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Le brouillard de 1783

 

     
L'éruption du volcan islandais Laki, en juin 1783, répandit sur l'Europe un épais brouillard qui terrorisa les populations -qui y voyaient un signe avant-coureur de la fin du monde- et amena les savants à s'interroger sur les causes de ce phénomène météorologique.    

 

Encyclopédie méthodique, Dictionnaire de Physique, par MM. Monge, Cassini, Bertholon, etc., Paris, 1793, pages 232-236 :

   
 

Le brouillard extraordinaire qui parut dès le milieu de juin 1783, et servit de rideau pendant plusieurs mois à presque toute l'Europe, a trop excité la curiosité générale et l'attention des observateurs, par les phénomènes qu'il a présentés, pour n'en pas parler ici avec quelque détail. La première époque de son apparition, dans les différentes contrées où il a été vu, est celle du 18 juin. Plusieurs orages en avoient été, ce semble, les précurseurs, comme ils en furent la suite, ainsi qu'on le prouvera. Ce jour là on remarqua un brouillard léger, répandu dans toute l'atmosphère, au travers duquel on aperçut néanmoins le soleil, quoique très pâle. On put généralement partout fixer le soleil, sans être obligé de se servir de verres colorés ou enfumés, et l'action de ses rayons était si faible qu'on n'en était point incommodé.
Les diverses couleurs, sous lesquelles l'astre du jour se montra, n'avaient rien de particulier, mais étaient une suite de la différente réfringence du brouillard, dont la densité variait accidentellement dans diverses contrées. Les rayons du soleil étant donc inégalement réfrangibles, ont dû pénétrer plus ou moins facilement le milieu qu'ils avoient à traverser, pour parvenir jusqu'à l'œil des observateurs : de là le soleil a dû paraître sous différentes couleurs ; mais comme, des sept espèces de rayons en lesquels la lumière est décomposée, les rouges, les orangers et les jaunes ont plus de force, ils passaient plus facilement au travers de ce nouveau milieu, c'est-à-dire du brouillard, et conséquemment le soleil ressemblait quelquefois à un globe d'un rouge de sang ; d'autrefois il paraissait d'une couleur jaunâtre et plus souvent il était pâle et blanchâtre par l'absence des rayons de différentes couleurs, qui ne parvenaient point jusqu'à nous ; phénomène qui avait communément lieu, lorsque le soleil était à une grande hauteur au dessus de l'horizon ; tandis qu'en s'approchant de ce cercle, soit à son lever, soit à son coucher, il ressemblait assez à un globe couleur de sang, ses rayons ayant alors à parcourir un plus grand espace horizontal.
Ce brouillard dura pendant plusieurs mois, et le soleil ne se montra alors qu'avec les apparences dont nous venons de parler. La durée et: l'universalité de ce phénomène piquèrent doublement la curiosité des savants, et les excitèrent à en rechercher les causes : nous ferons bientôt mention de leurs efforts. Mais avant que d'en parler, il est à propos de dire un mot des observations météorologiques faites avant l'apparition de ce météore.
L'automne précédente avait été très froide et très humide ; la température de l'hiver fut humide, et le printemps froid et assez humide. Au lieu de trois ou quatre pouces d'eau que fournissent ordinairement les trois mois d'hiver, le père Cotte a remarqué qu'il en était tombé douze pouces, tandis que dans les provinces méridionales on se plaignait d'une sécheresse depuis deux ans. La douceur extrême de l'hiver occasionna des fontes de neiges en Auvergne et ailleurs, qui ne contribuèrent pas peu à ces pluies abondantes et aux inondations qui en furent les suites.
