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Pontornini
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En
1914, un critique d'art, L. Dupuy, comparait le Pontorni avec une
gravure du général Bonaparte en 1796, et lui trouvait d'étranges
ressemblances. Je n'ai pas encore pu retrouver de quel gravure il
s'agissait, mais il pourrait s'agir de cette gravure anonyme gravée
à Milan en 1796, et que Dayot donne à la page 259 de son "Napoléon
par l'image".
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Si on la retourne, on trouve en effet
un portrait qui ressemble pas mal au Pontornini. Bien sûr, il s'agit
toujours du même personnage, et toute ressemblance, comme le dit la
formule consacrée, n'est pas due qu'au hasard. Quoiqu'il en soit,
on remarquera quand même que ces deux portraits sont censés avoir
été faits à 11, voire 13 ans de distance. |
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Un monde s'est écroulé, les modes
ont subi un changement sans précédent, et Bonaparte n'aurait pas
même changé sa coiffure.
Dans la "Revue de l'Art
ancien et moderne" du 10 mars 1914, L. Dupuy faisait paraître
un article qui démontait la supercherie :
"Mauvaise copie d'une gravure qui n'est elle-même qu'une
copie médiocre, il est, et ne peut être que le portrait de Bonaparte,
général en chef et vainqueur de l'Italie. Tout en donne la certitude,
et autant ce qui s'est perdu que ce qui s'est conservé du premier
modèle. Si la date manquait on n'hésiterait pas à la mettre, et
ce serait 1796 ou 1797, non 1783 ou 1785. Celle-ci est nécessairement
fausse, inscrite là pour donner au portrait une valeur de curiosité
qu'il est désormais impossible de lui reconnaître.
"S'est-on borné à ajouter une inscription fausse à un dessin
ancien? La copie a-t-elle été faite en même temps qu'elle a été
datée? Qui a trompé? Qui a-t-on trompé et quand ? A qui Pontornini,
s'il est l'auteur du dessin, ou même s'il a jamais existé,
a-t-il voulu faire croire qu'il était. l'ami de Bonaparte
en 1785 ? Quels faits concrets pouvaient servir de support
à cette supercherie? Personne ne le saura, mais personne n'a besoin
de le savoir. Il suffit d'être certain que, ni à Brienne, ni à Paris,
ni à Valence ou Tournon, Bonaparte n'a pu être dessiné d'après nature
tel que nous le voyons dans le dessin de la Malmaison. Il n'importe
pas davantage de chercher qui était ce Pontornini : ou son
nom est un faux ou lui-même est un faussaire.
" Il ne reste donc qu'à supprimer le dessin qui porte ce
nom. C'est assez qu'il ait bénéficié de dix-sept ans d'exposition
au Louvre et de seize ans à Versailles. Le crédit que lui ont valu
ces deux séjours dans les musées nationaux a beaucoup trop contribué
déjà à sa vulgarisation ; peu connu en réalité par lui-même, il
a agi par l'intermédiaire des artistes en servant de modèle à des
oeuvres d'art très répandues, où Bonaparte, pensionnaire ou officier
du roi, a complètement perdu, avec la coiffure de l'ancien régime,
l'aspect caractéristique que le spectateur le plus ignorant s'étonnerait,
au théâtre, de ne pas trouver dans un personnage d'une action du
XVIIIe siècle. Nous avons déjà vu que le sculpteur Rochet avait
fixé l'erreur dans le bronze; le peintre Flameng en a fait de même
sur la toile, dans son tableau : Bonaparte à Valence, qu'a reproduit
M. Dayot. " On retrouverait, sans aucun doute, beaucoup d'exemples
du même genre dans la foule innombrable des tableaux ou gravures
qu'inspire toujours Napoléon. Et les traits fixés par la sculpture
ou la peinture passent dans la littérature. Un jeune conseiller
de préfecture fait-il, au théâtre de Valence, une conférence sur
« Valence en 1785 et le lieutenant Bonaparte », il ne manque
pas de représenter celui-ci «le cou enveloppé par la haute cravate
tortillée, les tempes dissimulées par de longs cheveux plats et
retombants », sans se douter qu'une pareille coiffure aurait été
à la fois impossible et ridicule et qu'elle eût valu des arrêts
au lieutenant Bonaparte. Ainsi, dans cet amalgame d'à peu près et
d'erreurs que sont les notions historiques courantes, se pervertit,
par la vertu d'un faux et la tendance d'une légende, un élément
figuré qui, par sa nature même, devrait rester un point fixe de
vérité. Le Bonaparte perruqué et poudré d'ancien régime, celui dont
le père avait, pour le faire admettre à Brienne, fait preuve de
noblesse remontant à plus de deux cents ans, prend avant la Révolution
figure d'un personnage de la Révolution. La transformation répond
au sentiment obscur du grand public, qui ne voit que les masses,
cède à la violence des dates universellement connues, comme celle
de 1789, ignore et ne peut concevoir les transitions.
