Selon
la définition de l’Encyclopédie (tome 15, 1765, p
59) la sentinelle est un soldat d’un corps de garde d’infanterie
qu’on place en quelque poste pour découvrir les ennemis,
pour prévenir les surprises, et pour arrêter ceux qui
veulent passer sans ordre et sans se faire connaître. La sentinelle
doit rester à son poste, quoiqu’il puisse arriver, à
moins qu’elle ne soit relevée par son officier. Pendant la
durée de son service ou de sa faction, sa personne est en
quelque sorte regardée comme sacrée ; elle peut arrêter
et empêcher de passer quelque officier que ce soit, sans pouvoir
être maltraitée ou punie qu’après avoir été
relevée, c’est-à-dire qu’il ait été
mis un autre soldat à sa place.
Pour
le général Bardin, les sentinelles
sont “l’œil des postes et des corps de garde ; ainsi, elles
doivent avoir constamment l’attention fixée sur ce qui se
passe autour d’elles". (p 4814)
Les sentinelles
ont toujours été regardées comme des personnages
publics et sacrés. D’après Bardin, les mémoires
de Puységur, nous rapportent un jugement plus que sévère,
rendu au siège de Montpellier, en 1622, et qui condamnait
à l’estrapade une sentinelle dont le crime était de
n’avoir pas tué le maréchal de camp Marillac. Le cheval
de cet officier général était monté
sur le pied du mousquetaire en faction qui, dans le premier moment
de douleur, asséna sur la croupe de l’animal un coup avec
la fourchette de mousquet qu’il tenait à la main. Le cavalier
s’en offensa et frappa la sentinelle, qui le supporta au lieu de
s’en venger. - En 1690, Louis XIV assiégeant Mons envoya,
dit-on, aux galères, une sentinelle qui s’était laissée
déplacer par le ministre Louvois.
Le service
des sentinelles est un détail de la garde des places. Tout
ce qui concerne cette matière était réglé
par l’ordonnance du 1er mars 1768,
pour régler le service dans les places et les quartiers.
L’article 1er
du titre 7 (Du service des troupes dans les places) établissait
que les troupes feraient garde nuit et jour dans les places de guerre
et dans les quartiers, et que cette garde serait relevée
toutes les vingt-quatre heures.
En temps de
paix, la garde était réglée, tous les premiers
du mois, sur le nombre effectif des soldats, cavaliers ou dragons
en état de faire le service, et relativement au nombre des
sentinelles qui étaient absolument nécessaires pour
la garde de la place, le maintien du bon ordre, et la conservation
des ouvrages. (art. 5)
Le service
devait être réglé de manière que chaque
grenadier ou fusilier ait six nuits de repos, et jamais moins de
cinq, et chaque cavalier ou dragon douze nuits, et jamais moins
de dix. Mais l’article 9 prévoyait des dérogations
à cette disposition, et les archives abondent d’exemples
où l’on voit les garnisons surmenées par les tours
de gardes (comme on le verra d’ailleurs plus bas en ce qui concerne
la compagnie de réserve de la Dyle.)
Chaque soldat
ne devait jamais faire moins de six heures de faction pendant les
vingt-quatre heures qu’il était de garde. La durée
des factions étant de deux heures (titre 11, article 43),
cela faisait trois “séances” par tour de garde pour chaque
homme. Cependant, depuis le premier mai jusqu’au premier octobre,
et dans le cas d’une nécessité absolue seulement,
les commandants des places étaient autorisés à
faire faire huit heures de faction à chaque sentinelle ;
d’après tout cela, les gardes étaient calculées
ordinairement sur le pied de quatre hommes pour fournir une sentinelle,
et dans les cas indispensables, sur le pied de trois.
A neuf heures
du matin, les tambours battent la garde et l’assemblée (tit.
21, art 71). A ce moment, le caporal ou chef de chaque chambrée
qui doit fournir des hommes pour la garde, fait l’inspection de
leur équipement et armement, pour s’assurer que tout soit
dans le bon ordre ; si quelque soldat se trouve en défaut,
il le condamne à faire, à la descente de la garde,
toutes les corvées de sa chambre pendant quatre jours. (tit.
21, art 72).
A neuf heures
et demie, les tambours font deux roulements. Le caporal conduit
ses hommes au sergent de semaine, qui fait une seconde inspection.
Le caporal sort du rang après avoir été inspecté
lui-même, et il accompagne le sergent qui examine les soldats
homme par homme, et délivre à chacun soldat trois
cartouches à balles. S’il trouve quelqu’un en faute, il met
aux salles de discipline pour huit jours le caporal ou chef de chambrée
dont est le soldat en faute. (tit. 21, art 73).
Pendant ce
temps (neuf heures et demie), les fourriers des compagnies s’en
vont assister au tirage des postes de la place.
Après
l’inspection du sergent, le caporal fait mettre la baïonnette
dans le fourreau et reconduit les hommes dans la chambre, pour qu’ils
exécutent sans délai les ordres qui auraient pu être
donnés par le sergent au sujet de la tenue.
