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DESMOULINS (Camille). Au moment où cet article
est rédigé, une des plus grandes révolutions
qui jamais ait tourmenté l'espèce humaine, vient de
se terminer par le retour en France de l'auguste famille dont elle
avait renversé le trône et proscrit tous les princes.
Après des événements aussi extraordinaires,
les souvenirs se reportent naturellement, et par une sorte de réaction
involontaire, sur les hommes qui en furent les auteurs ou les plus
remarquables agents. Desmoulins fut le premier de la dernière
classe, et le premier provocateur de l'anarchie dont la France devint
le continuel théâtre dans ces temps déplorables.
Il était né en 1762, à Guise, en Picardie,
et fils d'un lieutenant au baillage de cette petite ville, qui,
pour lui faire faire ses études à Paris, eut recours
à la bienveillance du chapitre de Laon : il en obtint une
bourse pour le collège de Louis-le-Grand, où son fils,
le jeune Camille, fut le condisciple et l'ami du fameux Robespierre.
Doué de beaucoup d'esprit naturel, il fit d'assez bonnes
études, et fût devenu peut-être un sujet très
distingué, si, moins abandonné à lui-même,
des conseils sages eussent pu combattre dans son imagination ce
que l'étude même pouvait, en ce temps-là, avoir
de dangereux. En effet, on ne parlait alors que de principes républicains,
que de vertus républicaines, à des jeunes gens destinés
à vivre dans un état monarchique, dont une fausse
philosophie sapait d'ailleurs tous les jours les fondements, avec
une incroyable activité. Le système d'Helvétius
devint celui de Desmoulins, et la poursuite du plaisir fut la règle
de sa conduite, le mobile de toutes ses actions. Lorsqu'après
avoir épuisé toutes les extravagances démocratiques,
les révolutionnaires voulurent aussi faire l'essai des pratiques
de Lacédémone, Desmoulins se moqua d'eux. «
Je veux aussi, leur disait-il, célébrer la république
, mais que ses banquets soient chez Méot. » Méot
était alors le plus célèbre restaurateur de
Paris, c'était là que Camille Desmoulins, le capucin
Chabot, Fabre-d'Eglantine, et quelques autres, allaient faire des
repas dignes de Lucullus ; mais quels furent ses actes révolutionnaires
? Dès l'ouverture des Etats-Généraux, le palais-royal
était devenu le rendez-vous des provocateurs les plus ardents
à tous les changements qu'on avait dessein d'opérer.
Quoique bégayant beaucoup, Desmoulins était un des
orateurs les plus déterminés des rassemblements qui
s'y formaient. La tournure de son esprit et la hardiesse de ses
motions le faisaient particulièrement remarquer d'une multitude
délirante, toujours prête à applaudir ce qu'une
imagination, exaltée au-delà de toute mesure, pouvait
enfanter de plus extraordinaire. Le 12 juillet 1789, dans l'après-midi,
on apprit à Paris que Necker venait d'être congédié.
La nouvelle de cet événement produisit la plus grande
fermentation. Les Parisiens criaient que tout était perdu,
puisque ce ministre n'était plus à la tête des
affaires publiques. Desmoulins, qui avait ses instructions secrètes,
profite habilement de cette disposition des esprits : il sort d'un
café, tenant un pistolet à la main, et une épée
de l'autre, monte sur une chaise et annonce la nouvelle, puis arrachant
une feuille d'arbre, il l'attache à son chapeau en guise
de cocarde, crie aux armes ! et invite les rassemblements à
le suivre. Aussitôt, tous se précipitent à grands
flots; en un instant le Palais royal et les quartiers voisins se
couvrent d'une foule immense, les habitants de Paris descendent
de tous les étages de leurs maisons, la population entière
de la capitale semble être dans les rues. Il est difficile
d'imaginer un mouvement pareil ; les spectacles allaient commencer,
Camille Desmoulins et ses amis en forcent les entrées, en
criant aux armes ! et en font sortir tous les spectateurs, dont
le plus grand nombre se joint à la foule insurgée
: ils vont ensuite enlever de chez le statuaire Curtius, les bustes
de Necker et du duc d'Orléans, et les portent en triomphe
dans les rues et dans les places publiques. Le reste de cette scène
