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Le brouillard extraordinaire
qui parut dès le milieu de juin 1783, et servit de rideau
pendant plusieurs mois à presque toute l'Europe, a trop excité
la curiosité générale et l'attention des observateurs,
par les phénomènes qu'il a présentés,
pour n'en pas parler ici avec quelque détail. La première
époque de son apparition, dans les différentes contrées
où il a été vu, est celle du 18 juin. Plusieurs
orages en avoient été, ce semble, les précurseurs,
comme ils en furent la suite, ainsi qu'on le prouvera. Ce jour là
on remarqua un brouillard léger, répandu dans toute
l'atmosphère, au travers duquel on aperçut néanmoins
le soleil, quoique très pâle. On put généralement
partout fixer le soleil, sans être obligé de se servir
de verres colorés ou enfumés, et l'action de ses rayons
était si faible qu'on n'en était point incommodé.
Les diverses couleurs, sous lesquelles l'astre du jour se montra,
n'avaient rien de particulier, mais étaient une suite de
la différente réfringence du brouillard, dont la densité
variait accidentellement dans diverses contrées. Les rayons
du soleil étant donc inégalement réfrangibles,
ont dû pénétrer plus ou moins facilement le
milieu qu'ils avoient à traverser, pour parvenir jusqu'à
l'œil des observateurs : de là le soleil a dû paraître
sous différentes couleurs ; mais comme, des sept espèces
de rayons en lesquels la lumière est décomposée,
les rouges, les orangers et les jaunes ont plus de force, ils passaient
plus facilement au travers de ce nouveau milieu, c'est-à-dire
du brouillard, et conséquemment le soleil ressemblait quelquefois
à un globe d'un rouge de sang ; d'autrefois il paraissait
d'une couleur jaunâtre et plus souvent il était pâle
et blanchâtre par l'absence des rayons de différentes
couleurs, qui ne parvenaient point jusqu'à nous ; phénomène
qui avait communément lieu, lorsque le soleil était
à une grande hauteur au dessus de l'horizon ; tandis qu'en
s'approchant de ce cercle, soit à son lever, soit à
son coucher, il ressemblait assez à un globe couleur de sang,
ses rayons ayant alors à parcourir un plus grand espace horizontal.
Ce brouillard dura pendant plusieurs mois, et le soleil ne se montra
alors qu'avec les apparences dont nous venons de parler. La durée
et: l'universalité de ce phénomène piquèrent
doublement la curiosité des savants, et les excitèrent
à en rechercher les causes : nous ferons bientôt mention
de leurs efforts. Mais avant que d'en parler, il est à propos
de dire un mot des observations météorologiques faites
avant l'apparition de ce météore.
L'automne précédente avait été très
froide et très humide ; la température de l'hiver
fut humide, et le printemps froid et assez humide. Au lieu de trois
ou quatre pouces d'eau que fournissent ordinairement les trois mois
d'hiver, le père Cotte a remarqué qu'il en était
tombé douze pouces, tandis que dans les provinces méridionales
on se plaignait d'une sécheresse depuis deux ans. La douceur
extrême de l'hiver occasionna des fontes de neiges en Auvergne
et ailleurs, qui ne contribuèrent pas peu à ces pluies
abondantes et aux inondations qui en furent les suites.
Le 5 février précédent était survenu
l'affreux tremblement de terre de la Calabre et de la Sicile, qui
dura pendant cinq mois, puisque la terre n'était pas encore
raffermie en juin. Des pluies continuelles précédèrent
aussi, dans cette malheureuse contrée, cette violente convulsion
de la nature. La terre les avait tellement absorbées, qu'elle
n'en paraissait pas extérieurement détrempé,
dit le père Cotte. L'atmosphère de l'Europe entière
s'en ressentit, comme il conste par les oscillations brusques et
fréquentes que le mercure éprouva dans le baromètre
pendant tout le mois de février et celui de mars ; il faut
excepter Padoue, et l'autre côté de l'Apennin. La secousse
de ce tremblement de terre fut si grande, qu'elle donna lieu à
l'apparition d'une nouvelle île dans le voisinage de l'Islande.