Le 5 février précédent était survenu l'affreux tremblement de terre de la Calabre et de la Sicile, qui dura pendant cinq mois, puisque la terre n'était pas encore raffermie en juin. Des pluies continuelles précédèrent aussi, dans cette malheureuse contrée, cette violente convulsion de la nature. La terre les avait tellement absorbées, qu'elle n'en paraissait pas extérieurement détrempé, dit le père Cotte. L'atmosphère de l'Europe entière s'en ressentit, comme il conste par les oscillations brusques et fréquentes que le mercure éprouva dans le baromètre pendant tout le mois de février et celui de mars ; il faut excepter Padoue, et l'autre côté de l'Apennin. La secousse de ce tremblement de terre fut si grande, qu'elle donna lieu à l'apparition d'une nouvelle île dans le voisinage de l'Islande. Observat.sur la phys. l'hist. nat. 1783.
Ce brouillard singulier ne faisait point entrer les sels en déliquescence, ni monter l'hygromètre ; il n'empêchait pas l'évaporation d'être abondante et ne ternissait pas même les glaces qui y étoient exposées. Les salines d'Hyères en Provence, au rapport de M. de Lamanon, cristallisèrent, par l'effet du brouillard, quinze jours plus tôt qu'à l'ordinaire. J'ajouterai ici en passant que l'électricité accélère la cristallisation, comme nous le prouverons bientôt.
L'odeur de ce brouillard a été quelquefois sulfureuse. Le 16, le 17 et le 18 juin, au rapport de M. Marcorelle, ce brouillard déposa dans la nuit, fur les végétaux, une eau épaisse et gluante, d'un goût désagréable et un peu fétide. Cette liqueur laissa des traces de la plus grande causticicé. Les fleurs dont la vigne et les oliviers des environs de Narbonne étaient chargés, furent brûlées et tombèrent en grande partie. Dans d'autres endroits , on a observé que ce brouillard avait mûri les blés et favorisé les moissons, comme le font les météores électriques. Voyez cette vérité prouvée dans l'Electricité des Végétaux.
Afin de juger de la qualité de ce brouillard extraordinaire , plusieurs physiciens ont entrepris des expériences. De celles que M. Maret a faites comparativement avec de l'air atmosphérique chargé de ces vapeurs, pris en quatre endroits différents, il résulte que cet air ne contenait point d'acide méphitique, ni aucun autre acide, ni de phlogistique libre, et qu'enfin il ne différait presque pas de l'air atmosphérique ordinaire. On a tenté à Grenoble des expériences de ce genre. Quatre mesures de brouillard ayant été mêlées avec deux mesures d'air nitreux, l'absorption a été d'un quart, et il ne resta plus qu'un gaz dans lequel la lumière s'éteignit plusieurs fois : ( L'air atmosphérique tient ordinairement un quart d'air pur, et trois quarts d'air méphitique ou phlogistiqué ; ce quart fut absorbé par l'air nitreux.) L'air inflammable mêlé avec l'air des brouillards ne l'a point empêché de détonner, lorsqu'on a présenté une bougie allumée.
Quelque extraordinaire qu'ait paru ce brouillard, il n'est pas un phénomène unique, on en a vu autrefois de semblables. L'année de la mort de César le soleil fut obscurci, et ne donna pendant plusieurs mois qu'une lumière pâle et languissante ; il parut rouge et environné de couronnes. L'an 164 de l'Ere chrétienne, il y eut tremblement de terre et ténèbres pendant plusieurs jours, etc.
A peine ce singulier météore parut-il, qu'on fut curieux d'en connaître la cause. Il est peu de phénomènes fur lesquels on se soit plus exercé. Quelques personnes peu instruites attribuèrent la cause de ces brouillards à l'apparition d'une comète, et d'autres à la perturbation du cours des planètes, occasionnée, disait-on, par la nouvelle planète Herschel.