ne doit point appartenir à cet article (voy. Necker
et Orléans ). Pendant le règne de l'assemblée
constituante et de l'assemblée législative, Desmoulins
continua d'être l'agent le plus furieux, et surtout le plus
utile des chefs de la révolution. Lors de l'assassinat du
chevalier Delauney et de MM. de Flesselles, Foulon et Berthier,
il prit, dans ses pamphlets séditieux, le titre de Procureur
général de la Lanterne, et ne cessa d'exciter
le peuple aux plus extrêmes violences, soit dans les groupes,
soit dans les petits écrits dont il inondait le public, soit
enfin dans son journal intitulé : les Révolutions
de France et de Brabant. Lorsqu'on agitait dans l'assemblée
la question de savoir si l'on accorderait au roi la sanction absolue
des décrets, et si le corps législatif serait divise'
en deux chambres, ou n'en aurait qu'une seule , on se servit de
Desmoulins pour rédiger les écrits anonymes dans lesquels
on menaçait de l'insurrection populaire, et même d'incendier
les châteaux des députés qui voulaient la sanction
absolue et les deux chambres ( Voyez les différents Mémoires
sur la révolution ). M. Malouet, indigné de tant d'audace,
dénonça plusieurs fois Desmoulins à l'assemblée,
comme un provocateur à l'assassinat, et obtint même
qu'il fût traduit au Châtelet, alors chargé de
la poursuite des crimes de lèse-nation ; mais celui-ci réclama
contre le décret, et ses partisans appuyèrent sa réclamation
; M. Malouet insista avec force, et dit que si quelqu'un osait combattre
ses assertions, il était prêt à le confondre.
« Oui, je l'ose, » s'écria Desmoulins , qui se
trouvait alors dans les tribunes publiques. Cette hardiesse fit
un bruit épouvantable : mille voix demandèrent que
l'insolent fut arrêté; mais Robespierre prit sa défense,
parla de sa vivacité, de son caractère, de son patriotisme,
plusieurs députés du côté gauche se joignirent
à lui ; il ne fut point arrêté, pas même
renvoyé des tribunes, et le décret qui le traduisait
au Châtelet n'eut point de suite, Desmoulins fut un des instigateurs
de la révolte du Champ-de-Mars. Il complota avec les clubistes
Cordeliers, ses collègues et ses amis, et fut momentanément
poursuivi pour cette affaire, avec Danton et quelques autres. Sous
l'assemblée législative, après la chute du
ministre Delessart, on le vit attaquer Brissot et les députés
de la Gironde, qui jusqu'à cet événement ,
époque remarquable de la révolution , avaient marché
sur la même ligne avec les autres jacobins, ennemis de la
cour. Brissot, et les députés de la Gironde, étaient
les véritables républicains, et leur but, en faisant
déclarer la guerre à l'Autriche, était de conduire
les événements de manière que le renversement
du trône en France en fût la suite. Ils déclarèrent
publiquement depuis, que telles étaient leurs intentions
; quelques autres révolutionnaires, en apparence beaucoup
plus exagérés qu'eux, voulaient bien aussi détrôner
le malheureux Louis XVI, mais pour faire passer le sceptre dans
les mains d'un autre prince. C'est pour ce parti qu'écrivit
Camille Desmoulins, surtout en 1791. Il poursuivit à outrance
Brissot, que la voix publique mettait à la tête des
républicains, et ne contribua pas peu, par ses sarcasmes
et ses plaisanteries, à le perdre dans l'opinion du peuple,
qui était alors l'unique appui des révolutionnaires.
Ce fut lui et le journaliste Morande qui imaginèrent la dénomination
de Brissotins et de Girondins, qui commença
leur ruine. Il dévoila leurs projets de détruire ce
qui restait de la royauté ; idée qui n'existait encore
que confusément dans les tètes les plus ardentes,
et insinua que la guerre qu'ils voulaient faire déclarer
n'avait pas d'autre but. Pendant que Desmoulins tenait ce langage,
dans ses pamphlets, Robespierre s'élevait aussi de toutes
ses forces contre la guerre, à la tribune des Jacobins ,
et prophétisait, pour ainsi dire, les malheurs qu'elle devait
entraîner ( V. Robespierre). Au surplus. Desmoulins ne doit
pas moins être signalé au nombre des plus cruels ennemis
du roi, et il fut sous les auspices de Danton, un des provocateurs
les plus immédiats de la révolution du 10 août.
