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Travers (Etienne-Jacques) 1766-1827

 

  Archives historiques et littéraires du Nord de la France et du Midi de la Belgique, tome 2, Valenciennes 1832.    
 

LE GÉNÉRAL TRAVERS.
Ce nom et les souvenirs honorables qui s'y rattachent méritaient une place dans les Archives : celui qui le porta n'avait point reçu le jour en Belgique ; mais la Belgique était devenue sa patrie adoptive, et c'est à ce pays qu'ont été consacrées les dernières années de son existence.
Travers (Etienne-Jacques),baron de Jever, grand-croix de l'ordre de la Réunion, membre de la légion d'honneur, général-major et inspecteur-général de la maréchaussée royale des Pays-Bas, naquit à Saint-George de Nehou, département de la Manche, le 22 octobre 1766. Ses parents le destinaient à l'état ecclésiastique ; mais une vocation irrésistible lui fit embrasser le métier des armes : il entra au service, comme simple soldat, dans un régiment de dragons, le 4 juillet 1787. Deux fois sa famille, alarmée de la résolution qu'il avait prise, acheta son congé, et chaque fois il s'évada de la maison paternelle, pour s'engager de nouveau. Voyant que sa détermination était inébranlable, elle renonça à y mettre des obstacles, et le jeune Travers put suivre en liberté une carrière vers laquelle ses goûts l'entraînaient.
A cette époque, la France était en paix avec ses voisins ; mais bientôt elle se vit forcée de courir aux armes, pour la défense de son territoire et de sa liberté menacée par une formidable coalition. Le général Travers fit les campagnes de 1793, 1793, 1794, 1795, 1796, 1797, 1798, aux armées du Brabant, de Sambre-et-Meuse, d'Italie ; celles de 1799 et 1800 sur les côtes, celles de 1804, 1805 et 1806, à l'armée du Rhin. Il s'y fit distinguer par une rare bravoure, à laquelle seule il fut redevable de l'avancement qu'il obtint. Napoléon, voulant récompenser ses services, le nomma, en 1804, chevalier de la légion d'honneur.
Après avoir passé par tous les grades inférieurs, il était, en 1806, chef d'escadron dans le 5e régiment de dragons commandé, depuis le 18 brumaire, par Louis Bonaparte, lorsque des députés de la république batave vinrent offrir à ce prince le trône de Hollande. Louis, dont il avait mérité la confiance par l'élévation de ses sentiments autant que par sa valeur, lui proposa, ainsi qu'à plusieurs autres officiers de son régiment, du consentement de l'empereur son frère, de le suivre dans le pays sur lequel il allait régner : l'attachement qu'il portait à son ancien colonel le détermina à accepter. Louis le fit d'abord colonel des cuirassiers de sa garde et son aide de camp : il devint ensuite général major et colonel général de la garde. En 1810, le roi l'éleva à la noblesse, et peu après il le créa baron de Jever, seigneurie dans l'Oost-Frise que la Hollande avait acquise par l'article 16 de la paix de Tilsitt. Il avait été nommé l'un des grands officiers de l'ordre de l'Union, institué par Louis, au commencement de 1807.
Toutes ces distinctions, le général Travers les mérita non moins par les services qu'il rendit à sa nouvelle patrie, dont l'organisation militaire exigea de grands efforts dans les circonstances difficiles où elle se trouva, que par son dévouement au Roi. Ce qu'il y a de remarquable, c'est qu'elles eurent l'assentiment général des Hollandais : sa loyauté, sa franchise, sa droiture, lui avaient concilié l'estime et l'affection de ce peuple, qui, on le sait, n'a jamais encouru le reproche de trop s'engouer des étrangers.