Mais le premier savant qui paraît avoir écrit sur le brouillard sec de l'année 1783 est M. Lapi, lecteur en botanique. Il lut le résultat de ses recherches dans une assemblée de l'Académie des Georgiphiles de Florence. Cet auteur regarde les éruptions des volcans comme les causes qui remplirent l'atmosphère d'air fixe, d'air inflammable, d'air déphlogistiqué, sec. Les éruptions des volcans, les tremblements de terre, l'électricité excitée, les désastres de la Calabre et d'autres endroits du globe, sont les principales causes auxquelles M. Lapi attribue la formation des brouillards dont nous parlons. Les sels, les soufres, les bitumes qui s'élèvent, le feu électrique qui se réveille, l'air fixe, phlogistiqué, inflammable, dont le développement se fait en pareilles circonstances, rendent raison suivant ce physicien de la prodigieuse fertilité qui eut lieu cette année. Dès le mois de juillet 1783 , Dom Robert Hickmann disait : c'est à ces bouleversements (volcaniques) de l'Islande et des pays voisins que j'attribue ce brouillard sec et sulfureux. Sulla Caligine, & Florence , &c.
M. Toaldo pensait, dès le 11 juillet 1783 , que les vapeurs qui ont causé le phénomène dont nous venons d'exposer les circonstances, étaient venues de la Sicile et de la Calabre, où il y avait des tremblements de terre depuis le 5 février. On a su qu'au mois de juin, on y avait vu, après de violentes secousses, des exhalaisons immenses dans l'atmosphère. Le vent de sud-sud-est, qui dominait à Padoue, passait sur la Calabre, et pouvait apporter cette masse d'exhalaisons, ou, pour mieux dire, cette espèce de poussière qui a couvert toute l'Italie, et partie de l'Allemagne, mais qui , arrêtée principalement par la chaîne des Alpes, faisait paraître ces montagnes rouges à tous les habitants de la Lombardie. Ces exhalaisons, selon ce savant, ne venaient point généralement des terres où le phénomène était observé : car on ne les voyait point fumer comme dans les brouillards ordinaires. C'étaient au contraire des vapeurs élevées et venues d'en-haut, comme si elles étaient tombées dans l'atmosphère ; elles ne paraissaient pas toucher la terre : aussi ne firent-elles point de tort aux productions ; seulement, dans les collines élevées, on a dit que les vignes et les oliviers avaient été brûlés.
Cette exhalaison n'a pu venir des tremblements de terre, sans contenir des parties minérales ignées, inflammables, et électriques : par-là , M. l'abbé Toaldo explique une prodigieuse quantité d'orages qu'il y eut, surtout après le milieu du mois, et même sans nuage, comme on l'a observé, sur les montagnes. Ces orages furent très considérables et très multipliés en beaucoup d'endroits, particulièrement en Italie et en Allemagne : par exemple , dans la ville de Kremnitz, en Hongrie , il y eut neuf coups de tonnerre, qui produisirent un incendie, et il y eut des tremblements de terre dans le pays ; en Calabre, toutes les grandes secousses ont été accompagnées de terribles orages, et de vapeurs sèches, obscures, et semblables à celle qui a couvert toute l'Europe. Osservazioni meteorolog., etc..,
M l'abbé Spallanzani , qui a fait aussi à Reggio plusieurs observations sur le même brouillard, lequel commença, dès le milieu de juin, d'obscurcir l'air en Lombardie ; et sur l'orage du 26 juin, qui s'étendit jusqu'à la mer Adriatique, M. l'abbé Spallanzani n'est pas éloigné de croire, avec M. Toaldo, que ce brouillard venait du tremblement de terre de la Calabre. Cependant il observe que le vent venait du couchant, lorsque le brouillard était le plus épais dans la Lombardie. II a examiné au microscope les molécules de cette vapeur, et leur a trouvé la figure irrégulière des exhalaisons terrestres, et il l'a vue même quelquefois sortir de la terre ; ce qui semble à M. de Lalande justifier l'hypothèse qu'il proposa dès 1784, pour l'explication de ce phénomène singulier, tirée de la grande chaleur qui suivit de près des pluies très longues et très étendues dans presque toute l'Europe. On sait que cet habile astronome a attribue ces brouillards à la grande humidité de l'hiver, et à la quantité de matière électrique que la chaleur a développée du sein de la terre, sans avoir recours à l'effet des tremblements de terre.
