|
CLIMAT
DE L'EUROPE (Prétendue détérioration du).
— Météorologie. — Observations nouvelles. — M. M***.
— 1818. — Les mouvements considérables qu'on a observés
dans les glaces polaires, pendant les trois ou quatre dernières
années, ont ramené l'attention sur une opinion déjà
débattue bien souvent par les météorologistes,
et suivant laquelle les climats de l'Europe iraient continuellement
en se détériorant. Il serait difficile de dire bien
précisément quelle était la température
du globe à des époques reculées ; car la découverte
des thermomètres ne remonte guère qu'à l'année
1590, et même, avant1700, ces instruments n'étaient
ni exacts ni comparables. Mais en compulsant les historiens, on
peut établir des comparaisons relatives à l'état
des récoltes et à plusieurs autres phénomènes
naturels. Elles prouveront, même en faisant la part des exagérations
ordinaires à la plupart des anciens auteurs, que les hivers,
dans ces temps reculés, étaient aussi rudes que dans
le siècle où nous vivons. Ainsi nous apprenons qu'en
400 la mer Noire fut entièrement gelée. En 462, le
Danube gela, et Théodomer le traversa sur la glace pour aller
venger la mort de son frère en Souabe. En 763 , la mer Noire
et le détroit des Dardanelles furent gelés ; il y
avait dans quelques points plus de 50 pieds de neige. En 822, des
charrettes pesamment chargées purent traverser le Danube,
l'Elbe et la Seine sur la glace, pendant plus d'un mois. En 860,
la mer Adriatique gela. En 874, il tomba de la neige depuis le commencement
de septembre jusqu'à la fin de mars, et en telle quantité
que les forêts étaient inaccessibles, et que le peuple
ne pouvait point se procurer de bois. En 891 , 893 et 991 , les
vignes souffrirent beaucoup de la rigueur du froid ; les troupeaux
périrent dans les étables, faute de nourriture ; et
on éprouva la famine la dernière de ces années.
En 1044, 1067 et 1124, hivers longs et très-froids ; les
arbres à fruit moururent pour la plupart. En 1133, le Pô
était pris depuis Crémone jusqu'à la mer ;
le vin gela dans les caves ; l'action du froid faisait éclater
les troncs des arbres avec un grand bruit. En 1179, 1209 et 1210,
hivers très sévères ; les troupeaux périrent
faute de nourriture. En 1216, le Pô gela jusqu'à une
profondeur de 15 i-eels ; le vin, en se solidifiant dans les caves,
faisait éclater les tonneaux. En 1234, le Pô gela de
nouveau ; des voitures chargées traversèrent l'Adriatique
sur la glace, en face de Venise. En 1236, le Danube resta gelé
dans toute sa profondeur pendant assez longtemps. En 1269, le Catégat
était gelé entre la Norwège et le Jutland.
En 1281 , nombre de maisons dans la campagne, en Autriche, furent
totalement ensevelies sous la neige. En 1291, des voitures chargées
traversèrent le Rhin, sur la glace devant Brysach ; le Categat
était aussi totalement pris. En 1305 et 1316, les hivers
furent extrêmement sévères en Allemagne; les
récoltes manquèrent également-En 1323, les
voyageurs à pied ou à cheval allaient sur la glace
du Danemarck à Lubeck et à Dantzick. En 1324, toutes
les rivières d'Italie furent gelées. En 1392, les
arbres éclataient par l'effet du froid. En 1408, l'hiver
fut un des plus rudes dont on ait conservé le souvenir; le
Danube gela dans tout sou cours ; la glace s'étendait, sans
interruption, dans la Baltique, entre le Gothland et Oeland , entre
la Norwège et le Danemarck ; en sorte que les loups passèrent
du nord dans le Jutland ; les voitures chargées passèrent
sur la Seine. En 1423, les voyageurs allèrent de Lubeck à
Dantzick sur la glace. En 1460, le Danube resta gelé pendant
deux mois ; les voyageurs à pied et à cheval passaient
sans difficulté du Danemarck en Suède ; les vignes
souffrirent extrêmement en Allemagne. En 1468 et 1544 , en
Flandre, on coupait avec la hache les rations de vin aux soldats.
Eu 1548, 1564, 1565 et 1571 , hivers rigoureux : dans toute l'Europe,
la glace, sur la plupart des rivières, était assez
épaisse pour supporter des charrettes pesamment chargées.
