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NECKER
( J. ), contrôleur général et ministre des finances,
fils d'un régent du collège de Genève. Né
républicain, roturier et calviniste, il conserva dans le
ministère, toutes les haines, toutes les préventions,
qu'à ce triple titre il avait conçues dès son
enfance : il commença par être commis chez M. Telusson,
banquier à Paris, et devint ensuite son associé. Sa
fortune, dans l'espace de 12 à 15 ans, surpassa celle des
plus fortes maisons de banque. Des traités, adroits selon
les uns, frauduleux selon les autres, avec la compagnie des Indes,
et des spéculations sur les fonds anglais, au moment de la
paix de 1763, dont il fut instruit d’avance par Favier, employé
aux affaires étrangères, et à qui il se dispensa
ensuite de donner la part des profits de l'opération furent,
dit-on , les principes de cette fortune étonnante, évaluée
à 6 millions par les calculs les plus modérés.
Necker songea alors a s'élever à quelque place de
l'administration ; mais il ne porta d'abord ses vues qu'à
l'emploi de 1er commis des finances. Pour y parvenir il s'occupa
d'acquérir une réputation littéraire, et publia
successivement l'éloge de Colbert, dans lequel il développa
un appareil de connaissances superficielles sur le crédit
public et le commerce, et un ouvrage sur la législation des
blés, où il chercha moins à approfondir la
question, qu'à produire quelque sensation dans le public
et à se faire lire par les personnes qui primaient dans la
société. Malgré l’incorrection et l'enflure
de son style, malgré le vague et même le vide de ses
idées, le ton philosophique et sentimental qu'il sut jeter
dans ses productions, les rendit chères au vulgaire des lecteurs,
enchantés de voir populariser les finances, comme on avait
déjà fait de la philosophie. Necker commençait
à jouir d'une certaine réputation lorsque Turgot fut
disgracié ; et voulant profiter de la dissipation où
vivait le nouveau ministre Clugny, il remit à M. de Maurepas
des mémoires dans lesquels il exagérait les ressources
de l'Etat. La fortune rapide de Necker faisait bien présumer
de sa capacité ; et Clugny étant mort, le Genevois,
porté d'ailleurs par le marquis de Pezay , (l'introduction
au Moniteur, année 1789, contient des renseignements piquants
sur M. de Pezay, sur Necker, sur la manière dont ce dernier
fit fortune, sur celle dont il soldait la faveur du premier, enfin
sur plusieurs autres ministres de ce temps-là qui, sans occuper
aucune place, exerçait alors une singulière influence
sur tout le ministère, fut adjoint à son successeur
M. Taboureau des Reaux, qui se vit forcé de lui céder
la place, après 8 mois de gestion, c'est-à-dire, le
2 juillet 1777. Pressé par le besoin des louanges qui le
tourmenta toute sa vie, Necker fit paraître dès 1781
son compte rendu. Bientôt après, il tenta, dans l'ivresse
du succès, de se prévaloir du suffrage public, et
osa aspirer à entrer dans le conseil. On lui objecta sa religion
; mais, persuadé que la crainte de le perdre l'emporterait
sur le scrupule, il insista, et menaça de quitter sa place
; il fut dupe de sa présomption, et on le laissa se retirer.
Ce fut alors qu'il publia en Suisse son ouvrage de l'administration
des finances de France, dans lequel on retrouve la même médiocrité
comme écrivain , même charlatanisme comme financier,
même désir de faire du bruit en appelant le public
pour juge entre lui et le souverain qui avait daigné l'accueillir.
Etant rentré en France en 1787, il écrivit contre
Calonne qui l’avait accusé d'être l'auteur du déficit,
et fut exilé à la suite de cette querelle. En 1788,
lorsque la fermentation qui se manifesta contre Brienne eut effrayé
la cour, Necker fut rappelé à la place de contrôleur-général
; et se sentant soutenu par la voix du peuple, il ne consentit à
reprendre le ministère, qu'à condition de ne point
travailler avec le ministre principal. Nous allons voir, écrivait
alors Mirabeau, « ce charlatan de Necker , ce roi de la canaille
; s'il était le maître, elle finirait par tout étrangler
sous sa direction. » Mirabeau l'avait bien jugé. Affamé
de succès populaires, il espéra tout gouverner, en
faisant entrevoir au roi une augmentation de puissance et au peuple
une prochaine démocratie, dans l’abaissement des premiers
ordres et des parlements. Le rapport qu'il fit au conseil, le 27
décembre 1788, sur la formation des Etats Généraux,
fut comme la première étincelle qui alluma les matières
combustibles préparées depuis longtemps. Il ne faut
pas croire cependant que Necker eût un plan fixe ; jouet de
sa vanité, il erra sans cesse de projets en projets ; et,
ce qui paraîtra peut-être singulier, c'est que, si une
sorte d'instinct et ses préjugés le ramenèrent
toujours vers l'abaissement des premiers ordres, une idée
a laquelle il ne tint pas moins (tant qu'il eut l'espoir de gouverner
le monarque) fut celle de rendre ce monarque absolu. Tous ses écrits
sont pleins de passages qui décèlent ce goût
pour le despotisme, et l'auteur de la Galerie des Etats Généraux
en a rapproché plusieurs dans sa note B, article Necker.
