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Christophe (Henri) 1767-1820. Esclave affranchi originaire de l'île de la Grenade, Henri Christophe prend part à la révolte des noirs à Saint-Domingue en 1791, et devient un des officiers de Toussaint Louverture. En 1802, il est nommé général.
Il commande la ville du Cap au moment de l'arrivée de l'expédition de Leclerc, et préfère réduire la ville en cendres plutôt que de la rendre aux Français.
Devant les succès du corps expéditionnaire, Christophe et Dessalines suivent l'exemple des autres généraux noirs et font leur soumission. Mais lorsque l'insurrection, provoquée par le rétablissement de l'esclavage, éclate, Christophe rejoint les insurgés. Après la proclamation de l'indépendance d'Haïti (1er janvier 1804) Christophe prend part avec Pétion à la conjuration qui abat Dessalines (qui s'est proclamé empereur sous le nom de Jacques Ier). Elu président de la république d'Haïti, Christophe ne gouverne que la partie nord de l'île, le sud ayant fait sécession sous la conduite de Pétion. En 1811, Christophe se fait proclamer roi sous le nom de Henri Ier. Il promulgue des codes et institue une noblesse, mais ne parvient pas à unifier l'île et mécontente la population par sa tyrannie. Sur le point d'être renversé par un soulèvement, il se suicide en se tirant une balle dans le cœur.
 
 

 

Biographie universelle ancienne et moderne (Michaud), tome 8, Paris 1854 :

   
 