M. Joseph Daquin pense aussi que le tremblement de terre de Messine et de la Calabre a été la cause du brouillard extraordinaire de 1783. Cet excellent médecin, qui a enrichi de plusieurs notes savantes l'essai météréologique de M. l'abbé Toaldo, croit que les exhalaisons, sorties du sein de la terre dans un bouleversement si terrible, ont changé la constitution de l'atmosphère, par le mélange des diverses substances qui s'y sont introduites. D'après cette idée, il regarde ces brouillards comme la principale cause des fièvres intermittentes et continues rémittentes bilieuses qui ont régné épidémiquement dans plusieurs endroits pendant le courant de l'été et de l'automne de la même année. Essai météorolog. sur la véritable influence, etc.
Les brouillards dont nous parlons, selon le P. Cotte, n
e sont qu'une suite naturelle de la grande humidité qui a occasionné le tremblement de terre de Messine, et de la secousse qu'a reçu le globe, et qui s'est manifestée par les phénomènes qu'on a observés en différents pays. Je m'explique : c'est ce savant qui parle : j'ai dit que nous avions eu des brouillards humides et froids du 18 au 24 juin, et des brouillards secs et chauds du 24 juin au 21 juillet. Je ferai observer que le soleil étant à cette époque à sa plus grande hauteur, il avait aussi plus de force pour pomper les vapeurs dont la terre était imbibée à la suite des pluies et des inondations de l'hiver et du printemps. Cette première action ou évaporation du soleil a dû refroidir l'atmosphère, par la quantité des vapeurs aqueuses qui s'y sont élevées, de la même manière qu'il agit entre les tropiques dans le temps où il est le plus vertical : il se forme alors une espèce de brouillard, ou de rideau de vapeurs, qui dérobe le soleil à la vue des habitants, et qui tempère beaucoup sa grande ardeur. Cette première action du soleil a dû aussi dessécher la terre, y occasionner des fentes, des gerçures, qui ont laissé échapper des exhalaisons sulfureufes et pyriteuses, la matière électrique mise en mouvement par les violentes secousses que la terre avait éprouvées. De-là, continue le P. Cotte, ces brouillards secs et chauds qui ont succédé aux brouillards froids et humides ; de-là cette espèce de fumée, composée d'exhalaisons et du fluide électrique, qui ont occasionné des orages dans presque toute l'Europe, et même des tremblements de terre dans les pays voisins des montagnes, qui sont comme le foyer de ces exhalaisons, et de la matière électrique, attendu la quantité de minéraux et de pyrites qui s'y trouvent renfermés ; de-là aussi cette chaleur excessive, qui a été la suite de ces brouillards secs et électriques ; de-là cette couleur rouge du soleil, et l'augmentation apparente de son disque, aperçu à travers un milieu beaucoup plus dense qu'à l'ordinaire, et qui réfractait les rayons, et ne laissait passer que les rouges.
M. Maret pense que ce brouillard devait son origine à l'humidité de la terre, couverte d'une croûte très sèche ; que l'air, lors de son existence, était si sec, qu'il était devenu isolant, et non conducteur de la matière électrique, et que l'intensité de la chaleur avait multiplié les émanations terrestres. Celles-ci, dit-il, principalement composées d'eau et de matière électrique, faisaient effort pour s'élancer dans l'atmosphère ; et gênée par la sécheresse de la croûte extérieure, elles n'y pénétraient qu'extrêmement divisées, atténuées. Leurs molécules aqueuses, très raréfiées par la chaleur, combinées avec beaucoup de matière électrique, que l'air isolant ne pouvait pas leur enlever, formant des vésicules, et ayant acquis de la légèreté, s'élevaient à une hauteur moyenne dans l'air, où elles restaient suspendues, troublaient la diaphanéité de ce fluide, et composaient le brouillard observé en juin. Mém. de l'acad. de Dijon.