A dix heures,
heure de l’appel et du repas, le lieutenant ou le sous-lieutenant
de la compagnie fait la visite des chambrées et l’inspection
des hommes de garde (tit. 21, art 71).
A dix heures
et demie, on bat trois roulements, et le sergent de semaine conduit
ses hommes à l’officier de semaine.
Service
des Gardes dans les postes.
Le titre 11
de l’ordonnance traite du service des gardes dans les postes. L’article
3 précise que les gardes composées de 6 hommes se
rangeront en haie, que celles qui seront composées de douze
se formeront sur deux rangs et celles de dix-huit et au-dessus sur
trois rangs.
L’article 4
pose que, de quelque nombre d’hommes que soit composée une
garde, elle sera toujours partagée en deux ou quatre divisions,
afin que si les circonstances exigent qu’une garde tire, elle ne
se dégarnisse pas à la fois de tout son feu.
Avant que les
sentinelles partent d’un poste, le caporal de pose doit les présenter
au commandant du poste, qui les fait mettre en haie, et s’assure
si leurs armes sont bien amorcées et garnies de pierres bien
ajustées. Mais cette disposition n’était pas toujours
observée, notait Berriat dans
son recueil, en ajoutant “il serait à désirer
que l’exécution en fût rigoureusement prescrite.”
Le Manuel
du Sous-officier ajoutait que le commandant de poste devait
vérifier si chaque homme avait son épinglette.
Le commandant
de poste règle l’endroit où chaque sentinelle doit
être posée : les plus vieux soldats en faction devant
les armes (c’est-à-dire devant la porte du poste) et aux
postes avancés, et les recrues dans les postes voisins de
la garde, afin que les officiers et sous-officiers soient à
portée de les instruire de leurs devoirs.
Commençait
alors la tournée de relève, le caporal marchant en
tête, suivi des sentinelles deux à deux (Manuel du
Sous-officier, p 214.)
Le caporal
de pose porte l’arme au bras droit. L’ordonnance de 1768 voulait
que les sentinelles portent les armes en le suivant (titre 11 art.
48), mais d’après Berriat, l’usage était qu’elles
marchaient ayant l’arme au bras.
Relève
des sentinelles.
Le caporal
fait arrêter la garde à six pas de la sentinelle à
relever, fait avancer la sentinelle de relève. A son commandement,
les deux sentinelles, qui se font face, se présentent les
armes, et se donnent la consigne en présence du seul caporal,
qui s’approche pour vérifier son exactitude. (art. 50)
Le Nouveau
Manuel militaire (an 2) donne les précisions suivantes
:
“On fait placer
la nouvelle sentinelle à la gauche de l’ancienne, ayant l’une
et l’autre l’arme au bras ; et on fera ces commandements : Portez
armes : gauche-droite : présentez-armes.
Au premier
commandement, les deux sentinelles portent les armes ; au second,
la nouvelle sentinelle fait à droite, l’ancienne à
gauche, pour se faire face et pouvoir s’aboucher ; au troisième,
ils présentent les armes, et la sentinelle de la garde descendante
donne la consigne à la sentinelle de la garde montante, de
manière qu’il n’y ait qu’elle et le caporal qui soient à
portée d’entendre. (N.M.M. p 64)
Le Dictionnaire
de Bardin décrit ainsi la relève de la sentinelle
: “Chaque sentinelle est conduite à son tour, par le caporal
de pose, au lieu où elle doit prendre la faction ; elle s’y
arrête au commandement :
“Halte
! à droite et à gauche, présentez vos armes”.
Le factionnaire descendant donne à voix basse, à la
sentinelle relevante, la consigne ; la caporal l’approuve, ou la
rectifie s’il y a lieu.” (p 4815)
La consigne
étant donnée, le caporal de pose fait les commandements
“portez vos armes, marche”.
Au premier
commandement, l’ancienne et la nouvelle sentinelle portent les armes,
au second, le caporal de pose et l’ancienne sentinelle rejoignent
les autres pour continuer la pose, ou pour rentrer au poste si la
pose est terminée. (art. 51)
Dispositions
générales.
Les sentinelles
ne pouvaient se laisser relever ou donner de nouvelle consigne que
par les caporaux de leur poste (art 53). Elles devaient avoir toujours
la baïonnette au bout du fusil, et avoir l’arme au bras, ou
se reposer dessus. L’article 54 précisait que pendant le
mauvais temps, elles pouvaient le porter sous le bras gauche. Mais
Berriat commente cet article en disant qu’il parait plus convenable
que la sentinelle rentre dans sa guérite, vu qu’il était
assez difficile de porter l’arme sous le bras gauche en ayant la
baïonnette au bout du fusil. Ce qui montre que déjà
à l’époque, les textes législatifs pouvaient
présenter des contradictions. D’autre part, il faut peut-être
considérer aussi que la taille minimum des recrues était
plus basse lorsqu’écrivait Berriat, c’est-à-dire sous
l’Empire, et que de ce fait, c’était pour les plus petits
soldats qu’il était difficile de porter l’arme sous le bras
avec la baïonnette au bout.
Les sentinelles,
pendant le temps de leur faction, ne pouvaient quitter leurs armes,
ni s’asseoir, ni lire, chanter, siffler ou parler à personne
sans nécessité. (art 55).