Christophe (Henri), noir créole, roi d'Haïti sous le nom d'Henri Ier, né de parents esclaves, le 6 octobre 1767, passa lui-même sa jeunesse dans l'esclavage. L'almanach royal d'Haïti, publié par ses ordres, garde sur le lieu de sa naissance un silence d'autant plus regrettable que les historiens sont en désaccord sur ce point, les uns le faisant naître dans l'île suédoise de St-Barthélemy, d'autres dans la colonie anglaise de St-Christophe, d'où il aurait tiré son nom, d'autres enfin dans l'île française de la Grenade. C'est là que jeune encore il aurait servi au banquet donné au comte d'Estaing, lorsque cet amiral enleva cette colonie aux Anglais. Un officier de marine, frappé de l'intelligence empreinte sur la physionomie de ce noir, l'attacha à sa personne, l'emmena au siège de Savannah, et de là au Cap, seconde ville de la partie française de St-Domingue, où il lui donna la liberté. Christophe fit alors, dit-on, le commerce des bêtes de somme qu'il allait chercher dans la partie espagnole. Ce qui est certain, c'est qu'il fut employé comme domestique à l'hôtel de la Couronne, la plus belle hôtellerie du Cap. Aussi, lorsque plus tard il affecta l'orgueil d'un monarque, ses détracteurs écrivaient-ils, dans les journaux du Port-Républicain, que ses mains royales étaient moins habiles à manier le sceptre qu'autrefois les casseroles. Ces sarcasmes, reproduits sous mille formes dans divers écrits n'ont d'autre mérite que de confirmer un fait, d'ailleurs de notoriété publique à Haïti. Quand éclata la révolte des esclaves (22 août 1791), il ne paraît pas que Christophe se soit joint tout d'abord aux insurgés : la condition des noirs était moins dure dans les villes que sur les habitations, et la sienne en particulier devait être assez douce à l'hôtel de la Couronne, dont il avait obtenu la direction. Quoi qu'il en soit, on le trouve bientôt chef de bande, parmi les hommes de sa couleur. Ce rôle lui était assigné d'avance par son activité, son intelligence et son audace. Le pillage des habitations, dans lequel il se fit toujours large part, lui procura une fortune qui ne contribua pas moins à son élévation que ses qualités personnelles. Il se fit bientôt remarquer de Toussaint Louverture, généralissime des noirs dès le mois d'avril 1797. Devenu chef de brigade, Christophe concourut puissamment à l'expulsion des Anglais en 1798, et prit part à la rapide expédition qui amena la soumission momentanée de la partie espagnole (27 janvier 1801). Cinq mois après, au moment où Toussaint Louverture s'occupait de réaliser pour St-Domingue une constitution séparée de celle de la métropole et qui lui conférait une véritable dictature, un officier français, le chef de brigade Vincent, tenta de le dissuader de ce projet en lui faisant sentir que le premier des noirs ne serait plus traité que comme un rebelle. Mais il fut rudement éconduit, quoique d'ordinaire Toussaint l'écoutât favorablement, à raison de la sympathie qu'il n'avait cessé de manifester pour la cause des noirs. Vincent eut recours à Christophe, le plus accrédité des généraux de Toussaint. Il lui donna lecture des vives représentations qu'il adressait à Louverture, auquel il s'efforçait de démontrer qu'en se faisant gouverneur à vie, il attirait sur St-Domingue la colère de la métropole. Christophe lui dit avec émotion : « Commandant, vous êtes le seul Européen qui nous soyez réellement affectionné, vous nous avez toujours dit la vérité. Donnez-moi votre dépêche, je m'en charge.» Il la remit en effet à Toussaint, et osa même dire à ce chef tout-puissant que la constitution coloniale était un crime médité par les plus cruels ennemis des noirs : il entendait designer les Anglais, qui poussaient sans cesse Toussaint Louverture à prendre le titre de roi, ce que celui-ci ne voulut jamais faire. Il n'était donné qu'au génie soupçonneux de ce chef de prévoir le retour de l'esclavage, et de penser dès lors, en organisant le peuple noir, à lui assurer les moyens de défendre la liberté si jamais elle était menacée. La constitution du 1er juillet fut proclamée, et Toussaint exerça un pouvoir sans limites sous le titre de gouverneur général à vie. « Le chef de brigade Christophe était alors si modeste (dit Pamphile Lacroix) que ses amis durent le solliciter de demander dans cette occasion le grade de général. » Cette modestie de la part d'un homme qui plus tard poussa la vanité jusqu'aux dernières limites paraîtra plutôt de l'orgueil blessé, si l'on considère que quelques jours à peine s'étaient écoules depuis la démarche infructueuse que nous venons de raconter. Il obtint le grade qu'il sollicitait, avec le gouvernement du Cap. Bientôt il reprit toute sa faveur et fut chargé d'arrêter Moïse, neveu de Toussaint, chef de la division militaire du nord, son supérieur, qui s'était insurgé. Christophe s'acquitta avec un rare bonheur de cette tâche difficile. Pour éviter l'effusion du sang, il se rendit au camp de Moïse avec une faible suite, feignit de vouloir conférer avec lui, et l'arrêta au milieu de son armée, qui, sur l'exhibition d'un ordre signé du nom révéré de Louverture, n'opposa aucune résistance. Celui-ci récompensa Christophe en lui donnant le commandement de Moïse, qu'il fît passer devant une commission militaire et fusiller. Cependant Moïse laissait des partisans, qui s'insurgèrent au Cap dans la soirée du 21 octobre 1801, et commencèrent à massacrer les habitants connus pour leur attachement à Toussaint. Christophe, prévenu à temps, dissipa les révoltés avec tant de promptitude et d'énergie que le lendemain un grand nombre d'habitants ignoraient les événements de la nuit. Il étouffa avec la même célérité quelques soulèvements qui se manifestèrent les jours suivants dans plusieurs quartiers des environs du Cap. Christophe commandait encore la province