvrage paru en 1739 (un demi-siècle avant la Révolution). On y trouve une dissertation sur les couleurs qui composent la livrée du Roi, et qui se termine de la manière suivante :
"J'ai montré que ces trois couleurs ont été successivement celles qui ont désigné les Français; savoir le bleu sous les deux premières races de nos Rois, le rouge sous la troisième jusqu'à Charles VI, et le blanc, depuis Charles VII jusqu'à présent; ainsi pour composer une livrée pour nos rois qui fût capable d'indiquer l'ancienneté de la Monarchie, on n'a eu qu'à rassembler les couleurs qui en différents temps l'ont désignée."
A longueur de page se trouve démontré dans cet ouvrage, et ce sans esprit de controverse, que la couleur nationale des Français était alors le blanc, tandis que les couleurs personnelles du Roi étaient le bleu, le rouge et le blanc.
C'est donc la cocarde aux couleurs du Roi que Flesselles avait donnée aux Parisiens le 14 juillet ! (cocarde d'ailleurs appelée "royale et bourgeoise" par la Gazette de Leyde). Excellent symbole, il faut en convenir, puisque tout en rassemblant les trois couleurs successivement désignatives de la Nation française, il exprimait en même temps l'union des trois ordres par la présence de trois couleurs, l'union de Paris et de la Nation, et l'union intime des Français avec leur souverain, ce qui était la doctrine politique reçue alors avec enthousiasme et presque sans partage. Ajoutons aussi que la nef du blason de Paris est d'argent, et que les trois couleurs se retrouvent donc dans les armoiries de la ville.
Quel concepteur publicitaire ne rêverait d'avoir trouvé un symbole aussi parfait ? On ne pouvait trouver mieux ! C'est ce qui explique que Louis XVI, qui savait évidemment très bien que c'étaient là ses couleurs, ait accepté de si bonne grâce la nouvelle cocarde. (26)
Sous Charles VII, les Français furent contraints d'abandonner le rouge et de prendre le blanc, parce que les Anglais avaient abandonné le blanc et pris le rouge pour afficher les prétentions de leur roi sur la couronne de France. En 1789, le refus des tenants de l'Ancien Régime de porter des
couleurs - fussent-elles celles du Roi - adoptées par leurs adversaires amena rapidement une inversion de symbolique : les couleurs personnelles du Roi devinrent couleurs nationales, et même symbole de la Révolution, alors que la couleur nationale devint celle du parti du Roi.

 
     
       
 

Le rôle de La Fayette

Il nous reste à voir pourquoi on a si longtemps attribué à La Fayette l'invention de la cocarde. La mention la plus ancienne que j'ai retrouvée de cette paternité se trouve dans un ouvrage paru en 1818, intitulé les Quatre Ages de la Garde nationale, de Cadet de Gassicourt. Il est possible que cette attribution soit due à des raisons politiques. Quant au fameux texte, extrait des Mémoires de La Fayette, dans lequel celui-ci se serait attribué la paternité de la cocarde, il n'a aucune valeur historique. Les soi-disant Mémoires de La Fayette ne sont qu'un recueil disparate de textes publié par la famille du général. La Fayette lui-même ne s'est pas attribué ce qu'il savait bien ne pas lui appartenir. Son rôle s'est borné à présenter à l'assemblée des représentants de la commune le résultat du travail du 4e bureau du comité militaire, qui était chargé de toutes les questions relatives à l'uniforme de la garde nationale de Paris. Ce travail était basé sur une note de Mathieu Dumas, rédigée le 23 juillet et que celui-ci a reproduite dans ses Mémoires. On y lit :
" on proposerait de donner le même uniforme à la totalité des milices parisiennes, et l'on fixerait ainsi les couleurs de la cocarde nationale: habit bleu de ciel, parement blanc, collet rouge."
Ce qui confirme, si besoin en était, que la cocarde nationale existait avant le fameux rapport de La Fayette, et ce qui rend donc au rôle de celui-ci ses justes proportions. Rappelons aussi la lettre de Gouvion à Bailly citée plus haut .

   
  Gouvion était aide de camp de Lafayette dès la formation de la Garde nationale. Si Lafayette avait "inventé" la cocarde nationale, Gouvion s'en serait souvenu un an plus tard.
C'est le 27 juillet au soir que fut examiné le travail du 4e bureau, chargé des questions relatives à l'habillement et à l'équipement. La cocarde proposée nous est connue par le Procès-verbal de la formation et des opérations du comité militaire :
"Quant à la cocarde, la couleur blanche étant la couleur nationale, il est proposé de la faire de ruban large blanc de basin, liseré bleu et rouge, pour indiquer les couleurs de la ville."
L'énoncé est habile. La cocarde de la garde nationale sera blanche, comme celle des troupes du Roi. On n'ose quand même pas s'afficher avec les couleurs de l'insurrection, maintenant que les choses sont rentrées dans l'ordre. Les couleurs de la ville sont indiquées par un simple liseré. Au fond, tout dépendra de la largeur de ces liserés.
Ce n'est que le 2 août, d'après le Procès Verbal du comité militaire, que les membres chargés de l'équipement ont présenté un modèle de cocarde qui a été adopté, et scellé du cachet du comité.
Bientôt, cocarde nationale et cocarde uniforme vont se confondre, puisqu'en fait, cette dernière n'était qu'une copie de la première. Petit à petit, même les troupes du Roi vont troquer la cocarde blanche contre la cocarde nationale.
     