En 1789 , on lui reprocha d'avoir contribué à la disette
des grains, en manifestant sur cet objet des craintes mal fondées
(ses vues, quoique différentes de celles du duc d'Orléans,
coïncidèrent souvent avec celles de ce dernier) ; on
lui prouva que sur 39 millions, pour lesquels il avait acheté
des blés, 28 étaient rentrés par la vente même
de ces blés, et qu'il n'en avait pas rendu compte ;des critiques
assurèrent qu'ils avoient été employés
à vaincre les obstacles qui s'opposaient a son ambition,
ce qui semble au moins exagéré. Le 5 mai il prononça
à l'ouverture des états généraux un
long discours, et au milieu des louanges les plus fades pour la
nation et pour le souverain, il y plaça un plan de travail
pour cette assemblée, que son fol amour-propre lui donnait
l'espoir de diriger à son gré. Le 11 juillet, lorsque
la cour crut devoir prendre des mesures contre les factions, elle
renvoya Necker, qui était devenu comme leur sentinelle dans
le conseil même du roi. Le 16, l'assemblée lui écrivit
pour lui témoigner ses regrets sur sa retraite, et lui annoncer
qu'elle avait obtenu son rappel. En effet, dès le 12, le
peuple delà capitale avait porté son buste en triomphe
à côté de celui du duc d'Orléans. Le
27, on lut à l'assemblée la lettre de remerciement
qu'il lui écrivait ; et son retour depuis Bâle jusqu'à
Paris, fut un triomphe continuel. Cette dernière ville avait
fait fermer les spectacles en son absence, et le jour de son arrivée,
il alla témoigner sa reconnaissance a l'hôtel de ville,
et le lendemain 29 , à l'assemblée nationale. Il éprouva
cependant au milieu même de son triomphe une contradiction
qui aurait pu lui donner la mesure de son crédit factice
et de l'instabilité de la faveur populaire, c'est l'affaire
de M. de Bézenval, (Voy. ce nom ) auquel il accorda vainement
sa protection. Pendant le reste de l'année il présenta
à chaque instant de nouveaux mémoires sur les ressources
des finances. Mais ces petits revirements qu'il avait portés
de la banque au ministère, ne pouvaient convenir ni au parti
qu'il voulait réparer, ni à celui qu'il voulait détruire.
Ce dernier qui, sans l'aimer jamais, s'était servi de son
nom pour causer du trouble, l'abandonna dès qu'il lui devint
inutile ; et bientôt il lui fut aisé de s'apercevoir
que son crédit s'évanouissait de jour en jour. En
septembre , il écrivit sur la sanction royale, et se déclara
pour le veto suspensif. (Voy. à l'art. Mirabeau le tort qu'il
fit à la cause royale, en repoussant les propositions de
ce député, toujours par le même motif personnel,
c'est-à-dire, parce qu'il avait froissé sa vanité.
) Dans le même temps, il déclara plus positivement
encore la chute du crédit public; demanda un emprunt de 80
millions, que Mirabeau contribua à lui faire accorder de
confiance, afin de lui laisser une responsabilité qu'il savait
bien devoir le tuer politiquement. Enfin le fameux livre rouge parut
en avril, et acheva de le dépopulariser. Choqué des
observations dont Camus avait accompagné la publication de
ce registre, son orgueil l'aveugla, et il osa, dans sa réponse,
appeler les membres du comité des pensions, des hommes novices
en affaires, et encore à l'apprentissage des vertus publiques.