Après cet événement, il devint le secrétaire
de Danton, et il paraît certain qu'il complota avec lui, et
Fabre-d'Eglantine, les affreux massacres du 2 septembre. Quelques
jours auparavant, il annonça avec son indiscrétion
accoutumée, qu'il se préparait une expédition
importante contre les ennemis de la patrie : mais il assura que
tout se passerait avec ordre, et que les bons citoyens n'avaient
rien à craindre. Après les assassinats, il essaya
de les justifier, en disant que, comme il l'avait annoncé,
tout s'était passé avec ordre, que le peuple n'avait
frappé que les contre-révolutionnaires, et que même
il avait renvoyé absous plusieurs aristocrates. Ce fut dans
ces temps terribles, et pour ainsi dire sous la hache des bourreaux,
que Camille Desmoulins fut nommé député à
la convention, par les électeurs du département de
Paris ; il y vota la mort du roi : après ce crime, il se
comporta avec modération, et parut déplorer les attentats
auxquels ses amis continuaient à se livrer. Il parla peu
dans cette assemblée, la difficulté qu'il avait à
s'exprimer en fut la cause ; il défendit cependant de toutes
ses forces le général Arthur Dillon , qu'on avait
résolu de proscrire, et ne cessa de se montrer son apologiste
jusqu'au moment où il fut traîné à l'échafaud
(v. Dillon). Les proscriptions devenant tous les jours plus nombreuses
et plus épouvantables, il entreprit de les faire cesser,
et crut pouvoir y parvenir en publiant un pamphlet périodique
intitulé le Vieux Cordelier, que Robespierre, qu'il
croyait encore son ami, ne parut pas d'abord désapprouver.
S'il se fut contenté d'attaquer le fond des choses, sans
attirer trop clairement l'attention sur les principaux acteurs,
il eut peut-être réussi, mais il ne put se contenir,
Robespierre seul fut ménagé, et Mr. B.. et St-Just,
ses collègues et ses coopérateurs, furent accablés
des sarcasmes les plus sanglants. Il disait de St.-Just qu'il portait
sa tête comme un saint-sacrement. Je la lui ferai porter d'une
autre manière, dit celui-ci. Alors ces deux hommes le dénoncèrent
comme un modéré, comme un contre-révolutionnaire
: deux expressions qu'on employait alors également pour envoyer
les gens à l'échafaud. Robespierre parut vouloir un
instant le sauver, en disant, dans une séance des Jacobins
où se trouvait l'accusé, qu'il fallait brûler
son pamphlet. Brûler n'est pas répondre, répartit
Desmoulins. Les tyrans n'aiment pas qu'on raisonne avec eux ; Robespierre
trouva cette réponse fort déplacée, et abandonna
son ancien ami à la vengeance de Mr. B... et de St.-Just,
qui le firent décréter d'accusation, comme complice
de Danton, qu'on venait d'envoyer à la prison du Luxembourg.
Le Vieux Cordelier, dont il n'a paru que six numéros,
est un écrit recherché ; on y compare la doctrine
qu'on suivait alors à celle de Tibère, dont la loi
des suspects est une misérable copie. On croit faire plaisir
aux lecteurs en consignant, dans cet article, un projet de Chaumette
à cet égard, que Camille avait en vue (1). «
Sont suspects, disait Chaumette, et il faut arrêter comme
tels : 1°- Ceux qui, dans les assemblées du peuple, arrêtent
son énergie par des discours artificieux , des cris turbulents,
des murmures ; 2°. ceux qui, plus prudents, parlent mystérieusement
des malheurs de la république, s'apitoient sur le sort du
peuple, et sont toujours à répandre de mauvaises nouvelles
avec une douleur affectée ; 3°. ceux qui ont changé
de conduite et de langage, suivant les événements,
qui, muets sur les crimes des royalistes , des fédéralistes,
déclament avec emphase contre les fautes légères
des patriotes, et affectent pour paraître républicains,
cette sévérité, cette austérité
étudiées, qui se démentent dès qu'il
s'agit d'un modéré ou d'un aristocrate ; 4° ceux
qui plaignent les fermiers et marchands avides, contre lesquels
la loi est obligée de prendre dcs mesures ; 5°ceux qui,
ayant toujours les mots de liberté, république et
patrie sur les lèvres, fréquentent les ci-devant nobles,
les prêtres contre-révolutionnaires, les aristocrates,
les feuillants, les modérés, et s'intéressent
à leur sort ; 6° ceux qui n'ont pris aucune part active
dans tout ce qui intéresse la révolution, et qui,
pour s'en disculper, font valoir le paiement des contributions,
leurs dons patriotiques, leur service dans la garde nationale, par
remplacement ou autrement ; 7°. ceux qui ont reçu, avec
indifférence, la constitution républicaine, et ont
fait part de fausses craintes sur son établissement et sa
durée ; 8° ceux qui, n'ayant rien fait contre la liberté,
n'ont rien fait pour elle ; 9° ceux qui ne fréquentent
pas leurs sections, et qui donnent pour excuse qu'ils ne savent
pas parler, et que leurs affaires les en empêchent ; 10°.