du Nord, lorsque la flotte qui portait la grande armée expéditionnaire placée par Bonaparte sous le commandement de son beau-frère, le capitaine général Leclerc, se rallia au cap Samana (30 janvier 1802). Suivant Pamphile Lacroix, Christophe aurait été assez porté à se soumettre, et l'arrivée secrète de Toussaint Louverture aurait seule changé ces dispositions. Cette version a été démentie par Christophe lui-même dans un manifeste au peuple haïtien du 18 septembre 1814. « Le gouverneur général (Toussaint), dit ce document, croyait si peu avoir un ennemi à combattre, qu'il n'avait ordonné à aucun de ses généraux de résister en cas d'attaque, et quand la flotte française arriva il était occupé à faire une tournée dans la partie orientale de l'Ile. Si quelques chefs opposèrent de la résistance, ce fut seulement parce que la manière hostile et menaçante avec laquelle on les somma de se rendre les força de consulter leur devoir, leur honneur et les circonstances où ils sa trouvaient. » Cette explication est d'ailleurs d'accord avec les faits. Dès l'abord Christophe répondait à M. Lebrun, envoyé du général Leclerc, qui demandait à remettre ses dépêches à Toussaint en personne : « Donnez-moi vos papiers, vous ne pouvez voir le gouverneur. » Après les avoir examinés, il refusa de rendre le Cap sans avoir reçu les ordres de Louverture. Christophe était dans une cruelle incertitude. La municipalité le suppliait de rendre la ville, lui rappelant une proclamation récente de Toussaint qui ordonnait d'obéir à la mère patrie «avec l'amour d'un fils pour son père.» Il répondait « que rien ne lui prouvait qu'une escadre sur laquelle on voyait flotter des bâtiments étrangers (la moitié de la flotte était, on le sait, composée de vaisseaux espagnols) fût envoyée par la métropole. » Il autorisa toutefois la municipalité à faire connaître à Leclerc que, s'il voulait suspendre son débarquement pendant quarante-huit heures, il prendrait les ordres de Louverture. Cette pacifique proposition fut rejetée. Des lors Christophe n'hésita plus : car à ce refus inexplicable venaient se joindre des bruits sinistres sur une réaction violente à la Guadeloupe, où l'esclavage, aboli depuis huit ans, était rétabli, malgré les glorieux faits d'armes de celte colonie contre les Anglais. Christophe connaissait en outre un rapport du conseiller d'État Thibaudeau annonçant «que l'esclavage serait maintenu à a la Martinique et à Cayenne, et qu'à la Guadeloupe et à St-Domingue un gouvernement juste et fort soumettrait tout à la volonté de la France.» Il répondit donc a une lettre par laquelle Leclerc lui annonçait des témoignages éclatants de la reconnaissance de la métropole, en déclarant que «si le capitaine général persistait à brusquer l'entrée, la terre brûlerait avant que l'escadre mouillât dans la rade.» Cette menace ne fut que trop fidèlement exécutée, et elle a laissé des souvenirs ineffaçables. Il ne resta pas une seule maison de la belle ville du Cap. Christophe la quitta le dernier, emmenant comme otage la population blanche qui s'y trouvait. Il ne resta pas oisif dans la guerre acharnée qui suivit ces événements. Il se signala principalement dans le combat qui eut lieu sur la route du Dondon à la grande Rivière. Il avait su se maintenir dans le nord contre la division Hardy, lorsque l'arrivée des escadres du Havre et de Flessingue le mit dans une position désespérée. Il fallut négocier. Rappelant l'humanité avec laquelle il avait traité la population blanche du Cap, il demandait qu'on révoquât sa mise hors la loi et qu'on lui garantit la stricte exécution des promesses faites aux insurges dans les proclamations. La réponse du général Leclerc n'étant pas assez explicite, il résista encore quelque temps. Cependant il écrivait sans cesse qu'il ne demandait qu'à se soumettre, ainsi que Toussaint lui-même, si on leur montrait un code où se trouvât consacrée la liberté des noirs. Leclerc répondait, le 24 avril 1802: «Je vous déclare à la face de la colonie, à la face de l'Être suprême, que tous les noirs seront libres.» Le général Hardy avait donné à Christophe les mêmes assurances, mais lui sans doute ignorait les instructions secrètes dont Leclerc était porteur, ou qu'il avait reçues de son gouvernement depuis le départ de l'expédition. «La parole d'un général français, répondit Christophe (25 janvier 1802), est à mes yeux aussi digne de foi qu'elle est inviolable et sacrée». Le 20 mai suivant, une loi était solennellement promulguée en France, qui établissait l'esclavage, conformément aux règlements antérieurs à 1789, dans les colonies orientales et occidentales. A la suite d'une entrevue que le général Leclerc lui avait assignée à son camp de la grande Rivière, Christophe fut admis dans l'armée française avec son grade. Sa soumission entraîna celle de Dessalines et de Toussaint Louverture. On a accusé Christophe d'avoir sollicité du général Leclerc la déportation de Toussaint, et l'on a voulu rejeter sur lui tout l'odieux de la trahison dont celui-ci fut la victime (juin 1802). Mais sa lettre du 22 avril précédent, écrite alors qu'il négociait sa soumission, et dans laquelle il refusait avec indignation de mériter son pardon en livrant Toussaint, enlève toute croyance a cette imputation. Lorsque éclata la révolte excitée par la mesure du désarmement général, Christophe se trouva dans une position difficile. Il n'avait pas, plus que personne, oublié ces paroles adressées aux noirs par Santhonax, commissaire de la convention : «Voulez-vous conserver la liberté ? servez-vous de vos armes, le jour où des chefs blancs vous les demanderont ! » Mais il était particulièrement surveillé. A toutes les sollicitations de Leclerc, il répondait par la promesse de marcher contre les révoltés, mais il demeurait simple spectateur des