Armées Balises
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Dernière modification: 24/03/2005 Lettres de Jérusalem Les
“lettres de Jérusalem” constituaient une forme d’escroquerie assez répandue
sous la Révolution et le Consulat, et on trouve à plusieurs reprises dans
les journaux des mises en garde des autorités envers le public. Malgré
cela, les dupes étaient nombreuses.
Le
célèbre Vidocq, qui est une des meilleures sources d’information concernant
le milieu de la pègre, nous donne dans ses “Mémoires” des précisions intéressantes
à ce sujet. L’extrait
qui suit est relatif à un séjour de Vidocq à la prison de Bicêtre en brumaire
an V (novembre 1796) : L’impudence
des voleurs et l’immoralité des employés [de la prison] étaient portées
si loin, qu’on préparait ouvertement dans la prison des tours de passe-passe
et des escroqueries dont le dénouement avait lieu à l’extérieur. Je ne
citerai qu’une de ces opérations, elle suffira pour donner la mesure de
la crédulité des dupes et de l’audace des fripons. Ceux-ci se procuraient
l’adresse de personnes riches habitant la province, ce qui était facile
au moyen des condamnés qui en arrivaient à chaque instant : on leur écrivait
alors des lettres, nommées en argot lettres
de Jérusalem, et qui contenaient en substance ce qu’on va lire. Il
est inutile de faire observer que les noms de lieux et de personnes changeaient
en raison des circonstances. “Monsieur, “Vous
serez sans doute étonné de recevoir cette lettre d’un inconnu qui vient
réclamer de vous un service : mais dans la triste position où je me trouve,
je suis perdu si les honnêtes gens ne viennent pas à mon secours, c’est
vous dire que j’hésite un instant à vous confier toute mon affaire. Valet
de chambre du marquis de..., j’émigrai avec lui. Pour ne pas éveiller
les soupçons, nous voyagions à pied et je portais le bagage, y compris
une cassette contenant seize mille francs en or et les diamants de feu
madame la marquise. Nous étions sur le point de rejoindre l’armée de ...,
lorsque nous fûmes signalés et poursuivis par un détachement de volontaires.
Monsieur le marquis, voyant qu’on nous serrait de près, me dit de jeter
la cassette dans une mare assez profonde, près de laquelle nous nous trouvions,
afin que sa présence ne nous trahît pas dans le cas où nous serions arrêtés.
Je comptais revenir la chercher la nuit suivante ; mais les paysans, ameutés
par le tocsin que le commandant du détachement faisait sonner contre nous,
se mirent avec tant d’ardeur à battre le bois où nous étions cachés qu’il
ne fallut plus songer qu’à fuir. Arrivés à l’étranger, monsieur le marquis
reçut quelques avances du prince de ...; mais ces ressources s’épuisèrent
bientôt, et il songea à m’envoyer chercher la cassette restée dans la
mare. J’étais d’autant plus sûr de la retrouver, que le lendemain du jour
où je m’en étais dessaisi, nous avions dressé de mémoire le plan des localités,
dans le cas où nous resterions longtemps sans pouvoir y revenir. Je partis,
je rentrai en France, et j’arrivai sans accident jusqu’au village de ...,
voisin du bois où nous avions été poursuivis. Vous devez connaître parfaitement
ce village, puisqu’il n’est guère qu’à trois quarts de lieue de votre
résidence. Je me disposais à remplir ma mission, quand l’aubergiste chez
lequel je logeais, jacobin enragé et acquéreur de biens nationaux, remarquant
mon embarras quand il m’avait proposé de boire à la santé de la république,
me fit arrêter comme suspect. Comme je n’avais point de papiers, et que
j’avais le malheur de ressembler à un individu poursuivi pour arrestation
de diligences, on me colporta de prison en prison pour me confronter avec
mes prétendus complices. J’arrivai ainsi à Bicêtre, où je suis à l’infirmerie
depuis deux mois. “Dans
cette cruelle position, me rappelant avoir entendu parler de vous par
une parente de mon maître, qui avait du bien dans votre canton, je viens
vous prier de me faire savoir si vous ne pourriez pas me rendre le service
de lever la cassette en question, et de me faire passer une partie de
l’argent qu’elle contient. Je pourrais ainsi subvenir à mes pressants
besoins, et payer mon défenseur, qui me dicte la présente, et m’assure
qu’avec quelques cadeaux, je me tirerais d’affaire. “Recevez,
Monsieur, etc. “Signé
N...” Sur
cent lettres de ce genre, vingt étaient toujours répondues. On cessera