 

 

Octobre 1789

Dans les premiers jours d'octobre courut à Paris le bruit que la cocarde nationale avait été foulée aux pieds par les gardes du corps du Roi lors d'un banquet offert par ceux-ci aux officiers du régiment de Flandre. La rumeur publique fit bientôt de ce repas une "orgie antipatriotique". En même temps, on affirmait que des particuliers avaient osé se promener dans Paris en arborant des cocardes noires ou blanches. Dans la situation difficile que connaissait la capitale, de nouveau menacée de famine, l'affront à la cocarde semblait être le signe d'une conspiration aristocratique.
L'assemblée de la commune de Paris rendit le 4 octobre un arrêté, qui est le plus ancien document officiel que nous possédions dans lequel est donnée la description de la cocarde :
"L'Assemblée, informée que plusieurs personnes ont pris des cocardes différentes de celles qui sont aux couleurs de la Ville, et notamment des cocardes noires; considérant que la cocarde originairement adoptée a été un signe de fraternité pour les citoyens, et que Sa Majesté l'a adoptée elle-même ;
Ordonne que les arrêtés précédemment rendus, qui sont en tant que de besoin confirmés, continueront d'être exécutés,
Déclare que la cocarde aux couleurs rouge, bleue et blanche est la seule que les citoyens doivent porter; fait défenses à tout particulier d'en porter d'autres; enjoint à M. le Commandant-général de donner les ordres nécessaires pour l'exécution du présent arrêté, qui sera imprimé, affiché, envoyé à tous les districts et aux différentes municipalités des environs de Paris
."(27)
Cet arrêté confIrme que la cocarde rouge, bleue et blanche fut adoptée par les citoyens comme signe de fraternité, que c'est bien œlle que le Roi a reçue des mains de Bailly, et qu'il existe au moins un arrêté -aujourd'hui perdu- qui l'a officialisée.
L'affront fait à la cocarde fut le prétexte de la marche des femmes sur Versailles et des événements des 5 et 6 octobre. Deux gardes du corps furent massacrés, et le Roi et sa famille furent contraints d'abandonner Versailles et de s'installer à Paris. C'était la fin de la monarchie de droit divin.

 
Gardes du corps du Roi
 
 

 

Conclusion

Les révolutions ne sont pas des jeux d'enfants... Dans les moments de grands bouleversements, la force des choses l'emporte sur la volonté des hommes, et mène leur destinée. Mais ces moments-là voient s'agiter des individus entreprenants et ambitieux. Ils sentent venir les changements, et veulent en tirer parti. Il y en a dans tous les camps, du côté du vainqueur et du côté du vaincu. Il y a des conspirateurs, il y a des conspirations. Ce ne sont pas eux qui provoquent les événements. Mais ils tentent d'influer sur eux, ou de les précipiter, et croient les provoquer. Leurs moyens sont rarement avouables. Vainqueurs ou vaincus, ils sont obligés de mentir. Mais quand ils sont vainqueurs, c'est eux qui écrivent l'histoire, et qui l'embrouillent. Napoléon, qui s'y connaissait un peu, a dit : "la vérité de l'histoire, sur ce point comme sur tant d'autres, ne sera probablement pas ce qui a eu lieu, mais seulement ce qui sera raconté". (28)

L 'histoire de la cocarde montre que l'armement de la bourgeoisie parisienne s'est déroulé selon le scénario qui a servi en Provence au printemps, et qui révèlera encore son efficacité quelques jours plus tard lors de la Grande peur. Un phénomène de peur irrationnelle, mais qui semble provoqué à dessein, entraîne l'armement de la bourgeoisie, laquelle se réveille le lendemain étonnée mais consciente de sa force, et ose entreprendre ce qu'elle n'avait osé imaginer la veille.
Comme l'écrit l'imprimeur Nicolas Ruault, lui-même soldat-patriote : "La bourgeoisie ne quittera point les armes que la Constitution ne soit faite." (p. 154, lettre du 16 juillet).

Ce mouvement fut-il réellement dirigé? On ne peut l' affirmer. Mais il nous reste tant de documents à confronter qu'il n'est pas impossible qu'on puisse un jour répondre à cette question.
On a écrit, on a dit et on a répété beaucoup de divagations
sur l'origine du bleu-blanc-rouge, et il y a fort à parier qu'on continuera à reproduire pendant longtemps les mêmes balivernes.
J'espère néanmoins avoir pu apporter quelques lumières sur cette question bien embrouillée. Tout n'est pas encore dit, et je ne doute pas que grâce à ce nouvel éclairage, un autre chercheur reprenne un jour la question, et qu'il verra des évidences que je n'ai pas pu apercevoir. Pour ma part, je
crois que j'ai pu me rapprocher d'une réalité historique par le retour systématique et massif aux documents d'époque (et ils ne manquent pas), en tentant de faire abstraction d'un lourd héritage où les explications partisanes l'emportent sur le souci de vérité. Il reste beaucoup de documents à redécouvrir, des tas de légendes à réviser. L'histoire a encore de beaux moments à nous offrir.

 
Nicolas Ruault
 
 


Le mot de la fin

Pour finir, je laisse la parole au héros de cette histoire, celui qui a le plus marqué cette année 1789 de sa forte personnalité, le comte de Mirabeau:
"Il est fort pressant d'apprendre à ceux qui naguère ont osé traiter les couleurs nationales de hochets, que les révolutions ne sont pas des jeux d'enfants." (29)

 
Mirabeau
 
         
         

 

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