événements. Enfin, le 16 septembre 1802, les généraux Clervaux et Pétion, hommes de couleur, ayant attaqué le Cap à une heure du matin, Christophe, resté neutre pendant le combat, partit, après l'action, de son camp de St-Michel, et se joignit à eux. Dans cette nouvelle guerre, il se montra, comme toujours, intrépide, actif et habile à mettre à profit les événements. A peine a-t-il appris la maladie du général Leclerc, atteint de la fièvre jaune, ce mal terrible qui dévora les trois quarts de cette armée française, l'élite des bandes de l'Italie et de l'Egypte, qu'il emporte les avant-postes du Cap et assiège la ville. Après la mort de Leclerc (2 novembre 1802), il ne se montra pas moins énergique contre Rochambeau son successeur. Ses efforts, joints à ceux des autres chefs noirs, ayant forcé les Français d'évacuer la colonie ( 28 novembre 1805), le commandement suprême fut dévolu à Dessalines, qui prit le titre d'empereur, sous le nom de Jacques Ier, et régna trois ans. Bien que Christophe fût l'un des principaux chefs sous ce barbare gouvernement, l'histoire ne lui attribue aucune part dans les cruautés dont se souilla le féroce Dessalines. Il ne fut pas étranger à la conspiration qui renversa ce monstre (17 octobre 1806), quoique Pétion et les autres chefs de couleur y aient eu la principal part. Le 21 octobre ceux-ci publièrent une proclamation dans laquelle ils appelaient Christophe à succéder provisoirement à Dessalines, avec le titre de chef et généralissime de l'Etat d'Haïti. C'était l'ancien nom de l'île, qu'on avait substitué à celui de St-Domingue qui rappelait la servitude. Une assemblée constituante se réunit au Port-au-Prince pour régler la forme du gouvernement. La nouvelle constitution fut proclamée le 27 décembre 1806, et Christophe tut élu président de la république haïtienne. Il était alors au Cap. Il trouve trop limités les pouvoirs que la nation lui fait l'honneur de lui conférer : son ambition ne sait déjà plus se contenter d'une magistrature dont la durée est fixée à un an, et qui le soumet, après ce délai, à la réélection du peuple. Il marche sur le Port-au-Prince à la tête d'un corps nombreux. L'assemblée constituante confie le soin de sa défense à Pétion, qui réunit à la hâte toutes les troupes dont il peut disposer. La rencontre eut lieu dans les champs de Cibert, le 1er janvier 1807. Christophe vaincu se retire dans le nord, dont les habitants sont habitués depuis longtemps à reconnaître son autorité. Mais déjà les partisans de la constitution républicaine y sont en armes et ont établi leur quartier général au môle St-Nicolas. L'insurrection de Goman dans le sud obligea Pétion de diviser ses forces. Christophe eut le temps de se reconnaître. Le 17 février 1807, il assembla au Cap un conseil composé de généraux et de citoyens influents qui lui étaient dévoués. Le conseil rédigea, sous le titre pompeux d'acte constitutionnel de l'Etat d'Haïti, une formule de gouvernement, et proclama Christophe président et généralissime à vie. Un mois après (9 mars 1807), Pétion était solennellement proclamé président de la république haïtienne. Le territoire qui formait autrefois la partie française de St Domingue était ainsi divisé en deux Etats, avec chacun sa constitution. Celle de l'Etat du nord était habilement conçue, eu ce qu'elle contenait la déclaration de ne troubler jamais les colonies des autres nations et de ne tenter aucune conquête hors de l'île. Le parti de Pétion venait de donner à l'Angleterre de grandes inquiétudes pour sa colonie de la Jamaïque. La protection anglaise fut dès lors acquise à Christophe. Quelques avantages commerciaux lui furent concédés, et plusieurs officiers anglais passèrent à son service. C'est avec ces auxiliaires qu'il anéantit le parti de la constitution républicaine dans le nord, enleva de vive force la position de Jean-Rabel, et, après trente-deux jours d'un siège sanglant, emporta d'assaut le môle St-Nicolas, dernier boulevard de ses adversaires (octobre 1810). Les divisions qui avaient éclaté dans le Sud avaient empêché Pétion de porter secours à ses partisans du nord. Le général Rigaud, revenant de France, avait débarqué aux Cayes (7 avril 1810) et avait constitué une rivalité dangereuse qui avait divisé la partie républicaine en deux camps. Christophe, croyant le moment favorable, marcha sur le Port-au-Prince. Mais Pétion et Rigaud, oubliant leur rivalité, se réunirent par un parte fédératif signé à Miragsane. Christophe, qui s'était avancé jusqu'à St-Marc, se retira à cette nouvelle. Le titre de président ne lui suffisait plus, il résolut de prendre celui de roi : à l'imitation du premier consul Bonaparte, il feignit de céder au vœu du conseil d'État, auquel il laissa l'initiative de la constitution du 28 mars 1811, qui l'appelle, lui et sa famille, au trône d'Haïti. Plus de deux mois se passèrent dans les préparatifs de la cérémonie du couronnement, qui eut lieu le 2 juin. Une église de 250 pieds de long avait été élevée comme par enchantement dans la place du champ de Mars, près de la ville du Cap. C'est là qu'il fut sacré avec de l'huile de cacao par un ancien capucin, Corneille Brell, dont il fit son aumônier, et qu'il créa plus lard duc de l'Anse et archevêque. Les fêtes durèrent huit jours entiers. Par un édit antérieur, du 5 avril, le roi Henri Ier avait fondé une noblesse héréditaire, avec des titres et des dotations. C'est ainsi qu'on vit figurer à la cour de Christophe, le prince du sale Trou, le duc de la Marmelade, le comte de Limonade, les barons de la Seringue et du Boucan, les chevaliers de Coco, Jacko, etc. Ces titres, qui prêtaient à rire aux Européens, n'étaient cependant guère plus ridicules que ceux de prince d'Orange et de duc de Bouillon. Un second édit, du 7, créait un archevêché et plusieurs évêchés, sous la réserve