Un habile physicien d'Italie, M. Castelli, tire l'origine des météores extraordinaires de 1783, premièrement du défaut de pluie, qui a eu lieu pendant plusieurs mois avant leur apparition. Les pluies étant un excellent conducteur du fluide électrique, propre à transmettre son excès, et à rétablir l'équilibre, ce fluide, concentré dans le sein de la terre, s'est enfin formé une issue. Il la tire, secondement, de la grande quantité de neiges qui ont couvert les montagnes, et se sont fondues beaucoup plus tard qu'à l'ordinaire.
Quant à nous, nous pensons que, pendant l'année 1783, il y a eu dans le sein de la terre une grande surabondance de fluide électrique, comme il arrive quelquefois par un concours de certaines circonstances. Si cette quantité considérable de matière électrique n'avait pu se faire jour à la surface du globe, il y aurait eu des bouleversements plus nombreux. Mais le fluide électrique s'étant dissipé de différentes manières, soit par des tremblements de terre locaux, soit par quelques éruptions volcaniques, il a d'abord entraîné les vapeurs aqueuses ; ensuite il a emporté, après l'évaporation des vapeurs, qui ont successivement diminué par une prompte et abondante dissipation ; ensuite, dis-je, il a emporté les exhalaisons terrestres, qui ont formé ces brouillards extraordinaires ; de sorte que, dans notre sentiment, les tremblements de terre de la Calabre et de la Sicile ne sont pas les causes de ce brouillard, mais sont, comme le brouillard, des effets produits par le même principe, je veux dire par la surabondance du fluide électrique concentré dans la terre à différentes époques, et se faisant jour â la surface plus ou moins facilement, selon la diversité des circonstances locales.
On peut prouver, par l'observation, tous les points fur lesquels porte cette explication. Premièrement , pendant toute cette année, le fluide électrique a été très abondant dans la terre, ou dans l'atmosphère ; la rupture de l'équilibre électrique a été très fréquente et fort considérable. Dans l'Italie, il y a eu des orages terribles, à Vicence, à Padoue, à Naples, etc., la foudre est tombée plusieurs fois, et en un assez grand nombre d'endroits, au rapport de MM. Landriani, Arnolsini, Toaldo, Schintz, Daquin, etc. Nous ne parlons pas ici des tremblements de terre qu'ont éprouvés la Sicile et la Calabre. II en a été de même de la Hongrie. Après des tremblements de terre, la ville de Kiemnitz a été incendiée par la foudre. A Genève, les orages ont été très fréquents, et jamais, dit un observateur, on n'y a observé des orages aussi longs, aussi nombreux, et aussi effrayants. II paraît que les plus violents orages se sont rencontrés dans le moment où l'intensité de la vapeur était la plus grande, en particulier le 12 juillet, pendant laquelle, depuis minuit et demie jusqu'à quatre heures et demie, le ciel paraissait en feu, par la succession rapide et continuelle de mille éclairs, et un fracas horrible faisait retentir une suite non interrompue d'éclats de tonnerre, qui recommencèrent à sept heures du matin, pour dûrer encore jusqu'à huit. On observa dans la ville des traces de huit tonnerres, qui avoient frappé des bâtiments ; et à la campagne des environs, il y eut mille accidents funestes pendant cette nuit désastreuse.
II en a été de même en France. Je ne parlerai ici en détail que d'une province où j'ai eu occasion d'être plus instruit des ravages de la foudre. Elle est tombée trois fois dans la ville, près de l'église des pénitents noirs, et fur l'abbaye du Saint-Esprit, le 10 septembre, à quatre heures et trois quarts du matin ; elle mit alors le feu à un rideau de lit, et brisa les colonnes de cinq lits. Elle exerça aussi ses ravages dans les environs de la ville de Béziers. A l'endroit appelé la Galinière, à une demi-lieue, des murs furent abattus. A Lieuran-Ribaute, plusieurs arbres furent fendus, et la girouette du clocher enlevée par un coup de foudre. Au village de Puisserie, plusieurs