Cependant la Hollande, qui n'avait eu, depuis 1794 qu'une existence précaire comme nation, devait bientôt voir s'évanouir ce reste de nationalité, et être témoin du renversement d'un trône, qu'elle avait cru élever sur des fondements solides, en y appelant le frère de l'empereur des Français. Napoléon, mécontent de la tolérance que Louis accordait à la contrebande des marchandises anglaises, le força d'abord de signer à Paris, le 16 mars 1810, un traité qui anéantissait tout commerce avec l'Angleterre, et cédait à la France le Brabant Hollandais, la Zélande et une partie de la Gueldre. Peu après, il ordonna que des troupes françaises pénétrassent jusque dans le cœur de la Hollande. Louis, voyant sa capitale occupée militairement, prit la noble résolution d'abdiquer une couronne qu'il ne pouvait plus porter avec honneur. Il le fit par un acte daté de Harlem le 1er juillet 1810, et partit la nuit suivante pour l'Allemagne.
Le général Travers donna, en cette occasion, un de ces exemples de dévouement aux grandeurs déchues qui n'ont guères été communs dans nos quarante dernières années, si fécondes en vicissitudes politiques. Quoiqu'il fut bien certain que sa conduite l'exposerait au mécontentement de l'Empereur, et lui ferait perdre un avenir peut-être brillant, seul de tous les français qui avaient accompagné Louis en Hollande, il le suivit à Tœplitz, décidé à partager sa mauvaise fortune.
Napoléon fut fort irrité du parti qu'avait pris son frère. Il employa, pour l'engager à rentrer en France, les prières et les menaces. Il lui dépêcha, à la même fin, le chevalier de Cazes, qui avait été autrefois secrétaire de Louis, et qui l'était, à cette époque, de Madame-mère. Louis se montra inflexible.
M. de Cazes, qui avait eu sans doute, pour instruction, de détacher, par tous les moyens possibles, de l'ex-roi de Hollande, ceux qui l'avaient accompagné en Allemagne, afin que, dans l'isolement où il serait resté, on pût triompher plus facilement de sa résistance ; M. de Cazes réussit au moins dans cet objet secondaire de sa mission. Jusqu'au moment de son arrivée à Tœplitz, le général Travers avait vécu avec Louis Bonaparte dans des rapports d'intimité et de confiance ; mais , peu après, un changement dans les procédés du prince à son égard et quelques paroles échappées à celui-ci lui firent acquérir la pénible conviction que l'esprit faible de Louis avait accueilli des insinuations qui lui étaient contraires, et que sa loyauté était suspectée. Vivement blessé d'une pareille injustice, après tant de preuves d'attachement données à son ci-devant souverain, sa résolution répondit au sentiment qu'il en éprouvait: il déclara à Louis que, puisqu'il avait perdu sa confiance, il ne pouvait plus demeurer auprès de sa personne. Louis, sentant alors la perte qu'il allait faire, voulut le calmer : ce fut sans succès.
A peine le Général Travers avait-il quitté Tœplitz, avec le projet de revenir dans son pays natal, qu'il y arriva une dépêche de Paris par laquelle, d'après les ordres de l'Empereur, il était appelé au commandement du département de la Dyle, dont le chef-lieu était Bruxelles. Cette dépêche, qui lui fut immédiatement envoyée, le trouva encore en Allemagne : il se rendit directement à son poste.
Il avait été loin de s'attendre à cette marque de souvenir de la part de Napoléon, après le dévouement qu'il avait montré à son frère ; aussi ne put-il se l'expliquer, que comme un moyen qui avait paru propre à lui faire abandonner l'ex-roi de Hollande, moyen qui n'aurait pas réussi toutefois, sans les torts de ce dernier envers lui. Louis, de son côté, crut que la chose avait été concertée entre le général et le ministère français : de là l'humeur qu'il a manifestée depuis contre l'ancien colonel général de sa garde (1).
Le général Travers fut nommé, en 1811, baron de l'Empire, sous la dénomination particulière de baron de Jever. L'année suivante, l'empereur lui conféra la grande croix de l'ordre de la Réunion, et plus tard il lui assigna une dotation sur les campagnes de Rome, comme un équivalent des revenus de la terre de Jever. Après la malheureuse expédition de Russie, Napoléon l'envoya au Havre, pour y organiser une cohorte de garde nationale mobile. Il fut chargé ensuite de se rendre dans le grand duché de Berg, où il organisa un corps de lanciers. Il fit la campagne de 1813 à la grande armée, et ne dut son salut, à la bataille de Leipsick, qu'à la hardiesse avec laquelle il traversa l'Elster, après que le pont qui devait servir à la retraite de l'armée française eut été coupé.