de l'institution du pape, qui la refusa toujours: un troisième, du 12, déterminait le grand costume de la noblesse, distinct pour les différents ordres nobles. Un autre, en date du 20, portait création de l'ordre royal et militaire de St-Henri, imitation de l'ancien ordre de St-Louis, et lui affectait une dotation de 300,000 livres de rente. Enfin, un dernier édit, du mois de mai, relatif à la formation de la maison du roi, de la reine et du prince royal, contient rémunération des grands officiers, chambellans, pages, maîtres des cérémonies, hérauts d'armes. etc. Dans son enivrement, dit un pamphlet publié contre lui au Port-au-Prince, Christophe prit les titres suivants : « Henri, par la grâce de Dieu et la loi constitutionnelle de l'État, roi d'Haïti, souverain des îles de la Tortue, Gonave et autres villes adjacentes, destructeur de la tyrannie, régénérateur et bienfaiteur de la nation haïtienne, créateur de ses institutions morales, publiques et guerrières, premier monarque couronné du nouveau monde, défenseur de la foi, fondateur de l'ordre royal de St-Henri, grand et magnanime potentat. » On ne trouve dans les actes qui nous restent de lui et qui ont été publiés par Mackensie et par les fils de Wilberforce, que trois et cætera ajoutés à son titre, tel qu'il est formulé dans l'acte du 28 mars 1811, c'est-à-dire, Henri, par la grâce de Dieu et la loi constitutionnelle, roi d'Haïti. Christophe fit frapper à Londres une médaille d'argent à son effigie, d'une fort belle exécution. Elle porte le millésime de 1811. Au revers est un phénix renaissant de ses cendres avec cette légende : Dieu, ma cause et mon épée. Ce monarque n'avait au plus que 240.000 sujets, sortis nus des fers de l'esclavage, et qui n'avaient pu, au milieu des cruelles épreuves par lesquelles ils avaient passé, acquérir assez de richesses pour supporter la dépense de rétablissement royal le plus modeste, sans y joindre le fardeau d'une noblesse féodale ; l'entretien d'une armée de 24.000 hommes aurait seul suffi pour dévorer toutes les ressources d'un pays dévasté. Il fit à la vérité tout ce qu'il put pour le tirer de ses ruines, mais ses moyens furent tyranniques. Monopolisant tout à son profit dans l'Etat, il devint, à l'aide de cette prospérité factice, l'oppresseur de ce peuple malheureux dont il se vantait d'être le régénérateur et le père. Il substitua l'esclavage de la glèbe à l'ancien esclavage colonial. Le cultivateur, attaché au sol, ne pouvait aller d'un lieu à un autre sans une permission du chef de son quartier. Le bâton remplaçait le fouet du commandeur. Christophe était un tyran dans toute l'acception du mot, et tous ses actes tendaient à des exactions. N'osant se lier à ceux qu'il opprimait, il avait, comme tous les despotes, une garde étrangère. Des nègres jeunes et vigoureux, recrutés à grands frais sur les côtes voisines, la composaient et remplissaient les cadres de deux régiments d'élite sous les noms de Royals-Dahomets et de Royals-Dondons. Il les chargea de la police de la culture avec une solde privilégiée. Barbare civilisateur, pour détourner son peuple du vol et lui apprendre le respect dû à la propriété, il faisait jeter sur les grands chemins des montres et des bijoux. Des Dahomets en embuscade étaient charges de mettre a mort ceux qui les ramassaient et ne les rapportaient pas sur-le-champ au chef de la police. Mais, disons-le à son éloge, il n'accorda aucune place, aucune faveur, aucune dignité à tout homme qui n'avait pas contracté de mariage régulier. Il fonda une instruction publique, dirigée par un grand conseil de l'instruction publique. Un collège royal fut établi au Cap, et des écoles primaires à la Lancastre dans tous les bourgs. Les maîtres qui les dirigeaient étaient tous des Anglais. C'était pour lui une résolution arrêtée de remplacer la langue française par l'idiome britannique. Cette tentative révélait toute sa haine contre l'ancienne métropole, contre laquelle il préparait sans cesse des moyens de défense. Son armée de 24.000 hommes ne pouvait toutefois exister que sur le papier, car elle aurait enlevé à ses foyers le dixième de sa population. Il n'y en avait habituellement que 5 à 6.000 sous les armes, recevant pour solde un escalin (55 centimes) par jour, et relevés par trimestre. Les soldats de la réserve, répartis sur ses grandes places à vivres, ne recevaient que la subsistance, mais ils se dédommageaient par leurs exactions sur les cultivateurs soumis a leur surveillance. Christophe cependant mettait tous ses soins à former et a exercer cette armée sur laquelle il comptait pour maintenir son indépendance, et aussi pour conquérir le reste de l'île. La mort du général Rigaud n'avait pas mis fin aux dissensions qui déchiraient le midi. Le président Pétion avait trouvé un nouvel antagoniste dans Bergella, ancien aide de camp de son rival. La défection de la frégate Améthiste et de trois bricks formant à peu près toute la marine du roi Henri, et qui passèrent dans le parti de Pétion, aviva la haine de Christophe, qui l'attribua non à son despotisme, mais aux intrigues de ses ennemis. Il déboucha à l'improviste dans les plaines de l'ouest, à la tête de 22.000 hommes. Pétion était occupé à combattre Borgella. En son absence, le général Boyer, son secrétaire et son ami, sortit du Port-au-Prince. Une seconde rencontre eut lieu dans les champs de Cibert. Christophe vengea son ancienne défaite. Boyer, vaincu, opéra néanmoins sa retraite en bon ordre, et se renferma dans la capitale de la république, dont Christophe entreprit le siège. Pétion et Borgella se réunirent à cette nouvelle, et dirigèrent leurs armes contre l'ennemi commun. Après deux mois d'efforts inutiles, Christophe se retira avec des troupes épuisées, vivement harcelé par Boyer. Toutefois ce dernier n'avait pas assez