Observat.sur la phys. l'hist. nat. 1783.
Ce brouillard singulier ne faisait point entrer les sels en déliquescence,
ni monter l'hygromètre ; il n'empêchait pas l'évaporation
d'être abondante et ne ternissait pas même les glaces
qui y étoient exposées. Les salines d'Hyères
en Provence, au rapport de M. de Lamanon, cristallisèrent,
par l'effet du brouillard, quinze jours plus tôt qu'à
l'ordinaire. J'ajouterai ici en passant que l'électricité
accélère la cristallisation, comme nous le prouverons
bientôt.
L'odeur de ce brouillard a été quelquefois sulfureuse.
Le 16, le 17 et le 18 juin, au rapport de M. Marcorelle, ce brouillard
déposa dans la nuit, fur les végétaux, une
eau épaisse et gluante, d'un goût désagréable
et un peu fétide. Cette liqueur laissa des traces de la plus
grande causticicé. Les fleurs dont la vigne et les oliviers
des environs de Narbonne étaient chargés, furent brûlées
et tombèrent en grande partie. Dans d'autres endroits , on
a observé que ce brouillard avait mûri les blés
et favorisé les moissons, comme le font les météores
électriques. Voyez cette vérité prouvée
dans l'Electricité des Végétaux.
Afin de juger de la qualité de ce brouillard extraordinaire
, plusieurs physiciens ont entrepris des expériences. De
celles que M. Maret a faites comparativement avec de l'air atmosphérique
chargé de ces vapeurs, pris en quatre endroits différents,
il résulte que cet air ne contenait point d'acide méphitique,
ni aucun autre acide, ni de phlogistique libre, et qu'enfin il ne
différait presque pas de l'air atmosphérique ordinaire.
On a tenté à Grenoble des expériences de ce
genre. Quatre mesures de brouillard ayant été mêlées
avec deux mesures d'air nitreux, l'absorption a été
d'un quart, et il ne resta plus qu'un gaz dans lequel la lumière
s'éteignit plusieurs fois : ( L'air atmosphérique
tient ordinairement un quart d'air pur, et trois quarts d'air méphitique
ou phlogistiqué ; ce quart fut absorbé par l'air nitreux.)
L'air inflammable mêlé avec l'air des brouillards ne
l'a point empêché de détonner, lorsqu'on a présenté
une bougie allumée.
Quelque extraordinaire qu'ait paru ce brouillard, il n'est pas un
phénomène unique, on en a vu autrefois de semblables.
L'année de la mort de César le soleil fut obscurci,
et ne donna pendant plusieurs mois qu'une lumière pâle
et languissante ; il parut rouge et environné de couronnes.
L'an 164 de l'Ere chrétienne, il y eut tremblement de terre
et ténèbres pendant plusieurs jours, etc.
A peine ce singulier météore parut-il, qu'on fut curieux
d'en connaître la cause. Il est peu de phénomènes
fur lesquels on se soit plus exercé. Quelques personnes peu
instruites attribuèrent la cause de ces brouillards à
l'apparition d'une comète, et d'autres à la perturbation
du cours des planètes, occasionnée, disait-on, par
la nouvelle planète Herschel.
Mais le premier savant qui paraît avoir écrit sur le
brouillard sec de l'année 1783 est M. Lapi, lecteur en botanique.
Il lut le résultat de ses recherches dans une assemblée
de l'Académie des Georgiphiles de Florence. Cet auteur regarde
les éruptions des volcans comme les causes qui remplirent
l'atmosphère d'air fixe, d'air inflammable, d'air déphlogistiqué,
sec. Les éruptions des volcans, les tremblements de terre,
l'électricité excitée, les désastres
de la Calabre et d'autres endroits du globe, sont les principales
causes auxquelles M. Lapi attribue la formation des brouillards
dont nous parlons. Les sels, les soufres, les bitumes qui s'élèvent,
le feu électrique qui se réveille, l'air fixe, phlogistiqué,
inflammable, dont le développement se fait en pareilles circonstances,
rendent raison suivant ce physicien de la prodigieuse fertilité
qui eut lieu cette année. Dès le mois de juillet 1783
, Dom Robert Hickmann disait : c'est à ces bouleversements
(volcaniques) de l'Islande et des pays voisins que j'attribue ce
brouillard sec et sulfureux. Sulla Caligine, & Florence
, &c.
