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ZENOVIETZ
( Georges), adjudant-commandant de l'état-major-général
de Napoléon, est né en Lithuanie, vers 1782. Quant
à l'origine de sa famille, nous empruntons ce qui a été
publié, à la fin de 1821 , par tous les journaux russes,
allemands et français, « La commission de la noblesse
nommée par ukase de l'empereur de Russie, a reconnu que la
maison Despote Zénovietz descendait du frère de l'empereur
d'Orient Zéno, autocrate de la Servie et de la Bosnie. Amurat
II ayant épousé la fille de cet autocrate chassa son
beau-père du pays et s'empara de ses états. La maison
Zénovietz prend toujours le titre de despote, (prince du
sang) qualité à laquelle la famille régnante
a seule des droits. Lors des malheurs de l'empire d'Orient en 1453,
cette famille suivie de 600 cavaliers vint s'établir en Lithuanie,
où elle apporta de grandes richesses. Le prince de Witold,
souverain de ce pays lui accorda 50 mille carrés de terre
et de grands privilèges ; enfin les descendants de cette
famille devenus Polonais se sont toujours distingués par
leur patriotisme et ont longtemps fait la guerre pour leur nouvelle
patrie avec des troupes levées à leurs frais. Après
le dernier partage de la Pologne en 1795, Zenovietz, jeune encore,
quitta sa patrie vers 1800, et il se rendit en Italie, où
les infortunés Polonais, que la France adopta pour ses enfants
fidèles, se réunissaient et formaient l'immortelle
légion qui a partagé la gloire de l'armée française.
Paul I, en montant sur le trône, signala le commencement de
son règne par un trait de clémence envers l'immortel
Kosciuszco, son prisonnier ; il lui rendit la liberté en
lui donnant la permission de se retirer où il voudrait. Kosciuszco
arriva à Paris, où il apprit que M. Zénovietz
son parent, se trouvait en Italie auprès de Moreau. Supposant
que Zénovietz ne pouvait encore supporter, à cause
de la faiblesse de son âge, les fatigues de la guerre, il
écrivit au général afin que ce jeune homme
se rendît auprès de lui à Paris. Zénovietz
venait d'être blessé à l'affaire de Novi. Le
général Moreau, après lui avoir donné
tous les soins que réclamait sa position, l'envoya à
Paris, en écrivant à Kosciuszco : « Vous me
demandez un jeune homme, je vous envoie un soldat avec une blessure
honorable. » Rendu auprès de Kosciuszco, celui-ci lui
fit faire l'acte de déclaration nécessaire, pour devenir
Français. Il obtint alors la permission de suivre comme externe
les cours de l'Ecole polytechnique et il s'occupa d'achever lui-même
son éducation. Après deux ans d'études, Kosciuszco
l'envoya au maréchal Oudinot, duc de Reggio, commandant du
corps d'élite des grenadiers réunis, et dans lequel
Zénovietz a obtenu tous ses grades sur le champ de bataille.
Ce brave militaire, donna de nombreuses preuves de courage : nous
aimons a rappeler les deux traits suivants que nous empruntons au
Miroir Guerrier. A Wagram, commandant, dans le corps dont
nous venons de parler, le régiment surnommé la Colonne
infernale, il attaqua une batterie autrichienne ; un boulet de canon
tomba au milieu de la colonne portant avec lui la destruction, et
Zénovietz blessé fit une chute de cheval. Comme on
se disposait à l'emporter, il reprit connaissance, et pouvant
à peine parler il ordonna de marcher en avant, et déclara
qu'il n'accepterait aucun soin que la batterie ne fut prise : au
bout de quelques minutes elle fut enlevée. Zenovietz se distingua
plus tard à la bataille d'Eylau. Peu de temps après
cette journée, le maréchal Ney fut surpris dans ses
cantonnements par l'armée russe ; on mit en mouvement pour
le soutenir la Colonne infernale. Oudinot longe un grand lac et
voit des troupes de l'autre côté. Ce lac était
à peine gelé. Le maréchal demande qui osera
marcher sur la glace et faire la reconnaissance de ces troupes.
Zénovietz, alors officier d'etat-major se présente,
et remarquant que la glace ne peut le porter avec son cheval, il
court à pied, s'approche des forces en vue, et découvre
que ce sont des Français.
Il revient bientôt au milieu des félicitations et des
remerciements de son général et de ses camarades.
En 1814, comme tous les Polonais étaient obligés de
quitter la France pour retourner dans leurs foyers, il fit valoir
la déclaration qu'il avait faite dans le temps pour être
citoyen français ; et le 39 novembre 1814 , Louis XVIII lui
accorda des lettres de naturalisation. En 1815, il fut envoyé
à l'état major de Napoléon, et à l'affaire
de Waterloo, ce fut lui qui porta l'ordre à Grouchy. Après
cette malheureuse campagne, il suivit l'armée de la Loire,
où il était employé pour la communication avec
les alliés sur la ligne que l'armée occupait par le
traité de Paris. Après le licenciement de cette armée
il revint à Paris et fut impliqué dans l'affaire du
Nain tricolore avec M M. Dufey, avocat ; Babeuf, libraire
; Bouquot, imprimeur de Troyes ; et Laurent Beaupré, imprimeur
à Paris. Ils étaient accusés les uns d'avoir
rédigé et les autres d'avoir imprimé des écrits
contenant des provocations au renversement du gouvernement, et au
changement de l'ordre de successibilité au trône. Le
10 juin 1816, après l'audition de tous les témoins,
M. l'avocat-général inspiré par le délire
de l'esprit de parti prit la parole en ces termes : "M.M. les
jurés, le Nain tricolore a paru tenant sa généalogie
à la main, il est fils et héritier en ligne directe
du Nain jaune ; mais plus richement vêtu que son père,
il se montre brillant des trois couleurs, et déjà
sa profession de foi est annoncée par son habit. Quand un
misérable folliculaire touche à la constitution politique,
à cette arche sainte, il devrait tomber mort devant la justice.