de forces pour envahir la province du nord. Les deux partis posèrent les armes. Par une sorte de convention tacite, ils laissèrent entre eux dix lieues de terrain inhabités. Grâce à la prodigieuse végétation de ces climats, les riches plaines du Boucassin se couvrirent en peu de temps de forêts épaisses. Quelque temps après les deux partis convinrent de ne pas s'attaquer, et même de s'unir contre l'ennemi du dehors. La France, en effet, devait tôt ou tard revendiquer son ancienne colonie. Après la chute de Napoléon, Louis XVIII s'occupa de St-Domingue. On voulut épuiser tous les moyens avant d'avoir recours à la force. L'expérience n'avait que trop appris les difficultés et les dangers d'un débarquement. On nomma des commissaires. Malouet, ministre de la marine, qui avait exercé dans les colonies des fonctions administratives pendant la période de l'esclavage, était imbu de tous les préjugés coloniaux ; s'obstinant à ne voir dans les Haïtiens que des esclaves révoltés, il fit choix d'hommes sans notabilité, Dauxion-Lavaysse, Dravernais et Franco-Médina. Leur mission était secrète et ne pouvait inspirer que de justes défiances à des hommes envers lesquels on avait déjà usé de déloyauté lors de l'expédition du général Leclerc. Ces commissaires avaient pour mandat d'acheter les chefs de St-Domingue, et de se faire livrer par eux la colonie qu'on appelait autrefois la reine des Antilles. Le gouvernement français ne mit pas même à leur disposition un bâtiment de l'État : ils prirent la voie de l'Angleterre. Christophe, averti de leur départ dés le mois de juin 1814, avait publié, le 18 septembre, un manifeste attribué à la plume de Prévost, duc de Limonade, son ministre des finances, dont le style prouverait qu'il y avait des hommes capables à la cour du roi d'Haïti. Cependant les documents officiels publiés par Mackensie sont écrits d'un style si différent et dénotent une connaissance si imparfaite de la langue française, qu'il est difficile d'admettre que le manifeste émane des mêmes hommes. Quoi qu'il en soit, Christophe, après avoir mis dans cette pièce la justice de sa cause hors de contestation, et annoncé sa ferme volonté de maintenir son indépendance, fit saisir à son arrivée le malheureux Franco-Médina. Il prit connaissance de ses papiers, et le fit condamner à mort comme espion. Une lettre du commissaire Dauxion-Lavaysse, en date du 10 juin, et portant cette suscription: au général Christophe, parvint au Cap au milieu du procès, et ne fit qu'irriter l'orgueil du roi Henri. Elle accéléra le supplice du malheureux médecin. Il fut exposé publiquement dans la grande église du Cap, tendue en noir, «afin que chacun eût la faculté de l'interroger.» (Proclamation de Christophe du 11 octobre.) Il fut ensuite livré au bourreau, sans que Christophe crût violer les principes du droit des gens : son gouvernement publia les pièces qui avaient motivé cet acte de barbarie. Les autres commissaires ne réussirent pas mieux auprès de Pétion. Le gouvernement de Louis XVIII désavoua tout ce qu'ils avaient fait par une notice insérée dans le Moniteur du 19 janvier 1815. Toutefois on allait agir à force ouverte. Déjà l'on préparait une flotte et des troupes de débarquement, quand le retour de Napoléon arrêta toute mesure hostile. Ce ne fut qu'après la seconde restauration que les anciens colons obtinrent qu'on s'occupât de nouveau de St-Domingue. Une seconde mission, qui avait pour chef apparent le vicomte de Fontanges, mais dont l'âme était le conseiller d'État Esmangart, partit à bord de la frégate la Flore. Le 17 octobre 1816, ils parurent devant le fort Picolet, et firent quelques signaux ; mais redoutant le sort de Médina, ils n'osèrent pas débarquer. Après avoir louvoyé quelque temps sans que Christophe eût daigné communiquer avec eux, ils firent voile pour le Port-au-Prince. Ils rencontrèrent en mer un bâtiment américain auquel ils remirent une lettre portant encore pour suscription : Au général Christophe. Elle fut refusée, et le bâtiment reçut l'ordre de sortir immédiatement du port. Les commissaires firent alors parvenir leur dépêche sous le couvert du commandant des Gonaïves. Elle portait la date du 12 octobre 1816. Christophe n'y répondit que par une note adressée au peuple haïtien, et les commissaires repartirent pour la France le 10 novembre sans avoir rien obtenu. A la mort de Pétion (29 mars 1818), Christophe crut le moment favorable pour réaliser son rêve favori, la conquête et soumission de la république. Il marcha avec 15.000 hommes sur le Port-au-Prince. Il promettait par ses proclamations à tous protection et sûreté, aux autorités civiles et militaires des honneurs des titres et des biens. Les républicains du Port-au-Prince répondirent à ces offres par les préparatifs d'une défense vigoureuse. Christophe rentra dans ses limites. Quelque temps après, un incendie dévora le fort la Ferrière ou fort Henri, situé à deux lieues au sud de Sans-Souci, sur un pic élevé. Christophe avait employé des sommes immenses à la construction de cette citadelle, garnie de trois cents canons de fort calibre croisant leurs feux en tous sens, toujours abondamment approvisionnée, et qu'il considérait comme imprenable. Aigri par cette catastrophe, il enjoignit à tous ses sujets mâles de porter un crêpe au bras, et aux femmes d'aller quinze jours de suite à la messe pieds nus et vêtues de blanc. Tous les hommes furent mis en réquisition pour porter des pierres et de la chaux au fort qu'il voulait rebâtir promptement. Christophe ajourna dès lors tout projet de conquête, pour se livrer à son goût pour le luxe et la magnificence. Il avait sept châteaux et neuf palais. Celui de Sans-Souci était vraiment une demeure royale. Sa construction avait été confiée à un architecte habile. Tout s'y trouvait réuni : chapelle, salle