ceux qui parlent avec mépris des autorités constituées,
des signes de la loi, des sociétés populaires et des
défenseurs de la liberté ; 11° ceux qui ont signé
des pétitions contre-révolutionnaires, ou fréquenté
des sociétés ou clubs anti-civiques, etc., etc. Camille
Desmoulins resta peu de temps dans la prison du Luxembourg, ce qui
l'affligeait davantage, était d'abandonner une femme charmante,
qui venait tous les jours dans le jardin, sous les fenêtres
de la prison, recevoir les adieux de son mari ; elle était,
dit-on, fille naturelle de l'abbé Terrai, et avait apporté
en dot 6.000 francs de rente à Desmoulins, qui en était
tendrement chéri et qui l'aimait lui-même avec passion.
Il avait fait bénir son mariage par un ecclésiastique
insermenté ; c'était elle qui l'avait exigé,
et cet ecclésiastique était le professeur de Desmoulins,
pour lequel, au milieu de ses monstrueuses erreurs, il avait conservé
beaucoup de vénération. (V. Berardier.} II montra
au tribunal révolutionnaire, comme ses co-accusés,
beaucoup d'impatience et d'indignation ; il ne pouvait comprendre
comment, avec ses principes, il se trouvait devant des juges de
cette espèce, dont presque tous étaient ses compagnons
d'armes, ou avaient été dirigés par lui dans
la carrière de la révolution. Lorsque le président
lui demanda quel était son âge, il répondit
33 ans, l'âge du sans-culotte Jésus, l'âge funeste
aux révolutionnaires. Après sa condamnation , il résista
de toutes ses forces aux sbires chargés de sa garde ; il
écumait de rage; ses habits étaient en lambeaux ,
et il était presque nu lorsqu'il arriva à l'échafaud
: il fut exécuté le 5 avril 1794 avec Danton et autres.
Son intéressante femme fut assassinée de la même
manière quelques jours après ; elle montra beaucoup
plus de fermeté que son mari, et prédit aux misérables
qui l'avaient condamnée, le sort qui les attendait. Desmoulins
avait été un des accusateurs des députés
en mission dans la Vendée, et avait osé faire considérer
comme des crimes, les horreurs qui s'y commettaient. Il fut, après
le 9 thermidor, considéré comme une des victimes de
la tyrannie, et sa mémoire fut particulièrement honorée
par ceux qui avaient triomphé dans cette journée (V.
Philippeaux). Outre un grand nombre de pamphlets et de journaux,
les Révolutions de France et de Brabant, commencées
en 1789, et le Vieux Cordelier, en 1794, on a de Camille
Desmoulins : I. Satyres, ou Choix des meilleures pièces
de vers qui ont précédé et suivi la révolution,
Paris, an 1er de la liberté, in-8°. de 32 pag. ; recueil
pitoyable sous le rapport de la poésie. L'éditeur,
dans son avertissement, promettait un cahier tous les quinze jours:
il ne paraît pas qu'il ait tenu parole ; II. Opuscules
de Camille Desmoulins, Marseille, Strasbourg et Paris, 1790,
in-8°.; III. Histoire des Brissotins, ou fragments de l'Histoire
secrète de la révolution et des six premiers mois
de la république, 1793, in-8°. de 80 pages. Une
traduction anglaise de cette brochure, formant un in-8°. de
68 pag., eut deux éditions à Londres , en 1794. Quelques
bibliographes lui attribuent encore la Maltéide
ou le Siège de Malte, poème, Bouillon, 1790,
in-8°. ; cet ouvrage a pour auteur un Desmoulins, contrôleur
des fermes à Sedan. B—u. (Beaulieu.)
(1) Cette pièce devait
paraître à l'article Chaumette ; mais la censure d'alors
ne permit pas de la publier.
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