Lorsque des revers successifs eurent mis la France dans la position d'avoir à défendre ses propres frontières, Napoléon le chargea du commandement de l'importante forteresse de Condé. Dans ce poste , qui lui imposait des obligations quelquefois rigoureuses pour les habitants, il sut se faire chérir d'eux par sa modération et sa justice. Il fut le dernier des généraux de l'armée du Nord qui arborèrent la cocarde blanche.
La restauration le dégoûta du service de France. Dans le temps qu'il commandait le département de la Dyle, il avait formé, à Bruxelles, une union qui devait l'attacher au sort des Belges : il vint offrir son épée au nouveau souverain sous les lois duquel leur pays avait été placé. Cette démarche, il se crut d'autant plus autorisé à la faire, que, sous le règne de Louis, il avait été naturalisé Hollandais.
Sa demande n'avait pas encore obtenu de décision, lorsqu'il apprit le débarquement de Napoléon de l’île d'Elbe, et sa marche triomphale à travers la France. Prévoyant que sa patrie allait avoir à soutenir de nouvelles luttes, il n'hésita pas un instant, se rendit à Paris : l'Empereur lui donna le commandement d'une brigade.
Le général Travers assista à la bataille de Waterloo, où il se signala par des prodiges de valeur, à la tête des 7e et 12e régiments de cuirassiers. Par suite d'une faute commise dans le commencement de l'action, l'artillerie du 1er corps ayant quitté la position qu'elle occupait, les dragons de la reine, anglais, s'étaient avancés sur elle, y avaient porté le désordre, et s'étaient même emparés de plusieurs pièces. Le général Travers reçut l'ordre de les arrêter avec ses cuirassiers. L'impétuosité avec laquelle il les chargea fut telle, qu'il les culbuta du premier choc, et il se remit en possession des pièces tombées entre leurs mains. On sait tout ce qu'eut à souffrir la cavalerie française dans cette mémorable journée, surtout depuis le moment où l'arrivée du corps de Bulow eut changé entièrement l'aspect de la bataille, et déterminé Napoléon à diriger les plus grands efforts contre le centre de la position anglaise, dans l'espoir de l'enfoncer. Le plateau de la Haie-sainte fut, depuis cinq heures jusqu'à sept, le théâtre d 'un combat dont, a dit un écrivain (2), il n'y a peut-être pas d'exemple dans l'histoire, tant à cause de son acharnement que de la disposition des troupes. Les régiments anglais étaient formés en carrés, que la cavalerie française attaquait tour à tour et en tous sens. Dès qu'elle s'éloignait d'un carré, pour se mettre en ligne, celui-ci se déployait pour recommencer son feu; s'approchait-elle de nouveau, le carré se reformait. Atteinte de toutes parts par le feu des bataillons ennemis, au milieu desquels elle promenait la terreur et la mort, elle ne se rebuta pas un instant de la continuité de ses efforts ni des pertes nombreuses qu'elle fit (3).
Blessé dangereusement à la jambe, après avoir eu trois chevaux tués sous lui, le général Travers fut entraîné dans la déroute de l'armée. A Cambrai, où il parvint non sans des peines infinies, des dangers d'un autre genre l'attendaient. Le duc de Feltre, qui venait de rentrer à la suite de Louis XVIII, le mit on ne sait pour quel motif, en état d'arrestation : il le fit garder à vue par des gendarmes, en le menaçant de le faire fusiller. Le caractère connu de Clarke était bien propre à lui inspirer des inquiétudes sur les effets de cette menace : heureusement que les pressantes sollicitations de ses amis, celles surtout du maréchal Maison, lui firent obtenir sa mise en liberté. Il se retira à Bruxelles, où il se fit soigner de sa blessure.