de spectacle, bureaux, grands et petits appartements, casernes, immenses écuries, terrasses, jardins, jets d'eau, fontaines, etc. Il en reste encore des ruines imposantes. Le château des Délices de la reine n'était guère moins magnifique. Malgré son origine servile, Christophe avait des manières distinguées, et sa tenue était digne de son rang. Il s'attachait à copier l'étiquette des cours européennes. Il parlait l'anglais et le français avec une égale facilité, bien que Mackensie doute qu'il sût écrire. Excellent administrateur, il comptait des admirateurs surtout en Angleterre. L'illustre Wilberforce fut en correspondance avec lui à partir de 1810. On prétend que, dans un banquet donné par la société africaine et asiatique de Londres, et auquel beaucoup de noirs et d'hommes de couleur avaient été conviés, Wilberforce, président de cette société, porta le toast suivant : « A Christophe! l'honneur de l'espèce humaine, l'homme le plus libéral, le plus éclairé, le plus bienfaisant, chrétien sincère et pieux, l'un des plus augustes souverains de l'univers, élevé sur le trône par l'amour et la reconnaissance de ceux dont il fait le bonheur.» Rien de moins vraisemblable qu'un éloge aussi exagéré ; jamais la société africaine et la société asiatique ne se réunirent en commun ; Wilberforce fut seulement vice-président de la première. Dans la vie du célèbre philanthrope, ainsi que dans sa correspondance publiée par ses enfants (1838-40, 7 vol. in-12), on voit, il est vrai, qu'il fut séduit par le nom d'ami que Christophe donnait à l'illustre défenseur de la cause des noirs, et plus encore par l'appel que le roi d'Haïti fit à ses sentiments religieux. Ce ne fut pas sans hésitation et sans craindre de compromettre sa position parlementaire, que Wilberforce entreprit cette correspondance. Mais Christophe annonçait sa volonté bien arrêtée de remplacer par la foi protestante le catholicisme, dont le chef et le clergé avaient épousé la cause des anciens maîtres, et même refusé l'institution canonique à ses évêques et l'ordination a ses prêtres. Wilberforce crut reconnaître dans Christophe un grand désir d'améliorer l'état moral et religieux de son peuple. Il consentit à envoyer des précepteurs pour les enfants du roi, et des maîtres pour la fondation d'un collège royal. Enfin il affilia Christophe à la société africaine et à la société biblique. Mais Wilberforce, en le remerciant de ce qu'il faisait pour la civilisation, ne descendit jamais jusqu'à l'adulation. Lui-même reproche à Christophe d'avoir accablé son peuple d'exactions pour se faire un trésor et une armée, d'avoir outrepassé les limites de la répression, d'avoir fait preuve d'une extrême avarice, et en même temps d'une prodigalité excessive envers ses créatures, auxquelles il donnait des gratifications exorbitantes (1,000 liv. sterl. ou 25,000 fr. à un seul pour un léger service). Toutefois, après la mort de Christophe, il défendit sa mémoire contre les calomnies et le ridicule dont il était alors de mode de le rendre l'objet. La conduite de Wilberforce en cette occasion n'en est pas moins digne de tous les éloges. Il écrivit au chef du gouvernement haïtien (le président Boyer), pour le prier de ne pas faire mettre à mort le baron de Vastey, secrétaire de Christophe, et auteur de deux écrits sur Haïti. En même temps il exprima, en véritable ami du peuple haïtien, le désir que les améliorations tentées par Christophe pour la réhabilitation du mariage et des mœurs et pour l'éducation ne fussent pas abandonnées. Du reste, le jugement de Wilberforce sur Christophe se trouve nettement formulé dans la recommandation qu'il fit à ses enfants de publier après sa mort sa correspondance avec le roi noir, «pour prouver que Christophe n'était pas un barbare, quoiqu'il fût peu lettré, et que son tort a été de vouloir faire le bien trop vite et par la contrainte.» Ce jugement est peut-être plus près de la vérité que la censure outrée de ceux qui l'appelaient le moderne Phalaris. Dans une brochure publiée au Port-au-Prince, le 4 juillet 1818, trois mois après sa dernière invasion, Colombel, secrétaire particulier du président Boyer, a reproché à Christophe : 1° d'avoir fait entasser quatre ou cinq cents personnes de tout âge et de tout sexe dans un puits de l'habitation Ogé, pour les faire périr lors du siège de Jaraul ; 2° d'avoir poignardé de sa propre main une femme enceinte qui lui demandait justice de l'attentai d'un soldat ; 3° d'avoir voulu tuer son fils, le prince Victor, encore au berceau, parce qu'il troublait son sommeil ; 4° d'avoir fait massacrer au port de la Paix des soldats qui s'étaient rendus à discrétion ; 5° d'avoir violé la capitulation du Môle, en faisant mettre à mort le général T. Boufflet, le colonel J. Gournault, presque tous les officiers et les deux tiers des soldats de la garnison ; 6° d'avoir fait massacrer une population sans défense dans sa retraite du Port-au-Prince ; 7° d'avoir fait brûler vifs ses prisonniers du Cibert ; 8° d'avoir fait décapiter en sa présence deux cents prisonniers du Santo ; 9° d'avoir fait mettre à mort des femmes du Cap, qui avaient témoigné de la joie de sa défaite au Port-au-Prince ; 10° enfin d'avoir, dans la forteresse la Ferrière, des cachots, des étouffoirs, des instruments de torture. Sans ajouter une loi entière à ces accusations accumulées par la passion et la haine du parti contraire, on doit se rappeler qu'à St-Domingue comme au moyen âge on était féroce envers les vaincus, et que le gouvernement de Christophe était absolu. Parmi les documents publiés par Mackensie, on trouve un ordre de mettre un individu aux serre-pouces, et celui de mettre aux travaux publics un débiteur qui ne payait point ses dettes. On est en droit d'en conclure que l'autorité de Christophe n'était rien moins que