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Début
de l'article : voir Joseph Vernet.
Carle Vernet commença sa carrière d'artiste sous les
plus heureux auspices. Né à Bordeaux, le 14 août
1758, au plus fort de la renommée de son père, enfant
précoce par son intelligence naturelle et ses dispositions
innées pour le dessin, doué d'une figure gracieuse
et pétillante de vivacité, il eut de bonne heure la
main exercée et l'esprit cultivé. Son père,
qui le vit promettre un artiste de plus à la France, n'épargna
pas les leçons personnelles et les maîtres particuliers
pour le rendre à la fois bon peintre et homme instruit. Son
éducation achevée, Carle Vernet partit avec Joseph
pour la Suisse. Là, le père initia son fils à
tous les mystères de l'art ; il lui apprit à
voir, à aimer, à représenter la nature ;
il lui fit comprendre et sentir toutes les magnificences de la terre,
la majesté des montagnes et des lacs, les merveilles de la
lumière, et ces beautés sans nombre qui naissent à
chaque pas pour l'œil clairvoyant et l'âme sympathique d'un
artiste ; puis il le conduisit dans la société
des grands poètes, ces frères en génie des
grands peintres. Il le présenta à Voltaire, à
Jean-Jacques Rousseau, à Gessner ; enfin il le fit converser
avec Lavater, qui lui enseigna sans doute à lire dans ce
livre éternel où le vice se rencontre avec la vertu,
où toutes les passions sont exprimées si vivement,
la physionomie humaine. A son retour à Paris, Carle Vernet,
élève distingué, concourut pour le grand prix
de Rome. A son premier concours, il obtint le second grand prix ;
deux ans après, en 1782, sa composition de l'Enfant prodigue,
traitée d'une façon tout à la fois naïve
et dramatique, lui valut la couronne, et il partit pour l'Italie,
lauréat d'autant plus intéressant qu'il n'était
encore âgé que de vingt-quatre ans, et qu'il avait
donné des preuves d'un talent déjà mûr.
A cette époque, toutes les espérances que Carle avait
fait concevoir faillirent avorter. Deux influences funestes agirent
tour à tour sur son esprit, troublèrent son imagination,
paralysèrent pour un temps ses facultés, l'influence
de l'amour et celle de la religion. S'étant épris
à Paris d'une demoiselle de Monbar, fille d'un commissaire
des guerres, il s'était cru la force de dompter sa passion,
et, contrairement à toutes les prévisions paternelles,
l'éloignement, loin de détruire son amour, n'avait
fait que l'augmenter. Arrivé à Rome, au lieu de chercher
des consolations dans l'étude, il les demanda à la
religion : il fréquentait les églises plutôt
que les ateliers ; il priait quand il aurait dû travailler ;
et, pour son malheur il rencontra des fanatiques qui cherchèrent
à le dégoûter du monde et de l'art, et le poussèrent
à entrer au couvent. Il fallut toute l'autorité que
son père avait encore sur lui pour le faire revenir en France,
où son confesseur eut le bon esprit de lui conseiller de
reprendre les pinceaux, et de devenir peintre célèbre
plutôt que moine ignoré. Ce fut alors que, persuadé
par les exhortations de ce bon prêtre, et par les encouragements
de son père, il entreprit un grand ouvrage, le Triomphe
de Paul-Emile. Dans ce premier tableau important se trouvent
toutes les qualités qui brillèrent depuis dans les
compositions successives de Carle : une sage ordonnance, un
dessin correct, un coloris, sinon vif, du moins harmonieux, et surtout
un mérite spécial, celui de peindre parfaitement les
chevaux. Ce dernier mérite, que les détracteurs de
Carle Vernet, ainsi que toute l'école de l'empire, sont forcés
de lui accorder, n'est pas aussi mince qu'on peut croire. L'anatomie
du cheval est assez compliquée, les races en sont nombreuses
et diversement caractérisées, les mœurs enfin de ce
superbe animal offrent mille particularités qui doivent être
l'objet de travaux sérieux pour ceux qui le représentent.