En 1594 la mer gela à Venise. En 1608, il tomba à
Padoue une immense quantité de neige. En 1621 et 1622 , le
Zuyderzée gela entièrement ; la flotte vénitienne
se trouva prise par les glaces dans les lagunes de l'Adriatique.
En 1658 , 1659 et 1660, hivers extrêmement froids ; les rivières
d'Italie gelèrent assez profondément pour supporter
les plus lourdes voitures ; il tomba à Rome une immense quantité
de neige ; on se rappelle que c'est en 1658 que Charles X, roi de
Suède , traversa le petit Belt sur la glace, avec toute son
armée, son artillerie, ses caissons, ses bagages. En 1670,
on traversait le grand et le petit Belt en traîneau et sans
danger. En 1684, la Tamise gela à Londres ; la glace avait
onze pouces d'épaisseur, et portait les voitures chargées;
grand nombre de chênes dans les forêts éclatèrent
par l'effet du froid. En 709, on vit l'Adriatique et même
la Méditerranée, près de Gênes, gelées.
En 1716, il y eut un grand nombre de boutiques établies sur
la Tamise. En 1726, on passa en traîneau de Copenhague à
la province de Scanie, en Suède. En 1740, le Zuyderzée
gela entièrement ; la Tamise était aussi totalement
prise ; le peuple construisit sur la glace une cuisine dans laquelle
il fit rôtir un bœuf tout entier. Nous voici arrivés
à l'époque des bonnes observations barométriques.
Or les tables établies d'après les Transactions philosophiques,
et qui se trouvent dans les Annales de chimie et de physique, concourront
avec les citations précédentes à montrer qu'on
n'a aucune raison de supposer que le climat de l'Europe se soit
détérioré. Si à des données aussi
positives on ajoute le témoignage d'écrivains anciens,
et qui se rapporte à des époques plus reculées
encore, on aura victorieusement combattu tout cet échafaudage
d'hypothèses ; on aura fait disparaître la fantasmagorie
des prédictions sinistres. En effet, on lit dans Strabon,
liv. 2 , p. 73, fin du Texte : « Trouverions nous une fertilité
semblable ( c'est-à-dire, à celle de l'Arie et de
la Bactriane) près du Borystène ( Dniéper),et
sur les côtes de la Gaule, baignées par l'Océan
, dans ces contrées où. la vigne ne peut croître,
ou du moins ne porte pas de fruit; sur ces côtes méridionales
et vers le Bosphore si elle donne du raisin, il est fort petit ;
encore durant l'hiver a-t-il besoin d'être enfoui. Et là
même, je veux dire à l'embouchure du Palus-Méotide,
les gelées sont si fortes qu'en hiver, un des généraux
de Mithridate y défit la cavalerie des barbares précisément
à l'endroit où, en été, ils furent vaincus
dans un combat naval. Aussi Eratosthène a-t-il rapporté
l'inscription qui se lit dans le temple d'Esculape à Panticapée,
sur un vase d'airain que la gelée avait fait rompre. »
Le même auteur, livre IV, page 178 du texte, ajoute : «
La Gaule narbonnaise produit les mêmes fruits que l'Italie
; mais quand on s'avance au nord, vers les Cévennes, l'olivier
et le figuier disparaissent ; tout le reste y croit. Il en est de
même de la vigne, dont le fruit vient difficilement à
maturité, quand on s'avance au-delà de la Narbonnaise.»
Et enfin Diodore de Sicile, livre 5, § 25, prouve que la Gaule
était alors un pays aussi froid que le nord de l'Allemagne.
Il s'exprime ainsi : « La Gaule est un pays extrêmement
froid, où les hivers sont très-rigoureux ; car, dans
cette saison, lorsque le temps est brumeux, la neige tombe en abondance
au lieu de pluie ; et quand le temps est clair, tout se couvre de
frimas et de glace ; les rivières gèlent, et la glace
tient lieu de pont pour les traverser ; non-seulement elles peuvent
supporter alors des piétons en petit nombre, mais des armées
nombreuses, avec leurs chariots remplis de bagages, peuvent les
traverser sans crainte. » Que conclure donc de tant et de
si anciennes observations, si ce n'est que le climat d'Europe, loin
de s'être détérioré, semble au contraire
s'être amélioré ; effet dont on trouverait au
surplus la cause dans la disparition des immenses forêts qui
ont longtemps couvert cette belle partie du monde. |
|
|
|