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Namur,
2 messidor an XI (21 juin 1803).
Général,
La route qu'on
suit pour venir de Liège à Namur longe la Meuse, dont
les bords sont productifs, riches et agréables à la
vue. On y trouve des manufactures de faïence, des houillères,
des fours à chaux, et beaucoup de carrières où
on extrait de la pierre ardoisée très belle et qu'on
porte du côté de Maestricht et de la Hollande.
Le préfet du département de Sambre-et-Meuse s'appelle
Pérès. Il a, dit-on, figuré dans les assemblées
comme un peu partisan des exagérés. J'ai même
su que dans le temps il avait assez improuvé le Concordat.
Cependant son opinion parait s'être amendée: il est
travailleur, assez aimé dans le département, quoique
mal entouré. Dans l'origine il a eu des prétentions
exagérées pour les honneurs qu'il exigeait : il en
était résulté qu'il vivait mal avec les autorités
militaires ; aujourd'hui il y a plus d'accord et d'intelligence.
On dit du bien des sous-préfets. Le maire de Namur est un
homme très ordinaire, riche pour un habitant du pays, mais,
dit-on, très avare.
L'évêque n'est pas ce qui vaut le mieux : c'est le
frère d'un préfet qui était à Trèves
et qui vient d'être remplacé. Cet évêque
est une espèce d'original, violent et très emporté.
Peut-être un autre eût mieux convenu, et les ecclésiastiques
du département eussent marché plus franchement ; il
y a parmi eux des partisans d'un prêtre assez fameux (*),
qui erre dans ces départements, déclamant contre le
Gouvernement ; il est surprenant qu'on n'ait pas encore pu parvenir
à l'arrêter.
La ville de Namur, située au confluent de la Sambre et de
la Meuse, est assez commerçante. On y ouvre beaucoup de cuivre,
qu'on porte dans les Ardennes avec d'autres marchandises. Il y a
une verrerie, des fabriques de pipes et d'étoffes de laine
assez grossière.
On trouve dans le département une mine de plomb qui n'est
pas fouillée. Mais celles de fer y sont abondantes et multipliées,
elles font une des principales richesses du pays. En général,
le département est dans un état satisfaisant ; il
n'y a que les routes qui ne sont pas entretenues, on assure que
celle de Liège à Namur est détestable.
La 14e de ligne forme la garnison de cette place. C'est un superbe
corps, bien tenu et au complet de paix ; l'esprit est bon et son
chef est attaché au Gouvernement. Il s'appelle Moreau, quoique
sans des grands talents, il mène très bien sa demi-brigade
; elle a reçu environ 400 conscrits, tous déjà
instruits et complètement habillés.
Namur, dans son état actuel, ne peut pas rigoureusement parlant
être considérée comme place de guerre. Tous
les ouvrages ont été détruits, même le
château, dont la position est presque aussi désavantageuse
que celle de la ville. Dominée de tous côtés
par des rochers, il faudrait tous les couronner de forts pour en
faire quelque chose, ce qui exigerait beaucoup de temps et beaucoup
d'argent ; alors même la place aurait l'inconvénient
d'un trop grand développement, et il faudrait presque une
armée pour la défendre. Il y a à Namur d'assez
belles casernes et un quartier de cavalerie assez commode,
Je vais, Général, presser un peu ma marche afin de
voir Anvers, Gand, Bruges et Ostende avant votre arrivée,
si cela est possible ; ensuite je reviendrai à Bruxelles,
pour y recevoir vos ordres ultérieurs.
Salut
et respect,
Lagrange. |
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