M. Toaldo pensait, dès le 11 juillet 1783 , que les vapeurs
qui ont causé le phénomène dont nous venons
d'exposer les circonstances, étaient venues de la Sicile
et de la Calabre, où il y avait des tremblements de terre
depuis le 5 février. On a su qu'au mois de juin, on y avait
vu, après de violentes secousses, des exhalaisons immenses
dans l'atmosphère. Le vent de sud-sud-est, qui dominait à
Padoue, passait sur la Calabre, et pouvait apporter cette masse
d'exhalaisons, ou, pour mieux dire, cette espèce de poussière
qui a couvert toute l'Italie, et partie de l'Allemagne, mais qui
, arrêtée principalement par la chaîne des Alpes,
faisait paraître ces montagnes rouges à tous les habitants
de la Lombardie. Ces exhalaisons, selon ce savant, ne venaient point
généralement des terres où le phénomène
était observé : car on ne les voyait point fumer comme
dans les brouillards ordinaires. C'étaient au contraire des
vapeurs élevées et venues d'en-haut, comme si elles
étaient tombées dans l'atmosphère ; elles ne
paraissaient pas toucher la terre : aussi ne firent-elles point
de tort aux productions ; seulement, dans les collines élevées,
on a dit que les vignes et les oliviers avaient été
brûlés.
Cette exhalaison n'a pu venir des tremblements de terre, sans contenir
des parties minérales ignées, inflammables, et électriques
: par-là , M. l'abbé Toaldo explique une prodigieuse
quantité d'orages qu'il y eut, surtout après le milieu
du mois, et même sans nuage, comme on l'a observé,
sur les montagnes. Ces orages furent très considérables
et très multipliés en beaucoup d'endroits, particulièrement
en Italie et en Allemagne : par exemple , dans la ville de Kremnitz,
en Hongrie , il y eut neuf coups de tonnerre, qui produisirent un
incendie, et il y eut des tremblements de terre dans le pays ; en
Calabre, toutes les grandes secousses ont été accompagnées
de terribles orages, et de vapeurs sèches, obscures, et semblables
à celle qui a couvert toute l'Europe. Osservazioni meteorolog.,
etc..,
M l'abbé Spallanzani , qui a fait aussi à Reggio plusieurs
observations sur le même brouillard, lequel commença,
dès le milieu de juin, d'obscurcir l'air en Lombardie ; et
sur l'orage du 26 juin, qui s'étendit jusqu'à la mer
Adriatique, M. l'abbé Spallanzani n'est pas éloigné
de croire, avec M. Toaldo, que ce brouillard venait du tremblement
de terre de la Calabre. Cependant il observe que le vent venait
du couchant, lorsque le brouillard était le plus épais
dans la Lombardie. II a examiné au microscope les molécules
de cette vapeur, et leur a trouvé la figure irrégulière
des exhalaisons terrestres, et il l'a vue même quelquefois
sortir de la terre ; ce qui semble à M. de Lalande justifier
l'hypothèse qu'il proposa dès 1784, pour l'explication
de ce phénomène singulier, tirée de la grande
chaleur qui suivit de près des pluies très longues
et très étendues dans presque toute l'Europe. On sait
que cet habile astronome a attribue ces brouillards à la
grande humidité de l'hiver, et à la quantité
de matière électrique que la chaleur a développée
du sein de la terre, sans avoir recours à l'effet des tremblements
de terre.
