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Mais
si nous voulions la faire charger (la cavalerie de ligne) dès
le commencement de la bataille, sur de l'infanterie intacte et aguerrie,
elle serait infailliblement ramenée sur le reste de l'armée,
où elle communiquerait son désordre . Je sais qu'on
pourrait opposer à ces raisonnements l'exemple récent
de deux généraux illustres qui engagèrent leur
cavalerie presque dès le début de la bataille de Waterloo.
Voici comment : la droite des Français, composée de
quatre divisions d'infanterie, chacune formée en colonne
serrée par division, s'avançait pour attaquer la gauche
et le centre de la ligne anglaise, lorsque le général
anglais lança sur ces colonnes en marche une brigade de cavalerie
de sa gauche. Cette charge eut du succès contre toute probabilité.
Une de nos colonnes, effrayée au seul aspect de cette cavalerie,
s'enfuit, et se dispersa en abandonnant une batterie de trente pièces
d'artillerie qu'elle était chargée de soutenir ; mais
la cavalerie anglaise, en se retirant après sa charge, fut
prise en flanc et à dos par les autres divisions d'infanterie
et par quelques escadrons français ; elle souffrit beaucoup,
et ces deux régiments furent presque détruits.
La cavalerie française s’engagea immédiatement après,
et nous chargeâmes avec environ douze mille chevaux sur le
centre de la ligne anglaise, au moment où notre infanterie
de droite attaquait le village du Mont-Saint-Jean. Cette charge
eut d’abord quelques succès ; nous rompîmes plusieurs
bataillons, nous prîmes du canon, et une partie de la ligne
anglaise perdit du terrain et fut obligée de reculer pour
aller se rallier vers sa seconde ligne, qui se forma aussitôt
en trois gros quarrés, qui arrêtèrent notre
charge. Nos succès se bornèrent là, et notre
cavalerie fit en vain des prodiges de valeur pour enfoncer les quarrés
de la seconde ligne anglaise : ils restèrent entiers. Cependant
on s’obstina à garder jusqu’au soir la position qu’on avait
enlevée, et nos cavaliers se firent presque tous tuer sous
une grêle épouvantable de projectiles plutôt
que de l’abandonner.
Je remarquerai que ces charges de cavalerie faites dès le
début d’une bataille, quoique justifiées en partie
par le succès, ne peuvent point être proposées
comme des exemples à suivre. La charge de la brigade anglaise
sur nos colonnes d’attaque, avant qu’elles ne fussent battues en
brèche et démolies à coups de canon, ne réussit
en partie que par l’inexpérience de nos fantassins, qui,
nouvellement réunis sous leurs drapeaux, n’avaient pas encore
acquis l’ensemble et l’esprit de corps, qui font la force de l’infanterie.
Au reste, la manœuvre du général anglais, justifiée
par le succès, ne compromettait qu’une faible partie de sa
cavalerie.
Lorsque la cavalerie française s’engagea sur les lignes anglaises
avant qu’elles ne fussent ébranlées par le feu du
canon et des petites armes, Napoléon, trop éloigné
du champ de bataille pour bien voir, parut surpris, et douta un
moment que ces masses de cavalerie qu’il voyait au milieu des Anglais
lui appartinssent ; et lorsqu’il en eut la certitude, il sembla
mécontent de cette charge prématurée.
Cependant, comme son caractère inflexible ne savait jamais
céder à propos à l'empire des circonstances,
il aima mieux faire détruire assez inutilement sa cavalerie
sous le feu des Anglais que de la faire replier. Cette charge déplacée
se fit sans doute à son insu ; mais pourquoi se tenait-il
hors de portée de bien voir ? pourquoi ne surveillait-il
pas son champ de bataille pour donner et faire exécuter ses
ordres ? Tout général en chef n'est-il pas responsable
des fautes qui se commettent sur un champ de bataille qui n'a qu'une
demi-lieue d'étendue ? et le sien n'était guère
plus grand.
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