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La
conscription abolie était dans ses extensions, dans ses innombrables
détails, si injuste, si oppressive pour tous, qu'elle formait
elle seule une tyrannie insupportable et universelle. Il a été
plus facile de l'abolir que de la corriger. Mais elle était
juste dans son principe ; il a donc fallu la conserver en repoussant
les abus. La patrie a le droit incontestable, à défaut
d'enrôlement volontaire, d'envoyer ses enfants la défendre,
et de leur imposer à tous, avec équité, cette
mission honorable et nécessaire, autant qu'elle en a un besoin
réel, pour se conserver, et autant qu'ils en sont capables.
Mais la conscription, sous l'empire, avait bien moins pour objet
la défense de la patrie que l'esprit de conquête, l'esprit
de domination sur toute l'Europe, et d'absolu pouvoir sur les personnes
et sur les biens de tous les pères et mères de familles
riches ou pauvres, et sur leurs enfants.
La France entière était divisée en capitaineries
de recrutement, sous une espèce de ministre particulier,
directeur central de la conscription. Les levées se faisaient
à la discrétion du capitaine et du préfet,
sans loi, avec un décret incompétent du Sénat
subjugué,- ce décret ne réglant rien qu'un
nombre que le préfet dépassait ou par ordre ou pour
capter la faveur, ou afin de punir arbitrairement des pensées,
des discours, des actions non prévues au Code pénal.
Les faux extraits de naissance, les faux certificats, les perceptions
concussionnaires, étaient multipliés à l'infini ;
les conscrits réfractaires formaient une nouvelle sorte de
galériens, et un chef pouvait, sans sortir de sa chambre,
les envoyer au dernier supplice ; ni l'âge trop tendre
ou trop avancé, ni les infirmités les plus graves
, ni le premier, ni le second rachat, ne garantissaient du second
et du troisième réappel. Les terribles colonnes mobiles
et les garnisaires en recherche de conscrits réels ou imaginaires,
vivants ou morts, la responsabilité désespérante
des pères et mères et des collatéraux, enfin,
la solidarité des communes, désolaient nos départements.
Il n'y avait souvent, pour les armées, ni hôpitaux
, ni ambulance, ni régie des vivres en activité ;
les militaires abandonnés périssaient par milliers,
par centaines de milliers, comme de vils insectes; et, plus on levait
de conscrits, plus le désordre et le mécontentement
général facilitaient l'invasion de l'étranger. |
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