| Dernière modification: 19/11/2002 Marbot Le général Marbot (Antoine, le père du général Marcellin Marbot qui
écrivit les fameux "Mémoires") est né à Beaulieu (aujourd'hui en
Corrèze) en 1750. Entré dans les Gardes du corps, il donna sa démission en
1789, devint administrateur de la Corrèze, puis député de ce département à
la Législative en 1791. Les Mémoires de Marcellin Marbot donnent des détails sur la nomination
du général Marbot à l'armée du Rhin : "Pendant notre séjour à Nice (après la mort de Championnet, le général Marbot avait été investi du commandement de l'armée d'Italie, et son fils, sous-lieutenant au 1er hussards, lui servait d'aide de camp), mon père reçut du ministre de la guerre l'ordre d'aller prendre le commandement de l'avant-garde de l'armée du Rhin, où son chef d'état-major, le colonel Ménard, devait le suivre. Nous fûmes tous fort satisfaits de cette nouvelle situation, car la misère avait jeté les troupes de l'armée d'Italie dans un tel désordre qu'il paraissait impossible de se maintenir en Ligurie ; mon père n'était pas fâché de s'éloigner d'une armée en décomposition, qui allait ternir ses lauriers par une honteuse retraite, dont le résultat serait de se faire rejeter en France derrière le Var. Mon père se prépara donc à partir dès que le général Masséna, nommé pour le remplacer, serait arrivé, et il dépêcha pour Paris M. Gault, son aide de camp, afin d'y acheter des cartes et faire divers préparatifs pour notre campagne sur le Rhin. Mais le destin en avait décidé autrement, et la tombe de mon malheureux père était marquée sur la terre d'Italie ! (...) Masséna avait bien l'espoir d'être rejoint en Italie par plusieurs des généraux qui l'avaient aidé à battre les Russes en Helvétie, entre autres par Soult, Oudinot et Gazan ; mais aucun d'eux n'était encore arrivé, et il fallait pourvoir au besoin pressant. Masséna, né à la Turbie, bourgade de la petite principauté de Monaco, était l'Italien le plus rusé qui ait existé. Il ne connaissait pas mon père, mais à la première vue il jugea que c'était un homme au cœur magnanime, aimant sa patrie par dessus tout, et pour l'engager à rester, il l'attaqua par son endroit sensible, la générosité et le dévouement au pays, lui exposant combien il serait beau à lui de continuer à servir dans l'armée d'Italie malheureuse, plutôt que d'aller sur le Rhin, où les affaires de la France étaient en bon état. Il ajouta que, du reste, il prenait sur lui l'inexécution des ordres que le gouvernement avait adressés à mon père, si celui-ci consentait à ne pas partir. Mon père, séduit par ces discours, et ne voulant pas laisser le nouveau général en chef dans l'embarras, consentit à rester avec lui. Il ne mettait pas en doute que son chef d'état-major, le colonel Ménard, son ami, ne renoncât aussi à aller sur le Rhin, puisque lui restait en Italie ; mais il en fut autrement. Ménard s'en tint à l'ordre qu'il avait reçu, bien qu'on l'assurât qu'on le ferait annuler s'il y consentait. Mon père fut très sensible à cet abandon. Ménard se hâta de regagner Paris, où il se fit accepter comme chef d'état-major du général Lefèbvre. Mon père se rendit à Gênes, où il prit le commandement des trois divisions dont se composait l'aile droite de l'armée." (Mémoires du général de Marbot, tome 1, p. 92-93) Peu après, le général Soult prend le commandement des trois divisions
de l'aile droite, et le général Marbot retourne à Savone se remettre à la tête
de son ancienne division, la troisième.. La division de mon père, très vivement attaquée par des forces infiniment supérieures, défendit pendant deux jours les célèbres positions de Cadibone et de Montenotte ; mais enfin, se voyant sur le point d'être tournée, elle dut se retirer sur Voltri et de là sur Gênes, où elle s'enferma avec les deux autres divisions de l'aile droite. (...) Pendant la retraite, et au moment où mon père me donnait un ordre à porter, il reçut une balle dans la jambe gauche, celle qui déjà avait été blessée d'une balle à l'armée des Pyrénées. La commotion fut si forte, que mon père serait tombé de cheval s'il ne se fût appuyé sur moi. Je l'éloignai du champ de bataille ; on le pansa, je voyais couler son sang et je me mis à pleurer... Il chercha à me calmer et me dit qu'un guerrier devait avoir plus de fermeté... On transporta mon père à Gênes, au palais Centurione, qu'il avait occupé pendant le dernier hiver. Nos trois divisions étant rentrées dans Gênes, les Autrichiens en firent le blocus par terre et les Anglais par mer. Je ne me sens pas le courage de décrire