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WATERLOO.
18 juin 1815.
- L’armée anglaise, commandée par lord Wellington,
et l’armée prussienne par le maréchal Blücher,
s'étaient séparées après la déroute
de Fleurus. La première se porta sur Genappes, et fut repoussée
par nos cuirassiers jusqu’à l’entrée de la forêt
de Soignies : c’est là qu'elle prit sa position, protégeant
son centre par le village de Mont-Saint-Jean, étendant son
aile droite derrière un ravin près de Merck-Braine,
et sa gauche couverte également par un ravin près
la ferme de Ter-la-Haie. Le village de Waterloo était en
face de sa ligne. C'est dans cette position avantageuse qu'elle
attendait l'armée française.
Nos troupes, animées par les succès qu'elles venaient
de remporter, arrivaient avec la plus grande diligence. Napoléon
établit son quartier-général à la ferme
de Caillou, près Planchenois, et fit ses dispositions pour
donner la bataille. Il forma son armée sur un rideau opposé
à la position de Mont-Saint-Jean. Le premier corps, commandé
par le comte d'Erlon, occupa le centre, sa gauche appuyée
sur la route de Bruxelles; le deuxième corps, sous les ordres
du comte Reille, s'opposant à la droite de l'armée
anglaise, fut placé à la gauche entre les deux routes
de Bruxelles et de Nivelles, communiquant par sa droite avec le
premier corps ; les cuirassiers furent placés en réserve
derrière, et la garde en réserve sur les hauteurs.
Une partie du sixième corps, commandé par le comte
Lobau, forma l'aile droite ; l'autre partie resta en arrière
pour observer les Prussiens qui, sous les ordres de Bulow, semblaient
prendre cette direction.
Par ces dispositions, l'armée française présentait
un front parallèle à celui des Anglais. La pluie,
qui tombait par torrents depuis près d'un jour, suspendit
l'ardeur des soldats, qui, des deux côtés, brûlaient
d'en venir aux mains. Les forces n'étaient pas égales :
l'armée anglaise montait à quatre-vingt-dix mille
hommes, et la nôtre n'en comptait pas plus de soixante à
soixante-dix mille.
Enfin, vers les onze heures du matin, le temps s’éclaircit,
la pluie cesse, et la canonnade commence du côté de
l'armée française ; aussitôt un grand nombre
de tirailleurs s'en détachent. La division du prince Jérôme
s'ébranle et se porte la première en avant ;
elle assaille un bois dont l'ennemi occupait une partie, et le château
d'Hougoumont. Trente pièces de canon soutinrent par un feu
vif et pressé les troupes qui défendaient la ferme
et le bois : le bois fut emporté et occupé par les
troupes de Reille ; mais la ferme fit une résistance
longue et opiniâtre ; les combattants de part et d'autre
y firent les plus grands efforts ; les attaques s'y succédaient
avec la plus grande rapidité. La position enfin fut emportée
par nos obusiers, et occupée par la division du prince Jérôme.
Cependant la bataille s'était engagée sur toute la
ligne ; une artillerie nombreuse foudroyait de tous côtés
les colonnes d'attaque. Napoléon porta alors tous ses efforts
sur le centre ; le comte d’Erlon attaqua le village de Mont-Saint-Jean,
et une brigade de sa division s'avança avec la plus grande
impétuosité contre les forces anglaises, qui, ne pouvant
résister à la vivacité de cette attaque, reculent
et abandonnent le sommet de leur position et quelques pièces.
Dans ce moment l'artillerie anglaise se dirige sur une seconde brigade
du comte d‘Erlon et y fait un grand ravage, tandis qu'une division
de cavalerie ennemie chargea sa batterie par la droite et démonta
quelques canons. Aussitôt s'ébranlent les cuirassiers
du général Milhaud ; ils tombent sur cette division,
l'enfoncent, la dispersent et l’anéantissent en un moment.
Napoléon, voyant le premier corps déjà en avant,
le fait remplacer dans sa position par la garde, au milieu de la
plaine. On vit alors s'engager près du Mont-Saint-Jean la
charge de cavalerie la plus brillante, exécutée par
les cuirassiers et les lanciers, suivis par plusieurs régiments :
ils fondent ensemble sur l'infanterie,sur les batteries, sur les
nombreux escadrons anglais, promènent le désordre,
les ravages et la mort.
Aussitôt, emportés par une vivacité subite,
dans l'impatience de la victoire, se précipitent les escadrons
français qui étaient en réserve, ils couronnent
les hauteurs du Mont-Saint-Jean et tombent sur l'infanterie ennemie.
Ce mouvement inopiné, et opéré sans ordre exprès,
qui, fait à temps, devait décider la victoire, devint
funeste et causa peut-être la perte de la bataille ;
car, comme il était impossible de les rappeler, et que seuls
ils affrontaient toutes les masses d'infanterie et de cavalerie
de l'ennemi et leurs nombreuses batteries, toute la cavalerie française
se mit en marche et donna de tous côtés pour les soutenir.
Ainsi la partie du sixième corps, qui était destinée
à maintenir les Prussiens se trouva dépourvue de cavalerie ;
et Wellington avait conservé sa réserve intacte, tandis
que la nôtre était occupée au centre de la bataille.
Dans le même moment, les avant-gardes de la division prussienne
de Bulow débouchèrent sur son flanc droit, et s'engagèrent
avec le corps du comte Lobau ; la division prussienne s'étendit
tout entière jusqu'à Planchenois, voulant par cette
manœuvre arriver sur les derrières de l'armée française.