Ne pouvant plus ensuite se dissimuler le discrédit dans lequel
il était tombé, l'aigreur s'empara de lui, et on le
vit en juillet s'opposer (contre ses principes bien connus) a ce
que Louis XVI sanctionnât le décret portant abolition
de la noblesse, et publier même des observations sur cet objet.
Le 17 août il adressa un mémoire a l'assemblée,
par lequel il demanda que les décrets sur les pensions fussent
modifies, eu observant que le corps législatif ne devait
pas avoir la disposition des grâces, et affaiblir ainsi le
gouvernement. Bientôt il se vit haï, méprisé
par l'assemblée nationale qu'il avait cru diriger, par le
peuple dont il avait été l'idole, par la cour qu'il
avait conduite dans l'abîme ; et il se décida , dans
le mois de décembre, à fuir, après avoir vu
la populace arracher de dessus la porte de son hôtel cette
inscription : Au ministre adoré, qu'elle y avait mise dans
un moment de délire ; il retourna dans sa patrie , abandonnant
pour gage de son administration 2.400.000 liv. qu'il avait placés
sur le trésor royal, une maison de campagne et son hôtel
a Paris. Poursuivi par les injures et l'animadversion de tous les
partis, il fut arrêté à Arcis-sur-Aube, et ne
put continuer sa route qu'à la faveur d'un décret
de l'assemblée nationale. Le même peuple de Vesoul
qui avait naguère traîné sa voiture, le chargea
de malédictions et faillit massacrer ses valets. Bientôt
le génie des révolutions, qu'il avait contribué
avec tant d'ardeur à attirer sur l'Europe le poursuivit et
le tourmenta dans sa retraite de Copet ; et le titre de baron, dont
il avait cru devoir orner un nom obscur, devint contre lui un motif
de plus de persécution. Il avait publié, dans le courant
de 1792 , un ouvrage intitulé : du Pouvoir exécutif
dans les grands Etats ; et, a la fin de cette même année,
il osa inviter les amis de Louis XVI à le défendre
a la barre de la convention nationale. Montjoie, rédacteur
de l'Ami du Roi, lui répondit pour « l'engager a ne
pas s'immiscer davantage dans les affaires d'un monarque que ses
conseils avoient conduit an dernier terme du malheur, » et
près duquel sa présence avait toujours été
le signal des désastres ». M. Necker continua a vivre
paisiblement dans sa baronnie de Copet, non sans songer à
sa gloire ; mais n'ayant plus pour cela d'autres ressources que
les écrits. Il en prépara de nombreux, dont une partie
a déjà paru par les soins de madame de Staël
sa fille. Imaginerait-on que, flagellé par les sages comme
par les fous, par les républicains ainsi que par les royalistes
et par les modérés, M. Necker ait osé se croire
encore nécessaire au bonheur du monde, et rappeler vers lui,
par un ouvrage sur la révolution et par de mauvaises farces
conjugales, les regards publics, que son vœu de tous les jours aurait
dû être de pouvoir éloigner de son asile. Nous
sommes certains que lorsque le premier consul Bonaparte alla le
voir a Copet, M. Necker, oubliant que le voyageur se plaît
quelquefois a jeter un regard sur des débris, ou à
visiter ces côtes célèbres seulement par des
naufrages, s'est flatté encore que c'était un hommage
rendu au grand homme par un héros. Cependant, en 1802, il
publia un ouvrage contre le gouvernement consulaire, qui fit assez
de sensation dans le moment, et dans lequel on trouve des idées
républicaines, entremêlées d'institutions monarchiques.
Il avait été invité, quelques temps auparavant,
de se mêler des affaires de la Suisse, ce qu'il avait refusé
pour des raisons de santé. Il mourut a Genève, le
9 avril 1804, après une maladie courte, mais pénible.
On a de lui, en outre des ouvrages indiqués, Réponse
au Mémoire de l'abbé Morellet, sur la compagnie des
Indes, 1769 ; Eloge de Colbert, couronné par
l'Académie française, 1773 ; Mémoires sur
les administrations provinciales, 1781 ; Réponse
de Necker au Discours prononcé par Calonne à l'assemblée
des notables, 1787 ; Nouveaux éclaircissements sur
le Compte rendu, 1788 ; de l'Importance des Opinions religieuses,
1788 ; Observations sur l'avant-propos du Livre rouge, 1790
; sur l'Administration de Necker, par lui-même, 1791
; de la Révolution française, 1797 ; Cours
de Morale religieuse, 1800 ; des Mémoires, etc. |
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