Le temps guérira ces cerveaux brûlés, ces imaginations
déréglées, ces esprits malades ; mais il faut
aussi que la justice soit auxiliaire de la marche du temps. Chassez
ces misérables qui ne veulent vivre qu'au milieu des tempêtes
et qui ne peuvent plus vivre dans notre patrie pacifiée !!!»
Le lendemain Me Poultier qui était chargé de la défense
de Zénovietz, examinant les deux causes d'accusation portées
contre lui, soutint que la remise à son client d'un ou deux
exemplaires du Nain tricolore, ne pouvait se concilier avec l'idée
d'une distribution de ce journal, idée qui supposait nécessairement
que Zénovietz en aurait eu un grand nombre d'exemplaires
; et que quant à l'accusation d'avoir participé à
la rédaction du Nain tricolore, il n'existait aucune
preuve matérielle contre Zénovietz et que rien aux
débats n'établissait sa complicité dans cette
conspiration littéraire. Avant que M. le président
fît le résumé des débats, le colonel
Zénovietz prononça un discours dont nous avons sous
les yeux les passages suivants : « Polonais et né dans
les camps, je n'ai fait que passer des armées de ma patrie
dans les armées de la France. La guerre qui avait commencé
mon éducation l'a achevée. La langue du courage est
la seule que les Français m'aient donné le temps d'apprendre.
Vous aurez, MM. quelqu'indulgence pour un étranger peu familiarisé
avec une langue qui n'a pu devenir la sienne, en même temps
que ses sentiments sont devenus les vôtres. Obligé
d'aller chercher sur une terre étrangère un asile
qui me mît à l'abri du joug oppresseur des usurpateurs
de ma patrie, j'apportai en tribut à la France les prémices
d'un dévouement qui ne s'est pas démenti pendant dix-sept
ans. La France, pour laquelle j'ai versé mon sang ; la France
qui, dans tous les temps, avait été l'amie de la Pologne,
qui tant de fois lui avait donné des rois et qui en avait
reçu une reine dont le souvenir est encore cher aux deux
nations, la France est devenue pour moi une seconde patrie. Condamné
dès mes plus jeunes ans à pleurer la mort de mes proches,
j'avais demandé à la France une patrie hospitalière
; et la France inexorable pourrait une seconde fois me laisser sans
patrie ! Moi, qui n'ai conservé de mes longs services que
de nombreuses blessures ; moi, qui lui ai consacré ma jeunesse,
mon existence. Mais non, mon sort est confié à la
décision des juges dont je dois attendre une impassible équité.
Aussi je l'attends avec le calme d'une conscience pure et sans reproche.
Je ne puis oublier que je suis Polonais ; mais je me rappelle avec
un juste orgueil que la France est ma seconde patrie.Français
par le cœur , je veux l'être encore par mon respect pour la
majesté de ses lois, et ma confiance dans l'équité
de ses magistrats. » Malgré la défense de Zénovietz,
les efforts de son avocat, et la justice de sa cause, il fut condamné
le 11 juin 1816, par la cour d'assises de Paris, à la déportation,
comme convaincu d'avoir livré à l'impression des articles
incriminés dans le Nain tricolore. Comme Polonais,
Zénovietz était doublement coupable aux yeux des Bourbons.
On connaît l'attachement que les Polonais portaient à
l'empereur ; et en frappant une victime telle que le brave Zénovietz,
le gouvernement satisfaisait la haine qu'il nourrissait contre cette
nation. La famille du digne parent de Kosciuszco exerçant
quelques grands emplois en Russie, s'est adressée à
l'empereur Alexandre pour réclamer sa protection en faveur
de Zénovietz ; enfin l'ambassadeur de Russie près
le cabinet des Tuileries s'intéressa à lui, et obtint
par des lettres de grâce du 2 juillet 1817, que la peine de
la déportation fût commuée en celle d'un bannissement
perpétuel. Depuis cette époque, Zénovietz a
demeuré en Allemagne. S'il fût retourné en Pologne,
il aurait été obligé d'y prendre du service,
de prêter serment à la Russie, ce qui l'aurait privé
du titre de citoyen français. Fidèle à sa patrie
adoptive, il préféra subir les rigueurs de son exil.
Il s'occupa en Allemagne de travaux littéraires : il fit,
mais inutilement, de nombreuses démarches pour obtenir sa
grâce, comme tous ses consorts, qui depuis longtemps ont été
rendus à leur patrie. Fatigué de la surveillance que
la police française a partout exercé sur lui, il se
décida à passer en 1823 en Espagne, pour offrir ses
services à ce pays qui se proclamait indépendant.
Mais à peine y fut-il arrivé que la France déclara
la guerre aux Espagnols, et Zénovietz toujours fidèle
aux lois de l'honneur, ne voulut pas servir contre ses anciens frères
d'armes. Il resta néanmoins en Espagne jusqu'au siège
de Cadix, vivant dans l'intimité de cet infortuné
Riégo, que l'on peut nommer le Kosciuszco espagnol. Depuis,
Zénovietz a résidé pendant deux ans en Angleterre
; enfin , il habite Bruxelles depuis dix-huit mois ; les nouvelles
démarches qu'il a faites pour rentrer dans sa patrie sont
encore restées sans succès. Zénovietz honora
l'armée par son courage, sa patrie par ses vertus civiques
et son patriotisme ; et la littérature par plusieurs ouvrages
politiques justement estimés. ( Voyez, au Supplément,
Dufey, Babeuf, Bouquot et Laurent Beaupré). |
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