de s’en étonner si l’on considère qu’elles ne s’adressaient qu’à des hommes
connus par leur attachement à l’ancien ordre de choses, et que rien ne
raisonne moins que l’esprit de parti. On témoignait d’ailleurs au mandataire
présumé cette confiance illimitée qui ne manque jamais son effet sur l’amour-propre
ou sur l’intérêt ; le provincial répondait donc en annonçant qu’il consentait
à se charger de retirer le dépôt. Nouvelle missive du prétendu valet de
chambre, portant que, dénué de tout, il avait engagé à l’infirmier, pour
une somme assez modique, la malle où se trouvait, dans un double fond,
le plan, dont il a déjà été question. L’argent arrivait alors, et l’on
recevait jusqu’à des sommes de douze et quinze cents francs. Quelques
individus, croyant faire preuve d’une grande sagacité, vinrent même du
fond de leur province à Bicêtre, où on leur remit le plan destiné à les
conduire dans ce bois mystérieux qui, comme les forêts fantastiques des
romans de chevalerie, devait fuir éternellement devant eux. Les Parisiens
eux-mêmes donnèrent quelquefois dans le panneau ; et l’on peut se rappeler
encore l’aventure de ce marchand de drap de la rue des Prouvaires, surpris
minant une arche du Pont-Neuf, sous laquelle il croyait trouver les diamants
de la duchesse de Bouillon. On
comprend, du reste, que de pareilles manœuvres ne pouvaient s’effectuer
que du consentement et avec la participation des employés, puisqu’eux-mêmes
recevaient la correspondance des chercheurs de trésors. Mais le concierge
pensait qu’indépendamment du bénéfice indirect qu’il en retirait, par
l’accroissement de la dépense des prisonniers en comestibles et en spiritueux,
ceux-ci, occupés de cette manière, en songeaient moins à s’évader. (Mémoires de Vidocq, chapitre VII.) ___________ L’envoi des lettres dites de Jérusalem, recommence avec une nouvelle activité et se fait jusqu’à l’étranger. Ces lettres sont adressées par des escrocs qui se disent détenus, et prétendent avoir connaissance du lieu où sont cachés des trésors immenses, appartenant à des personnes condamnées pendant la révolution, dans l’intimité desquelles ils supposent avoir vécu. Ils offrent de faire dépositaires de ces trésors la personne à laquelle ils écrivent, et par cet appât ils parviennent quelquefois à se faire avancer de l’argent. Des particuliers à l’étranger ont été dupes de cette manœuvre. Déjà le ministre de la police générale a, par diverses annonces, cherché à mettre en garde contre ce genre d’escroquerie (Journal de Paris, 5 vendémiaire an 10.) ____________ Préfecture de police. Paris, le 13 nivôse an 10. - Malgré les différents avis donnés au public, pour le tenir en garde contre ces lettres supposées dites lettres de Jérusalem, dans lesquelles des individus se disant détenus au Temple ou ailleurs, offrent d'indiquer un trésor prétendu enfoui par eux, si l'on veut bien leur envoyer une somme d'argent, nombre de personnes sont encore dupes de ce genre d'escroquerie. Le préfet de police a déjà fait arrêter beaucoup de ces escrocs, et récemment encore plusieurs individus qui tenaient de cette manière une correspondance très étendue. Ils écrivaient de ces lettres et se faisaient adresser les réponses par l'intermédiaire de deux femmes, qui prenaient tout à la fois l'une les noms de Thibault, Bouton, Duret, Dumesnil, Kinklaine, Gillet et Monnier ; et l'autre, ceux de Durand, Raoul, Genty et Martin ; elles indiquaient autant de demeures différentes. (Le Moniteur, 14 nivôse an 10.)
Le préfet de police vient de faire arrêter un nommé Follebarbe, au moment où il se présentait chez un négociant, pour y recevoir le montant d’une lettre de change, qu’il s’était procurée à l’aide de lettres dites de Jérusalem. Cet individu, sous le nom de Préville, écrivait qu’il était prisonnier au Temple, et offrait d’indiquer un trésor qu’il avait enfoui, disait-il, avant son arrestation. Malgré le grand nombre d’avis insérés dans les papiers publics pour engager les citoyens à se tenir en garde contre de tels escrocs, il se trouve encore, surtout dans les départements, des personnes qui leur répondent. L’une des lettres adressées à celui-ci, contenait un bon de 331 f, dont il pouvait aller toucher le montant à la poste, et en faisant cet envoi, on demandait le plan indicatif du lieu où était enfoui le prétendu trésor. (Journal de Paris, 13 brumaire an X.) ___________
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