animaux furent foudroyés. A Pézenas, le 10 septembre, la foudre tomba à six heures du matin. À Lavagnac, qui est à une lieue de cette dernière ville, elle mit le feu à un grenier à foin. A Cette, le tonnerre se fit beaucoup entendre, de même qu'à Carcassonne. A Toulouse, la foudre tomba sur la cathédrale, etc. Il serait trop long de continuer le détail des ravages de la foudre dans tout le Languedoc, et dans les autres provinces de France : nous nous contenterons de dire qu'en Provence, au rapport de M. de Lamanon, le tonnerre tua plus de soixante personnes, et nombre d'animaux ; et que, dans les divers royaumes de l'Europe, où ce brouillard se montra, les foudres y furent plus fréquentes que dans les autres années. On sait qu'une nouvelle île se montra dans le voisinage de l'Islande. Tous ces effets annoncent une grande et puissante rupture d'équilibre électrique.
Avant l'apparition de ce singulier brouillard, les vapeurs furent élevées dans l'atmosphère, parce que le fluide électrique, en s'échappant, entraîne avec lui les parties aqueuses qu'il rencontre dans son chemin, ainsi que nous l'avons prouvé précédemment, en traitant de l'élévation des vapeurs. Après la dissipation des vapeurs, ce fluide a dû entraîner une grande quantité d'exhalaisons terrestres, dont le nombre l'emportait de beaucoup sur celle des vapeurs proprement dites : aussi a-t-on observé que ce brouillard sec ne faisait pas marcher à l'humide l'hygromètre. Ces vapeurs étaient si élevées, que les vents ne dissipaient pas ces brouillards ; et que M. de Lamanon, étant sur les Alpes, à mille six cent soixante toises au-dessus du niveau de la mer , a vu ce brouillard encore plus élevé.
Si le fluide électrique, surabondant dans la terre, n'avoit pas trouvé des issues faciles, où sa quantité avoit été partout trèsconsidérable, eu égard aux circonstances locales, il est certain qu'il y aurait eu, dans un grand nombre de lieux en Europe, des secousses et des bouleversements, parce que le propre du fluide électrique est de rétablir son équilibre rompu, ou insensiblement, ou par de violentes éruptions, selon les circonstances. L'existence de ce trouble d'équilibre, pendant une partie de cette année, est prouvée par les oscillations fréquentes, brusques et rapides qu'on a observées dans le mercure du baromètre.
Le sentiment que je viens d'exposer, en dernier lieu, me paraît plus simple et plus naturel que celui qui attribue le brouillard de 1783 aux exhalaisons élevées par le tremblement de terre de la Calabre et de la Sicile, que les vents ont transportées en divers lieux ; car on concevra difficilement que cette cause ait pu les répandre uniformément dans toute l'Europe, les vents n'ayant eu ni assez de force, ni la même direction dans tout cet espace du globe pour les distribuer ainsi. De plus, comme on l'a remarqué, ce brouillard a paru le même jour, le 18 juin, dans toute l'Europe ; et les distances de tant de lieux aussi éloignés les uns des autres étant si considérables, il n'est pas possible que les vents aient apporté ces exhalaisons en même temps dans les lieux aussi éloignés de la Sicile et de la Calabre, que la plupart de ceux où on a aperçu le soleil au travers de ce brouillard ; car tout transport local est successif, et exige plus de temps pour des endroits éloignés, que pour ceux qui sont proches. D'un autre côté, les observations qu'on a faites sur la nature de ce brouillard sec, et qui a également paru en même temps dans les contrées méridionales, où la sécheresse régnait depuis longtemps, ces observations montrent qu'on ne peut guère regarder les pluies comme l'origine de ce singulier brouillard, qui était plutôt composé d'exhalaisons que de vapeurs, ainsi que son odeur sulfureuse, et ses autres propriétés l'annonçaient.


     

 

 

 

     

 

 

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