Carle Vernet avait une passion pour les chevaux ; on le voyait
sans cesse étudier tout ce qui se rattachait à eux
dans la pratique comme dans la tradition. Aussi, dans la collection
de ses œuvres, pouvez-vous trouver toutes les espèces de
l'animal qu'il choyait, depuis le cheval sauvage de l'Amérique
du sud, à la crinière inculte, à la robe fauve
et déchirée, aux pieds poudreux, jusqu'à l'alezan
coquet, une ferronnière au front, un collier au cou, une
rose à l'oreille. Et puis, s'il veut peindre des chevaux
antiques, ce sont de vigoureuses encolures, des jambes pleines de
force, des croupes rebondies, de larges fronts, de grands yeux ;
si au contraire il nous montre une scène moderne, la race
est sinon abâtardie, du moins dépourvue de ce grandiose
qu'on rencontre dans les bas-reliefs du Panthéon. Partout
Carle Vernet a su varier les allures, les poses, la tournure du
cheval ; il le peint avec autant de perfection dans l'action
que dans le repos, au combat qu'à la parade. Sa réputation
de premier peintre de chevaux fut faite dès l'exposition
de son triomphe de Paul-Emile. De toutes parts on lui commanda,
soit des chasses, soit des batailles de cavalerie. Il obtint dès
lors une réputation si universelle, et des succès
si nombreux, qu'on l'appela au sein de l'Académie de peinture.
C'était en 1788, une année après son mariage
avec mademoiselle Moreau. Durant les premières années
de la révolution, Carle Vernet, qui était devenu un
homme à la mode, s'abandonna quelque peu à la paresse,
et négligea l'art pour de futiles succès de société.
Il composa cependant deux tableaux de grande dimension : la Mort
d'Hippolyte et une Course en char. Les chevaux, dans
ces deux ouvrages, sont parfaitement rendus, particulièrement
dans la Mort d'Hippolyte, où ils ont brisé
leurs rênes, et s'emportent vers d'affreux rochers ;
nous regrettons seulement que l'homme ne soit pas aussi beau que
ses vainqueurs. En 1793, une grande douleur vint interrompre la
vie, si heureuse jusque là, de Carle Vernet : il eut
le malheur de voir sa sœur aînée, madame Chalgrin,
femme de l'architecte qui composa les dessins de l'arc de l'Etoile,
monter sur l'échafaud révolutionnaire ; elle
avait été, comme tant d'autres, victime des soupçons
injustes de Robespierre qui l'accusait d'être dépositaire
d'une correspondance avec les princes émigrés. Ce
terrible événement écarta pour quelque temps
Carle Vernet de la capitale. Il n'y revint guère que vers
l'époque du directoire, et ce ne fut que sous le consulat,
que Lucien Bonaparte, alors ministre de l'intérieur, le fit
travailler pour le gouvernement. La Bataille de Marengo,
qui devait être le chef-d'œuvre de Carle Vernet, lui fut alors
commandée. Carle Vernet comprit toute l'importance de cette
commande ; il voulut aller sur les lieux témoins de
ce grand fait militaire ; il consulta Kellermann, et les généraux
Dupont et Boudet, héros de cette journée : mais
les héros ne s'entendirent pas sur la part que chacun avait
prise à la victoire ; il s'ensuivit des contradictions
si fortes que Carle Vernet renonça à son tableau.
Plus tard, heureusement, il l'exécuta sans avoir recours
à des conseils intéressés, et sa composition
y gagna en verve et en franchise, sinon en vérité.
Ce tableau, nous le répétons, est l'œuvre capitale
de Carle Vernet. L'exécution est plus soignée, plus
pure que dans ses précédents ouvrages ; les détails
sont pleins d'intérêt sans faire tort à l'ensemble ;
enfin la charge de cavalerie qui décida la victoire est rendue
avec une fougue, une clarté et une perfection que seul il
pouvait atteindre. En 1808, un tableau plein de talent, valut à
Carle Vernet la croix de la Légion-d'Honneur. Napoléon
la lui remit en lui disant : « M. Vernet, vous êtes
ici comme Bayard, sans peur et sans reproche.Tenez, voilà
comme je récompense le mérite. » L'impératrice
Joséphine ajouta à ces mots flatteurs : « Ce
sont deux croix en une ; il est des hommes qui traînent
un grand nom, vous, M. Vernet, vous portez le vôtre. »
Pendant le reste de l'empire, et sous la restauration, Carle Vernet
n'entreprit plus de grandes pages historiques. Nonchalant par nature,
comblé de tous les honneurs que peut désirer un artiste,
homme du monde fort recherché, à peine trouvait-il
le temps et peut-être le courage d'improviser pour chaque
exposition quelques tableaux de genre, tous, il est vrai, remplis
d'esprit et de facilité. Son fils d'ailleurs commençait
à devenir célèbre, et il lui laissait la charge
du nom de Vernet et le soin de l'illustrer encore. C'est du reste
ce qui arriva, et Carle Vernet put mourir en novembre 1836, voyant
déjà Horace son fils l'un des premiers peintres de
l'école actuelle.
Suite de l'article : voir Horace Vernet.
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