paternelle. Aussi tous les hommes qui se sentaient quelque capacité et quelque fierté passèrent-ils successivement dans le parti de la république. Les défections eurent quelquefois lieu en masse ; nous avons mentionné celle de sa flotte. Un autre jour le général Magni, ancien commandant de la garde d'honneur de Toussaint Louverture, l'abandonna avec un corps de 5.000 hommes. Ceux mêmes qui restaient auprès de lui et qu'il comblait de faveurs, se sentant dans une entière dépendance, s'indignaient de n'être que ses premiers esclaves. Tel était l'état des esprits quand, au mois de juillet 1820, Christophe fut atteint d'une attaque de paralysie. A cette nouvelle, une révolte générale devint imminente. Cependant elle n'éclata qu'à la lin de septembre. La garnison de St-Marc, place frontière, en donna le signal. Un régiment, mécontent des mauvais traitements que le gouvernement de cette ville avait infligés à son colonel, d'après les ordres du roi, égorgea ce malheureux, nommé Glaude, et envoya sa tête au président Boyer, en sollicitant de prompts secours. Les insurgés l'informaient en même temps que la population du royaume ne demandait qu'à passer sous l'autorité de la république. Aussitôt que la nouvelle de ces événements parvint à Sans-Souci, où Christophe était encore malade, il fit partir contre les révoltés un corps de 6.000 hommes. Le général Romain, qui les commandait, était lui-même au nombre des mécontents et s'avança avec lenteur. Pendant ce temps, la ville du Cap se lève tout entière pour le parti de l'insurrection. Un courrier que Christophe envoyait au général Richard, qu'il croyait encore fidèle, est sur le point d'être mis à mort ; il est renvoyé pour apprendre à son maître que son autorité n'est plus reconnue. Christophe se fait aussitôt hisser sur son cheval, mais ses souffrances le forcent d'en descendre. Il avait fait rassembler 1.500 hommes de sa garde, seules troupes qui lui restassent. II se fait porter dans leurs rangs, les excite, leur promet douze dollars (60 fr.) par homme et le pillage du Cap, s'ils triomphent des insurgés. Il met à leur tête Joachim-Noël, son général le plus dévoué. Le parti royal, grossi de quelques détachements recrutés en chemin, rencontre les révoltés au haut du Cap (8 octobre 1820). Aussitôt Joachim voit ses troupes se débander et passer à l'ennemi ; il cherche son salut dans la fuite. A la nouvelle de cette défection, qui ruine sa dernière espérance, Christophe dit froidement : «Puisque le peuple d'Haïti n'a plus de confiance en moi, je sais ce qui me reste à faire. » Il se retire dans sa chambre et se tire deux coups de pistolet, l'un à la tête et l'autre au cœur (8 octobre 1820). Telle fut la fin de cet homme, certainement doué de grandes facultés, mais qui, après avoir combattu la moitié de sa vie pour la liberté, consacra l'autre à élever ce fragile édifice de la tyrannie sous les ruines duquel il fut écrasé. Ses tentatives de civilisation et de réforme ne servirent qu'à accélérer sa chute. A peine eut-il jeté quelques lumières parmi ce peuple sur lequel il faisait peser une si rude oppression, que son joug devint insupportable. La servitude et la civilisation ne sauraient subsister côte à côte. De ses deux fils, l'aîné, Ferdinand, fut confié aux autorités françaises, lors de la soumission de Christophe au général Leclerc. Embarqué comme otage, il mourut en France dans un hôpital. Le second, Jacques-Victor-Henri, âgé de seize ans, fut massacré par les insurgés lors de la prise du fort la Ferrière, quelques jours après la mort de son père. Un bruit populaire a accrédité la croyance que les vainqueurs avaient trouvé dans cette forteresse la somme de 240 millions de francs, formant le trésor de Christophe. Mais il n'en a rien figuré dans les comptes de la république d'Haïti. Cette opinion exagérée de la prospérité de Christophe n'a pas peu contribué à la conclusion de l'emprunt de 30 millions qui fut conclu en 1825, époque de la reconnaissance de l'indépendance de la partie française de St-Domingue. Tout porte à croire, au contraire, que les revenus du royaume furent annuellement absorbés par les dépenses de cour, l'entretien de l'armée et les constructions considérables que Christophe éleva au fort Henri, à Sans-Souci et dans la ville du Cap (1). Le défaut d'entretien et les tremblements de terre ont détruit tous ces édifices dont il ne reste que des ruines. Le royaume d'Haïti périt avec son fondateur, et le président Boyer réunit les deux États sous les étendards de la république. La veuve de Christophe, naguère la reine Marie-Louise, quitta cette terre où le nom qu'elle portait était en exécration, mais où cependant on lui avait assuré une pension modique. Elle passa en Angleterre, où Wilberforce s'empressa de lui restituer tout ce qui n'avait pas été employé d'une somme de 6.000 liv. sterling (150.000 fr.) que Christophe lui avait envoyée pour lui acheter des livres et lui recruter des maîtres. La postérité a fait justice des doutes que le parti colonial avait essayé de jeter sur le désintéressement de Wilberforce. La veuve du roi noir, après avoir visité l'Allemagne et l'Italie, se fixa à Pise en Toscane avec ses deux filles. Au mois de novembre 1830, l'une d'elles est morte dans cette ville, où sa mère et sa sœur résident encore aujourd'hui.
A. I—B—T.

 

Pamphile Lacroix

Malouet

Esmangart

Wilberforce

 

 
         
  (1) Mackensie, consul général d'Angleterre en Haïti, en 1823, dans son ouvrage oublié en 1830 ( tom. 2, page 302), donne te tableau des exportations du Cap-Français pendant le gouvernement de Christophe :
De 1807 à 1809 la moyenne a été en sucre raffiné de 633.701 quintaux.
De 1810 à 1811 (deux ans) : 810.572.
De 1812 à 1820 (neuf ans) : 2.787.087.
     

 

 

 

     

 

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