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"Prétendue deterioration du climat de l'Europe" 1818

 

     
L'année 1816 fut, du point de vue météorologique, une année desastreuse. La cause en était, plus que probablement, l'éruption du volcan Tamboro en Indonésie au mois d'avril 1815. Les premières conséquences climatologiques s'en firent sentir le 17 juin 1815, la veille de la bataille de Waterloo.
Alors que l'opinion publique ressentait durement les conséquences de ce phénomène climatologique, les scientifiques débattaient de l'évolution du climat.
   

 

Annales de chimie et de physique, 1818, tome 9 , page 292.

   
 

CLIMAT DE L'EUROPE (Prétendue détérioration du).
— Météorologie. — Observations nouvelles. — M. M***. — 1818. — Les mouvements considérables qu'on a observés dans les glaces polaires, pendant les trois ou quatre dernières années, ont ramené l'attention sur une opinion déjà débattue bien souvent par les météorologistes, et suivant laquelle les climats de l'Europe iraient continuellement en se détériorant. Il serait difficile de dire bien précisément quelle était la température du globe à des époques reculées ; car la découverte des thermomètres ne remonte guère qu'à l'année 1590, et même, avant1700, ces instruments n'étaient ni exacts ni comparables. Mais en compulsant les historiens, on peut établir des comparaisons relatives à l'état des récoltes et à plusieurs autres phénomènes naturels. Elles prouveront, même en faisant la part des exagérations ordinaires à la plupart des anciens auteurs, que les hivers, dans ces temps reculés, étaient aussi rudes que dans le siècle où nous vivons. Ainsi nous apprenons qu'en 400 la mer Noire fut entièrement gelée. En 462, le Danube gela, et Théodomer le traversa sur la glace pour aller venger la mort de son frère en Souabe. En 763 , la mer Noire et le détroit des Dardanelles furent gelés ; il y avait dans quelques points plus de 50 pieds de neige. En 822, des charrettes pesamment chargées purent traverser le Danube, l'Elbe et la Seine sur la glace, pendant plus d'un mois. En 860, la mer Adriatique gela. En 874, il tomba de la neige depuis le commencement de septembre jusqu'à la fin de mars, et en telle quantité que les forêts étaient inaccessibles, et que le peuple ne pouvait point se procurer de bois. En 891 , 893 et 991 , les vignes souffrirent beaucoup de la rigueur du froid ; les troupeaux périrent dans les étables, faute de nourriture ; et on éprouva la famine la dernière de ces années. En 1044, 1067 et 1124, hivers longs et très-froids ; les arbres à fruit moururent pour la plupart. En 1133, le Pô était pris depuis Crémone jusqu'à la mer ; le vin gela dans les caves ; l'action du froid faisait éclater les troncs des arbres avec un grand bruit. En 1179, 1209 et 1210, hivers très sévères ; les troupeaux périrent faute de nourriture. En 1216, le Pô gela jusqu'à une profondeur de 15 i-eels ; le vin, en se solidifiant dans les caves, faisait éclater les tonneaux. En 1234, le Pô gela de nouveau ; des voitures chargées traversèrent l'Adriatique sur la glace, en face de Venise. En 1236, le Danube resta gelé dans toute sa profondeur pendant assez longtemps. En 1269, le Catégat était gelé entre la Norwège et le Jutland. En 1281 , nombre de maisons dans la campagne, en Autriche, furent totalement ensevelies sous la neige. En 1291, des voitures chargées traversèrent le Rhin, sur la glace devant Brysach ; le Categat était aussi totalement pris. En 1305 et 1316, les hivers furent extrêmement sévères en Allemagne; les récoltes manquèrent également-En 1323, les voyageurs à pied ou à cheval allaient sur la glace du Danemarck à Lubeck et à Dantzick. En 1324, toutes les rivières d'Italie furent gelées. En 1392, les arbres éclataient par l'effet du froid. En 1408, l'hiver fut un des plus rudes dont on ait conservé le souvenir; le Danube gela dans tout sou cours ; la glace s'étendait, sans interruption, dans la Baltique, entre le Gothland et Oeland , entre la Norwège et le Danemarck ; en sorte que les loups passèrent du nord dans le Jutland ; les voitures chargées passèrent sur la Seine. En 1423, les voyageurs allèrent de Lubeck à Dantzick sur la glace. En 1460, le Danube resta gelé pendant deux mois ; les voyageurs à pied et à cheval passaient sans difficulté du Danemarck en Suède ; les vignes souffrirent extrêmement