Napoléon, à la nouvelle de son arrivée, se
refusa plusieurs fois à envoyer du secours au sixième
corps, persuadé que c'était le maréchal Grouchy,
à qui il avait donné l'ordre de se rapprocher. Mais
le maréchal, qui avait suivi les Prussiens jusqu'à
Wavres, et combattu le corps d'armée de Thielmann, retenu
par des chemins impraticables, ignorait le mouvement de Blücher
pour se rapprocher des Anglais, et n'avait reçu que très
tard les ordres de Napoléon.
Lorsqu'il fut reconnu que l'armée prussienne attaquait notre
flanc droit, Napoléon ralentit son mouvement sur le centre,
et envoya au comte Lobau le général Duhesme avec la
jeune garde et quelques batteries qui faisaient partie des réserves
d'infanterie. L'ennemi fut contenu et repoussé sur ce point.
Débarrassé des Prussiens pour quelque temps, Napoléon
voulut mettre à profit des instants si précieux ;
il tente un grand effort sur le centre ; infanterie, cavalerie,
artillerie, il dirige tout sur ce point ; fait avancer la moyenne
garde ; entouré de ses aides de camp, il se porte lui-même
en avant, et donne le signal de l’attaque. On combat partout avec
acharnement, le massacre est horrible ; la valeur devient désespoir,
mais on remarque dans les mouvements généraux de l'armée
anglaise un peu d'hésitation ; encore un effort et la
victoire est aux Français...
Tout-à-coup, sur les flancs de notre aile droite se précipite
toute l'armée prussienne ; nos troupes trop faibles
reculent ; pour les soutenir il faut diviser nos forces :
mais il reste encore une ressource, la vieille garde va finir de
renverser les Anglais, qui semblent se préparer à
la retraite. Elle s'avance inébranlable au milieu des désordres
et du trouble ; elle paraît calme, et par-là devient
plus terrible pour l'ennemi. La jeune garde cependant, envoyée
sur les plateaux au-delà du mont Saint-Jean, inquiétée
par des batteries anglaises, s'y porta pour les renverser. La nuit
commençait ; une charge de quelques escadrons ennemis
les mit en désordre ; ils fuient et entraînent
avec eux d'autres régiments qui, voyant reculer des troupes
de la garde, pensent que c'est la vieille garde et s’ébranlent ;
le mouvement se communique aussitôt aux régiments voisins;
Tout est perdu, s'écrie-t-on ; la garde est
repoussée, sauve qui peut. Ces cris répandent
une terreur subite dans les premiers rangs ; ils se décomposent,
tournent le dos à l'ennemi, poussent devant eux et rompent
les troupes qui s'avancent pour les soutenir.
Wellington s'aperçoit de cette déroute inattendue,
et s'étonne de voir fuir des vainqueurs ; cependant,
en général habile, il fait avancer toutes ses troupes,
lâche sa cavalerie dans la plaine, et foudroie avec ses nombreuses
batteries la vieille garde encore entière, et qui marchait
au pas de charge, la baïonnette en avant, pour ressaisir la
victoire. Les efforts de ces braves furent inutiles ; parmi
nos autres troupes tout est en désordre, cavalerie, infanterie,
artillerie, tout reflue vers les premières positions ;
tout se précipite à-la-fois à travers les caissons,
les bagages, les pièces de canon brisées, les monceaux
de morts entassés.
La garde seule, toujours intrépide, soutient encore et le
choc des fuyards, qui ne peut l'ébranler, et les efforts
de l'ennemi, qui ne peuvent l’effrayer. Elle s'avance toujours sans
se déployer ni tirer un seul coup de fusil. Mais pourra-t-elle
seule arrêter la marche de toute une armée qui se dirige
contre elle ? Elle recule enfin, entraînée par
la masse des Français, qui fuient précipitamment,
elle recule, mais malgré elle, mais en ordre, et semble,
par sa retraite lente et tranquille, regretter de n'avoir pas péri
avec tous les braves que la France a perdus dans cette fatale journée.
L’ennemi pressait vivement les derrières des débris
de notre armée, et chassait devant lui tout ce qui se trouvait
encore sur le champ de bataille. C'est sur ce champ de bataille
que succombèrent les premiers soldats de l’armée française :
au milieu de la déroute générale ils combattaient
encore ; les troupes ennemies leur proposent de se rendre :
La garde meurt, et ne se rend pas, s'écrie leur
brave chef, le général Cambronne, et il tombe avec
eux mortellement blessé.
Les Prussiens et les Anglais réunis poursuivent leurs succès
avec la plus grade activité. En vain plusieurs fois les restes
de notre armée essaient de se rallier. Enfin, par la marche
la plus savante, par une retraite qui égale toutes celles
qu'on admire justement jusqu'à ce jour, le maréchal
Grouchy conserve son corps d'armée tout entier, ramasse tous
les fuyards qui se trouvent sur son passage, traverse soixante lieues
de pays au milieu des armées anglaise et prussienne, et toujours
suivi par elles, sans leur donner prise, il ramène, au grand
étonnement de tous, quarante mille hommes de toutes armes
et en bon ordre sous les murs de Paris.
Tel fut le résultat de cette journée, qui devait décider
le destin de l'Europe ; des deux côtés on vit
jusqu'où peut aller le courage, lorsqu'il combat pour l'honneur
national ; mais combien les Français furent au-dessus
de leurs ennemis ; d'abord vainqueurs, ensuite vaincus par
la plus étrange révolution, ils furent plus grands,
ils s’acquirent plus de gloire par ce revers, que si la victoire
n'avait pas abandonné leurs drapeaux.
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