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Luxembourg,
10 prairial an XI (30 mai 1803).
Général,
Luxembourg est la seule ville qu'il y ait dans le département
des Forêts. Ce pays n'offre pas de ressource pour recueillir
les renseignements demandés. Il n'y a ici à voir que
les autorités civiles et militaires ; le restant est encore
allemand, peu communicatif et ne fréquentant presque personne.
Cependant, il eût été bien important d'avoir
quelque chose de positif, surtout sur le compte du préfet,
dont les uns parlent comme d'un homme peu fait pour sa place, tandis
qu'au contraire d'autres en disent du bien. A travers toutes ces
contradictions, la vérité est difficile à trouver.
De tous ces dit-on voici ce qui m'a paru être le plus vraisemblable.
Ce préfet s'appelle Lacoste, ancien membre de la Convention,
longtemps employé aux armées du Nord et du Rhin, jadis
très prononcé et peut-être conservant encore
un peu cet esprit d'opinion aujourd'hui peu nécessaire. Ce
département a été très maltraité
et il y a bien des blessures à cicatriser : peut-être
l'administration n'en est-elle pas aussi bonne qu'elle pourrait
être, et il serait possible d'y faire plus de bien. Cependant,
le préfet ne manque pas de moyens, mais je ne sais pas si
le reproche qu'on lui fait de ne pas assez s'occuper de ses fonctions
est fondé. Du reste, il est très mal secondé
par les sous-préfets et les maires; c'est une classe extrêmement
mauvaise, et difficile à composer dans ce département
qui manque de sujets et est très arriéré pour
sa civilisation, ce pays ne ressemblant en rien au restant de la
France.
Il y a dans les Forêts à peu près de quatorze
à quinze cents prêtres, tous ecclésiastiques
ignorants et fanatiques et valant moins, sous tous les rapports,
que dans les autres départements. Cependant je n'ai pas ouï
porter des plaintes sur leur compte.
Les routes appelées de première classe sont réparées
et entretenues, les autres ne le sont pas, mais la belle saison
les rend toutes également praticables. Peut-être serait-il
à propos d'en faire de nouvelles pour ce département
qui n'est pas assez percé, défaut qui nuit à
son industrie et au degré de civilisation où il doit
arriver.
Le pays fournit des chevaux bons et assez beaux : on manque de haras,
des établissements de cette espèce y feraient grand
bien.
Les grains ont cette année été ici très
chers, les prix commencent un peu à baisser : c'est un événement
heureux pour les pauvres de ces misérables contrées.
Il y a dans le département quelques manufactures de faïence
assez conséquentes, mais ce qui l'est davantage, ce sont
les forges qui s'y trouvent en assez grand nombre.
Luxembourg a de huit à neuf mille âmes de population.
La ville se divise en haute et basse. La première est assez
agréable, et très régulièrement bâtie.
La garnison de la place est composée des 59e, 98e et 41e
de ligne.
Cette dernière demi-brigade a reçu l'ordre de se rendre
à Breda ; dans deux jours elle se mettra en route.
La 59e a reçu seulement 271 conscrits, qui ne sont pas habillés;
ils portent les habits qu'ils avaient quand ils ont joint le corps.
L’esprit de la demi-brigade est bon, et celui de son chef aussi.
C'est le citoyen Maigni (1), qui en Égypte a commandé
la 22e légère; ce militaire, qui est un des plus braves
de l'armée, est très attaché au Gouvernement.
La 98e va très bien : son chef (2) a des moyens, de l'aplomb
et de
la conduite, il paraît attaché au Gouvernement. La
demi-brigade est faible, parce qu'elle a un bataillon aux colonies.
Elle a reçu 550 conscrits, dont environ 70 sont à
réformer. Une partie du petit équipement a été
donnée et bientôt ils auront tous des vestes ; quant
aux habits, on ignore l'époque où ils pourront les
avoir.
La 41e est aussi à deux bataillons. Elle a 561 conscrits
qui n'ont reçu que quelques effets du petit équipement,
mais les habits et même les vestes leur manquent. Le chef
m'a paru aller bien ainsi que la demi-brigade. En totalité,
la garnison est bonne et se conduit bien.
Je vous parlerai peu, Général, des ouvrages de Luxembourg:
c'est une place qu'il faut nécessairement voir, pour s'en
faire une juste idée. La nature et l'art semblent avoir concouru
pour la rendre inexpugnable. Située sur un rocher très
escarpé, elle est entourée d'un labyrinthe d'ouvrages
dont la plupart sont séparés les uns des autres. En
les voyant pour la première fois, on s'étonne de leur
nombre, du grand développement qu'ils donnent à la
place, et plus encore de la quantité de ceux qui sont sous
terre, de beaucoup plus considérables que ceux qui sont dessus.
Un des inconvénients qui résultent de toutes ces fortifications
isolées, c'est le défaut de communications faciles
: ici elles sont surtout d'une grande difficulté. On trouve
à Luxembourg beaucoup d'ouvrages de Vauban; ayant lui-même
pris la ville après un long siège, il fut à
portée d'en connaître le faible et d'y remédier
par des forts dont il a couronné les buttes où il
avait établi ses batteries de siège. Les fortifications
de la place sont mal entretenues, le génie ne s'occupe que
des établissements militaires ; il y a à Luxembourg
de grandes réparations à faire. Les casernes, sans
être magnifiques, sont bonnes et salubres. La place n'est
pas armée.
Je vous réitère, Général, l'assurance
de mon respect.
Lagrange.
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