Elles ne pouvaient
s’écarter de leur poste à plus de trente pas. Elles
ne pouvaient pas non plus souffrir qu’il se fasse aucune ordure
ou dégradation aux environs de leur poste (art. 56).
Elles devaient
en effet faire respecter leur caractère “sacré”. S’il
arrivait qu’un bourgeois ou un habitant insulte ou frappe une sentinelle,
il était mis en prison et renvoyé aux tribunaux criminels.
Les sentinelles
doublées ne devaient jamais parler ensemble que pour ce qui
regardait le service. Elles devaient être tournées
de deux côtés opposés et, lorsque paraissait
quelque troupe, l’une devait venir avertir la garde, pendant que
l’autre restait pour observer. Si l’une des deux désertait,
l’autre devait tirer dessus, et avertir le poste (Manuel du Sous-officier,
p 215).
L’article 57
du titre 11 prévoyait que toute sentinelle trouvée
en contravention sur l’un de ces objets, serait mise au piquet pendant
huit jours. Mais cette cruelle punition avait été
abolie par le décret du 5 mai 1792. Néanmoins, il
restait assez d’autres punitions dans la hotte du père fouettard
pour punir les sentinelles négligentes.
Les sentinelles
devaient s’arrêter, faire face en tête et porter les
armes lorsque passait à portée, soit une troupe, soit
des officiers. Elles devaient présenter les armes pour les
officiers généraux et les officiers supérieurs
(art 58), ainsi que pour les évêques, les conseillers
d’état, et les inspecteurs et ordonnateurs en chef (décret
impérial du 24 messidor an 12).
La sentinelle
étant chargées du maintien du bon ordre, elle devait,
lorsqu’elle voyait ou entendait une querelle près de son
poste, crier “à la garde”. Cet avertissement passait alors
de sentinelle en sentinelle jusqu’au poste, qui envoyait plusieurs
fusiliers, aux ordres d’un sous-officier, arrêter les querelleurs
(art 63). De même lorsqu’elle apercevait un incendie, la sentinelle
devait crier “au voleur”.
La sentinelle
ne devait jamais se laisser approcher de trop près par qui
que ce fût, particulièrement pendant la nuit ; elle
devait “faire passer les allants et venants”, du côté
opposé. (art 68). La formule utilisée était
“Passez plus loin”. Sous la Restauration elle fut remplacée
par l’injonction plus rude “Au large !” (Bardin, Dictionnaire, p
4815)
La nuit, la
sentinelle devait crier d’une voix forte “Qui vive”.
Après
avoir crié trois fois “Qui vive”, et à supposer qu’il
ne lui ait pas été répondu, le factionnaire
devait crier “Halte-là” et prévenir qu’il allait tirer.
Si malgré cet avertissement, on continuait à avancer,
il devait tirer et appeler la garde. (art 70).
Que faire quand
approche une troupe ?
“Du plus loin
qu’une sentinelle aperçoit une patrouille ou une ronde, elle
doit porter l’arme, et ensuite crier : “Qui vive ?”
A la réponse
patrouille ou ronde-major, la sentinelle crie : halte-là
! et, se tournant du côté du corps de garde, elle crie
: “Caporal, venez reconnaître patrouille, et, si c’est une
ronde-major caporal, hors la garde.
Le caporal
et les fusiliers vont les reconnaître ; l’officier qui commande
la troupe est obligé de venir donner le mot de l’ordre et
de reconnaissance à celui qui le reconnaît. L’officier
de la troupe arrêtée est obligé de prononcer
le premier des deux noms, et celui qui reconnaît est obligé
de prononcer l’autre, de crainte de surprise.” (Manuel du Garde
national, Paris, an 2.)
L’ordonnance
précisait ce que devait faire une sentinelle lorsque se présentaient
des déserteurs ou lorsque des voitures devaient entrer dans
la place. On reviendra sur ces matières plus tard.
Le code pénal
du 12 mai 1793 punissait de mort la sentinelle endormie, si c’était
près de l’ennemi, et de cinq ans de fer dans tout autre poste.
Le code du 21 brumaire an 5 ramenait cette peine à deux ans
de fers. Le même code punissait de mort le crime d’une sentinelle
abandonnant son poste pour songer à sa propre sûreté.
Notons qu’il
était reçu qu’en temps de guerre, un officier de ronde
trouvant une sentinelle endormie dans un poste voisin de l’ennemi,
pouvait lui passer son épée au travers du corps. A
quoi pouvait donc bien penser la sentinelle aussi brutalement réveillée,
et pour si peu de temps ? Le saurons-nous jamais ?
LE
MOT.
Le mot était
de deux espèces : le mot d’ordre et le mot de ralliement.
Le mot d’ordre
se composait autrefois, assure le Cours d’Instruction des Sous-officiers
(1814), du nom d’un saint et de celui d’une ville commençant
par la même lettre.
Le mot de ralliement
était une espèce de cri de guerre ; c’était
le plus souvent le nom d’un général. Il permettait
aux troupes de se rallier en cas d’événement |