M. Joseph Daquin pense aussi que le tremblement de terre de Messine
et de la Calabre a été la cause du brouillard extraordinaire
de 1783. Cet excellent médecin, qui a enrichi de plusieurs
notes savantes l'essai météréologique de M.
l'abbé Toaldo, croit que les exhalaisons, sorties du sein
de la terre dans un bouleversement si terrible, ont changé
la constitution de l'atmosphère, par le mélange des
diverses substances qui s'y sont introduites. D'après cette
idée, il regarde ces brouillards comme la principale cause
des fièvres intermittentes et continues rémittentes
bilieuses qui ont régné épidémiquement
dans plusieurs endroits pendant le courant de l'été
et de l'automne de la même année. Essai météorolog.
sur la véritable influence, etc.
Les brouillards dont nous parlons, selon le P. Cotte, ne
sont qu'une suite naturelle de la grande humidité qui a occasionné
le tremblement de terre de Messine, et de la secousse qu'a reçu
le globe, et qui s'est manifestée par les phénomènes
qu'on a observés en différents pays. Je m'explique
: c'est ce savant qui parle : j'ai dit que nous avions eu des brouillards
humides et froids du 18 au 24 juin, et des brouillards secs et chauds
du 24 juin au 21 juillet. Je ferai observer que le soleil étant
à cette époque à sa plus grande hauteur, il
avait aussi plus de force pour pomper les vapeurs dont la terre
était imbibée à la suite des pluies et des
inondations de l'hiver et du printemps. Cette première action
ou évaporation du soleil a dû refroidir l'atmosphère,
par la quantité des vapeurs aqueuses qui s'y sont élevées,
de la même manière qu'il agit entre les tropiques dans
le temps où il est le plus vertical : il se forme alors une
espèce de brouillard, ou de rideau de vapeurs, qui dérobe
le soleil à la vue des habitants, et qui tempère beaucoup
sa grande ardeur. Cette première action du soleil a dû
aussi dessécher la terre, y occasionner des fentes, des gerçures,
qui ont laissé échapper des exhalaisons sulfureufes
et pyriteuses, la matière électrique mise en mouvement
par les violentes secousses que la terre avait éprouvées.
De-là, continue le P. Cotte, ces brouillards secs et chauds
qui ont succédé aux brouillards froids et humides
; de-là cette espèce de fumée, composée
d'exhalaisons et du fluide électrique, qui ont occasionné
des orages dans presque toute l'Europe, et même des tremblements
de terre dans les pays voisins des montagnes, qui sont comme le
foyer de ces exhalaisons, et de la matière électrique,
attendu la quantité de minéraux et de pyrites qui
s'y trouvent renfermés ; de-là aussi cette chaleur
excessive, qui a été la suite de ces brouillards secs
et électriques ; de-là cette couleur rouge du soleil,
et l'augmentation apparente de son disque, aperçu à
travers un milieu beaucoup plus dense qu'à l'ordinaire, et
qui réfractait les rayons, et ne laissait passer que les
rouges.
M. Maret pense que ce brouillard devait son origine à l'humidité
de la terre, couverte d'une croûte très sèche
; que l'air, lors de son existence, était si sec, qu'il était
devenu isolant, et non conducteur de la matière électrique,
et que l'intensité de la chaleur avait multiplié les
émanations terrestres. Celles-ci, dit-il, principalement
composées d'eau et de matière électrique, faisaient
effort pour s'élancer dans l'atmosphère ; et gênée
par la sécheresse de la croûte extérieure, elles
n'y pénétraient qu'extrêmement divisées,
atténuées. Leurs molécules aqueuses, très
raréfiées par la chaleur, combinées avec beaucoup
de matière électrique, que l'air isolant ne pouvait
pas leur enlever, formant des vésicules, et ayant acquis
de la légèreté, s'élevaient à
une hauteur moyenne dans l'air, où elles restaient suspendues,
troublaient la diaphanéité de ce fluide, et composaient
le brouillard observé en juin. Mém. de l'acad.
de Dijon.
Un habile physicien d'Italie, M. Castelli, tire l'origine des météores
extraordinaires de 1783, premièrement du défaut de
pluie, qui a eu lieu pendant plusieurs mois avant leur apparition.