"Ainsi s'est accompli le phénomène de cristallisation légendaire
souhaité et prévu en 1853. Il s'est même fait plus complètement
qu'on ne pouvait le penser, lorsqu'on inscrivit officiellement la
date de 1785 sur l'étiquette du cadre. Valence et Paris ne sont
rien dans la légende populaire; Brienne, au contraire, y tient une
grande place, soit parce que Napoléon lui-même en a fait la patrie
de sa pensée, soit parce que le drame de la destinée l'a ramené
là à la veille du désastre final. Toujours est-il que l'aspect actuel
du 5 aidant, et bien que ni 1783, ni Brienne, ne puisse s'accorder
avec le nom de Tournon, compris dans l'inscription du dessin, c'est
cette date et c'est ce lieu qui ont été le plus souvent acceptés
par ceux qui ont reproduit le dessin. M. Chuquet, à ma connaissance,
est le seul qui en ait dit nettement : « Portrait de Napoléon, lieutenant
en second de La Fère ».
" Les autres, ou bien ont lu 1783, ou, tout en lisant 1785,
ont, comme M. de Beaudicourt, vu dans le portrait celui de l'écolier.
« M. Armand Dayot est le premier qui, en 1895, ait publié le
portrait Pontornini, dans son Napoléon raconté par l'image. Il l'a
donné comme un « portrait inédit de Bonaparte fait aux deux crayons
à Brienne, par un de ses condisciples ». Avait-il lu : 1783 ? Non,
puisqu'il ajoutait à la suscription du portrait la note suivante
: « Cet ouvrage était déjà composé, lorsqu'il nous a été permis
de voir ce profil de Bonaparte, exécuté à l'Ecole de Brienne par
un de ses condisciples. Cette très intéressante image peut être
considérée comme le premier portrait de Bonaparte fait d'après nature
Elle figura au Musée des Souverains et est aujourd'hui la propriété
de M. de Beaudicourt (sic). Sous ce portrait, on peut lire ces mots
écrits au crayon : Mio caro amico Buonaparte Pontornini, del 1785
Tournone. »
« Il est assez singulier que le portrait soit donné comme la
propriété de « M. de Beaudicourt » à une époque où il se trouvait
dans les réserves du Louvre, et où il n'avait pu être permis de
le voir que dans les réserves du Louvre. Il est bien plus surprenant
encore que ce biographe par l'image ne se soit pas avisé que la
date de 1785 excluait nécessairement le condisciple de Brienne,
puisque Bonaparte avait passé cette année soit à Paris, soit à Valence.
« C'est là un bel exemple de l'étourderie avec laquelle, sous prétexte
d'histoire et d'art, sont entrepris ces déballages d'images, accompagnés
d'un texte rédigé au petit bonheur, et qui pervertissent à la fois
le sens de l'art et celui de l'histoire.
« Naturellement, l'erreur mise en circulation par M. Dayot a
fait son chemin. Le photographe du Musée de Versailles n'était pas
tenu de savoir qu'en 1785 Bonaparte avait quitté Brienne; il a donc
inscrit sous son cliché que le portrait avait été fait à Brienne
par un camarade. De là l'indication est passée dans la collection
de cartes postales N D « Napoléon et son époque »; toutefois, on
a pris soin de rétablir l'accord entre le lieu et la date, en mettant
1783 au lieu de 1785, mais sans s'apercevoir que l'inscription disait
Tournon et non Brienne.
« Les biographes anglais et américains de Napoléon n'ont même pas
eu, le demi-scrupule de l'éditeur de cartes postales : ils ont bravement
copié M. Dayot jusqu'au bout. »
Où était le Pontornini à ce moment
là ? Il était à la Malmaison. Son conservateur, Jean Ajalbert l'avait
obtenu de haute lutte en 1912, pour ainsi dire arraché à Pierre
de Nolhac, conservateur de Versailles. Dans un livre de Souvenirs
qu'il a publiés (Dix années à la Malmaison, Flammarion 1920),
Ajalbert, qui raconte sa déconvenue lorsqu'il réalisa la fausseté
du Pontornini, proposait de conserver les objets litigieux
dans un cabinet à part. Ce serait en effet une bonne initiation
à la critique historique.
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