en Allemagne. En 1468 et 1544 , en Flandre, on coupait avec la hache les rations de vin aux soldats. Eu 1548, 1564, 1565 et 1571 , hivers rigoureux : dans toute l'Europe, la glace, sur la plupart des rivières, était assez épaisse pour supporter des charrettes pesamment chargées. En 1594 la mer gela à Venise. En 1608, il tomba à Padoue une immense quantité de neige. En 1621 et 1622 , le Zuyderzée gela entièrement ; la flotte vénitienne se trouva prise par les glaces dans les lagunes de l'Adriatique. En 1658 , 1659 et 1660, hivers extrêmement froids ; les rivières d'Italie gelèrent assez profondément pour supporter les plus lourdes voitures ; il tomba à Rome une immense quantité de neige ; on se rappelle que c'est en 1658 que Charles X, roi de Suède , traversa le petit Belt sur la glace, avec toute son armée, son artillerie, ses caissons, ses bagages. En 1670, on traversait le grand et le petit Belt en traîneau et sans danger. En 1684, la Tamise gela à Londres ; la glace avait onze pouces d'épaisseur, et portait les voitures chargées; grand nombre de chênes dans les forêts éclatèrent par l'effet du froid. En 709, on vit l'Adriatique et même la Méditerranée, près de Gênes, gelées. En 1716, il y eut un grand nombre de boutiques établies sur la Tamise. En 1726, on passa en traîneau de Copenhague à la province de Scanie, en Suède. En 1740, le Zuyderzée gela entièrement ; la Tamise était aussi totalement prise ; le peuple construisit sur la glace une cuisine dans laquelle il fit rôtir un bœuf tout entier. Nous voici arrivés à l'époque des bonnes observations barométriques. Or les tables établies d'après les Transactions philosophiques, et qui se trouvent dans les Annales de chimie et de physique, concourront avec les citations précédentes à montrer qu'on n'a aucune raison de supposer que le climat de l'Europe se soit détérioré. Si à des données aussi positives on ajoute le témoignage d'écrivains anciens, et qui se rapporte à des époques plus reculées encore, on aura victorieusement combattu tout cet échafaudage d'hypothèses ; on aura fait disparaître la fantasmagorie des prédictions sinistres. En effet, on lit dans Strabon, liv. 2 , p. 73, fin du Texte : « Trouverions nous une fertilité semblable ( c'est-à-dire, à celle de l'Arie et de la Bactriane) près du Borystène ( Dniéper),et sur les côtes de la Gaule, baignées par l'Océan , dans ces contrées où. la vigne ne peut croître, ou du moins ne porte pas de fruit; sur ces côtes méridionales et vers le Bosphore si elle donne du raisin, il est fort petit ; encore durant l'hiver a-t-il besoin d'être enfoui. Et là même, je veux dire à l'embouchure du Palus-Méotide, les gelées sont si fortes qu'en hiver, un des généraux de Mithridate y défit la cavalerie des barbares précisément à l'endroit où, en été, ils furent vaincus dans un combat naval. Aussi Eratosthène a-t-il rapporté l'inscription qui se lit dans le temple d'Esculape à Panticapée, sur un vase d'airain que la gelée avait fait rompre. » Le même auteur, livre IV, page 178 du texte, ajoute : « La Gaule narbonnaise produit les mêmes fruits que l'Italie ; mais quand on s'avance au nord, vers les Cévennes, l'olivier et le figuier disparaissent ; tout le reste y croit. Il en est de même de la vigne, dont le fruit vient difficilement à maturité, quand on s'avance au-delà de la Narbonnaise.» Et enfin Diodore de Sicile, livre 5, § 25, prouve que la Gaule était alors un pays aussi froid que le nord de l'Allemagne. Il s'exprime ainsi : « La Gaule est un pays extrêmement froid, où les hivers sont très-rigoureux ; car, dans cette saison, lorsque le temps est brumeux, la neige tombe en abondance au lieu de pluie ; et quand le temps est clair, tout se couvre de frimas et de glace ; les rivières gèlent, et la glace tient lieu de pont pour les traverser ; non-seulement elles peuvent supporter alors des piétons en petit nombre, mais des armées nombreuses, avec leurs chariots remplis de bagages, peuvent les traverser sans crainte. » Que conclure donc de tant et de si anciennes observations, si ce n'est que le climat d'Europe, loin de s'être détérioré, semble au contraire s'être amélioré ; effet dont on trouverait au surplus la cause dans la disparition des immenses forêts qui ont longtemps couvert cette belle partie du monde.

     

 

 

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