Les pluies étant un excellent conducteur du fluide électrique,
propre à transmettre son excès, et à rétablir
l'équilibre, ce fluide, concentré dans le sein de
la terre, s'est enfin formé une issue. Il la tire, secondement,
de la grande quantité de neiges qui ont couvert les montagnes,
et se sont fondues beaucoup plus tard qu'à l'ordinaire.
Quant à nous, nous pensons que, pendant l'année 1783,
il y a eu dans le sein de la terre une grande surabondance de fluide
électrique, comme il arrive quelquefois par un concours de
certaines circonstances. Si cette quantité considérable
de matière électrique n'avait pu se faire jour à
la surface du globe, il y aurait eu des bouleversements plus nombreux.
Mais le fluide électrique s'étant dissipé de
différentes manières, soit par des tremblements de
terre locaux, soit par quelques éruptions volcaniques, il
a d'abord entraîné les vapeurs aqueuses ; ensuite il
a emporté, après l'évaporation des vapeurs,
qui ont successivement diminué par une prompte et abondante
dissipation ; ensuite, dis-je, il a emporté les exhalaisons
terrestres, qui ont formé ces brouillards extraordinaires
; de sorte que, dans notre sentiment, les tremblements de terre
de la Calabre et de la Sicile ne sont pas les causes de ce brouillard,
mais sont, comme le brouillard, des effets produits par le même
principe, je veux dire par la surabondance du fluide électrique
concentré dans la terre à différentes époques,
et se faisant jour â la surface plus ou moins facilement,
selon la diversité des circonstances locales.
On peut prouver, par l'observation, tous les points fur lesquels
porte cette explication. Premièrement , pendant toute cette
année, le fluide électrique a été très
abondant dans la terre, ou dans l'atmosphère ; la rupture
de l'équilibre électrique a été très
fréquente et fort considérable. Dans l'Italie, il
y a eu des orages terribles, à Vicence, à Padoue,
à Naples, etc., la foudre est tombée plusieurs fois,
et en un assez grand nombre d'endroits, au rapport de MM. Landriani,
Arnolsini, Toaldo, Schintz, Daquin, etc. Nous ne parlons pas ici
des tremblements de terre qu'ont éprouvés la Sicile
et la Calabre. II en a été de même de la Hongrie.
Après des tremblements de terre, la ville de Kiemnitz a été
incendiée par la foudre. A Genève, les orages ont
été très fréquents, et jamais, dit un
observateur, on n'y a observé des orages aussi longs, aussi
nombreux, et aussi effrayants. II paraît que les plus violents
orages se sont rencontrés dans le moment où l'intensité
de la vapeur était la plus grande, en particulier le 12 juillet,
pendant laquelle, depuis minuit et demie jusqu'à quatre heures
et demie, le ciel paraissait en feu, par la succession rapide et
continuelle de mille éclairs, et un fracas horrible faisait
retentir une suite non interrompue d'éclats de tonnerre,
qui recommencèrent à sept heures du matin, pour dûrer
encore jusqu'à huit. On observa dans la ville des traces
de huit tonnerres, qui avoient frappé des bâtiments
; et à la campagne des environs, il y eut mille accidents
funestes pendant cette nuit désastreuse.
II en a été de même en France. Je ne parlerai
ici en détail que d'une province où j'ai eu occasion
d'être plus instruit des ravages de la foudre. Elle est tombée
trois fois dans la ville, près de l'église des pénitents
noirs, et fur l'abbaye du Saint-Esprit, le 10 septembre, à
quatre heures et trois quarts du matin ; elle mit alors le feu à
un rideau de lit, et brisa les colonnes de cinq lits. Elle exerça
aussi ses ravages dans les environs de la ville de Béziers.
A l'endroit appelé la Galinière, à une demi-lieue,
des murs furent abattus. A Lieuran-Ribaute, plusieurs arbres furent
fendus, et la girouette du clocher enlevée par un coup de
foudre. Au village de Puisserie, plusieurs animaux furent foudroyés.