ce que la garnison et la population de Gênes eurent à souffrir pendant les deux mois que dura ce siège mémorable. La famine, la guerre et un terrible typhus firent des ravages immenses!... La garnison perdit dix mille hommes sur seize mille, et l'on ramassait tous les jours dans les rues sept à huit cent cadavres d'habitants de tout âge, de tout sexe et de toute condition, qu'on portait derrière l'église de Carignan dans une énorme fosse remplie de chaux vive. Le nombre des victimes s'éleva à plus de trente mille, presque toutes mortes de faim !... (...) Vous vous étonnerez sans doute que le général Masséna mît tant d'obstination à conserver une place dont il ne pouvait nourrir la population et sustenter à peine la garnison. Mais Gênes pesait alors d'un poids immense dans les destinées de la France. Notre armée était coupée ; le centre et l'aile gauche s'étaient retirés derrière le Var, tandis que Masséna s'était enfermé dans Gênes pour retenir devant cette place une partie de l'armée autrichienne, l'empêchant ainsi de porter toutes ses forces sur la Provence. Masséna savait que le premier consul réunissait à Dijon, à Lyon et à Genève, une armée de réserve, avec laquelle il se proposait de passer les Alpes par le Saint-Bernard, afin de rentrer en Italie, de surprendre les Autrichiens et de tomber sur leurs derrières, pendant qu'ils ne s'occupaient que du soin de prendre Gênes. Nous avions donc un immense intérêt à conserver cette ville le plus longtemps possible, ainsi que le prescrivaient les ordres du premier consul, dont les prévisions furent justifiées par les événements. (...) En apprenant qu'on avait transporté à Gênes mon père blessé, Colindo Trepano [le secrétaire du chef d'état-major du général Marbot, le colonel Sacleux] accourut auprès de son lit de douleur, et c'est là que nous nous retrouvâmes. Il m'aida de la manière la plus affectueuse à soigner mon père, et je lui en sus d'autant plus de gré, qu'au milieu des calamités dont nous étions environnés, mon père n'avait personne auprès de lui. (...) Aux horreurs de la famine et du typhus se joignaient celles d'une guerre acharnée et incessante, car les troupes françaises combattaient toute la journée du côté de terre contre les Autrichiens, et dès que la nuit mettait un terme à leurs attaques, les flottes anglaise, turque et napolitaine, que l'obscurité dérobait au tir des canons du port et des batteries de la côte, s'approchaient de la ville, sur laquelle elles lançaient une immense quantité de bombes, qui faisaient des ravages affreux !... Aussi, pas un instant de repos !... Le bruit du canon, les cris des mourants, pénétraient jusqu'à mon père et l'agitaient au dernier point : il regrettait de ne pouvoir se mettre à la tête des troupes de sa division. Cet état moral empirait sa position ; sa maladie s'aggravait de jour en jour ; il s'affaiblissait visiblement. Colindo et moi ne le quittions pas un instant. Enfin, une nuit, pendant que j'étais à genoux auprès de son lit pour imbiber sa blessure, il me parla avec toute la plénitude de sa raison, puis, sentant sa fin approcher, il plaça sa main sur ma tête, l'y promena d'une de façon caressante en disant : "Pauvre enfant, que va-t-il devenir, seul et sans appui, au milieu des horreurs de terrible siège ?..." Il balbutia encore quelques paroles, parmi lesquelles je démêlai le nom de ma mère, laissa tomber ses bras et ferma les yeux !... Quoique bien jeune (Marcellin Marbot est né le17 août 1782), et depuis peu de temps au service, j'avais vu beaucoup de morts sur le terrain de divers combats et surtout dans les rues de Gênes ; mais ils étaient tombés en plein air, encore couverts de leurs vêtements, ce qui donne un aspect bien différent de celui d'un homme qui meurt dans son lit, et je n'avais jamais été témoin de ce dernier et triste spectacle. Je crus donc que mon père venait de céder au sommeil. Colindo comprit la vérité, mais n'eut pas le courage de me la dire, et je ne fus tiré de mon erreur que plusieurs heures après, lorsque M. Lachèze étant arrivé, je lui vis relever le drap du lit sur la figure de mon père, en disant : "C'est une perte affreuse pour sa famille et ses amis !..." Alors seulement je compris l'étendue de mon malheur... Ma douleur fut si déchirante qu'elle toucha même le général en chef Masséna, dont le cœur n'était cependant pas facile à émouvoir, surtout dans les circonstances présentes, où il avait besoin de tant de fermeté. (Mémoires du général de Marbot, tome 1, p. 95-102) |
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