A Pézenas, le 10 septembre, la foudre tomba à six
heures du matin. À Lavagnac, qui est à une lieue de
cette dernière ville, elle mit le feu à un grenier
à foin. A Cette, le tonnerre se fit beaucoup entendre, de
même qu'à Carcassonne. A Toulouse, la foudre tomba
sur la cathédrale, etc. Il serait trop long de continuer
le détail des ravages de la foudre dans tout le Languedoc,
et dans les autres provinces de France : nous nous contenterons
de dire qu'en Provence, au rapport de M. de Lamanon, le tonnerre
tua plus de soixante personnes, et nombre d'animaux ; et que, dans
les divers royaumes de l'Europe, où ce brouillard se montra,
les foudres y furent plus fréquentes que dans les autres
années. On sait qu'une nouvelle île se montra dans
le voisinage de l'Islande. Tous ces effets annoncent une grande
et puissante rupture d'équilibre électrique.
Avant l'apparition de ce singulier brouillard, les vapeurs furent
élevées dans l'atmosphère, parce que le fluide
électrique, en s'échappant, entraîne avec lui
les parties aqueuses qu'il rencontre dans son chemin, ainsi que
nous l'avons prouvé précédemment, en traitant
de l'élévation des vapeurs. Après la dissipation
des vapeurs, ce fluide a dû entraîner une grande quantité
d'exhalaisons terrestres, dont le nombre l'emportait de beaucoup
sur celle des vapeurs proprement dites : aussi a-t-on observé
que ce brouillard sec ne faisait pas marcher à l'humide l'hygromètre.
Ces vapeurs étaient si élevées, que les vents
ne dissipaient pas ces brouillards ; et que M. de Lamanon, étant
sur les Alpes, à mille six cent soixante toises au-dessus
du niveau de la mer , a vu ce brouillard encore plus élevé.
Si le fluide électrique, surabondant dans la terre, n'avoit
pas trouvé des issues faciles, où sa quantité
avoit été partout trèsconsidérable,
eu égard aux circonstances locales, il est certain qu'il
y aurait eu, dans un grand nombre de lieux en Europe, des secousses
et des bouleversements, parce que le propre du fluide électrique
est de rétablir son équilibre rompu, ou insensiblement,
ou par de violentes éruptions, selon les circonstances. L'existence
de ce trouble d'équilibre, pendant une partie de cette année,
est prouvée par les oscillations fréquentes, brusques
et rapides qu'on a observées dans le mercure du baromètre.
Le sentiment que je viens d'exposer, en dernier lieu, me paraît
plus simple et plus naturel que celui qui attribue le brouillard
de 1783 aux exhalaisons élevées par le tremblement
de terre de la Calabre et de la Sicile, que les vents ont transportées
en divers lieux ; car on concevra difficilement que cette cause
ait pu les répandre uniformément dans toute l'Europe,
les vents n'ayant eu ni assez de force, ni la même direction
dans tout cet espace du globe pour les distribuer ainsi. De plus,
comme on l'a remarqué, ce brouillard a paru le même
jour, le 18 juin, dans toute l'Europe ; et les distances de tant
de lieux aussi éloignés les uns des autres étant
si considérables, il n'est pas possible que les vents aient
apporté ces exhalaisons en même temps dans les lieux
aussi éloignés de la Sicile et de la Calabre, que
la plupart de ceux où on a aperçu le soleil au travers
de ce brouillard ; car tout transport local est successif, et exige
plus de temps pour des endroits éloignés, que pour
ceux qui sont proches. D'un autre côté, les observations
qu'on a faites sur la nature de ce brouillard sec, et qui a également
paru en même temps dans les contrées méridionales,
où la sécheresse régnait depuis longtemps,
ces observations montrent qu'on ne peut guère regarder les
pluies comme l'origine de ce singulier brouillard, qui était
plutôt composé d'exhalaisons que de vapeurs, ainsi
que son odeur sulfureuse, et ses autres propriétés
l'annonçaient.
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