Le général Travers ne montra pas moins d'éloignement pour servir la seconde restauration, qu'il n'en avait témoigné pour la première. Il passa dix-huit mois dans le repos, au sein de sa famille, auprès d'une épouse qui embellissait son existence par ses vertus. A la fin de 1816, le roi des Pays-Bas, malgré la répugnance, facile à comprendre, qu'il éprouvait à employer ceux qui s'étaient battus contre lui à Waterloo, sûr de trouver dans le général un sujet fidèle et dévoué, en même temps qu'un officier dont l'expérience et les talents lui seraient d'un grand secours, l'admit à son service avec le grade de général major, correspondant à celui de général de brigade qu'il avait eu en France. Il commanda, en cette qualité, la 1re brigade de cuirassiers. En 1821, Guillaume l'appela au commandement de la province de Gueldre ; et enfin, en 1825, il le plaça à la tête de la maréchaussée royale, dont il le nomma inspecteur général, poste qu'il a rempli jusqu'à sa mort. Le général Travers rendit de signalés services dans l'organisation de cette arme importante.
Telle est, en abrégé, la vie militaire d'un homme auquel est dû un rang honorable parmi tant de noms distingués qui, de 1794 à 1815, figurent avec éclat dans les annales de la gloire française. Sa vie privée n'est pas du domaine de l'historien : je me tairai donc sur une foule de traits qui rendent sa mémoire si précieuse à tous ceux qui l'ont connu. Disons seulement que son caractère franc et loyal, son empressement à rendre service à tous ceux qui avaient recours à lui, l'esprit de justice qui fut constamment la règle de ses actions, et cette aménité de mœurs, qui s'alliait si bien chez lui à une bravoure à toute épreuve, lui concilièrent, dans les différentes positions où il se trouva et dans les divers pays où il fut employé, les suffrages des hommes de toutes les opinions et de tous les partis.
Lorsque Louis Bonaparte le créa baron de Jevers, il voulut concevoir lui-même la devise des armoiries qu'il lui donna ; il choisit la suivante : Altyd de Zelfde, Toujours Le Même. Ces deux mots renferment le plus bel éloge que l'on puisse faire de lui.
Le général Travers était ennemi de l'intrigue, et jamais l'intérêt n'eut d'influence sur ses déterminations. On a vu qu'il ne consulte que son attachement pour Louis Bonaparte, lorsque ce prince se fut décidé à se soustraire, par sa retraite en Allemagne, à la domination de son frère. Le parti qu'il embrassa dans cette circonstance ne nuisit pas peu à son avancement : les événements de 1814 et 1815 lui furent plus funestes encore. Sa conduite à Waterloo lui aurait valu le grade de général de division, qui lui avait été en quelque sorte promis sur le champ de bataille, si la chute de Napoléon n'avait été écrite dans le livre des destins. En Hollande il retrouva, dans des grades supérieurs au sien, plusieurs de ceux qui, du temps de Louis, avaient été ses subordonnés : ceux-ci avaient eu sur lui l'avantage de suivre la bannière que la fortune avait favorisée.
Le général Travers, qui n'avait jamais joui des revenus de la baronnie de Jever, dont Louis Bonaparte l'avait gratifié, se vit également frustré, en 1814, de la dotation qui lui avait été assignée en Italie, pour prix du sang versé au service de la France ; peu intéressé, comme je l'ai dit tout-à-l'heure, il s'en consola aisément. Si, à l'exemple de tant d'autres, il avait été plus soucieux d'accroître sa fortune, les occasions ne lui en auraient pas manqué dans le temps qu'il était chargé en Hollande, sous le règne de Louis, du commandement des troupes destinées à prévenir la contrebande. Une fois entr'autres, on vint l'avertir qu'un convoi considérable devait passer ; on lui dit que l'on avait compté sur son inaction, et qu'une récompense proportionnée au service qu'on attendait de lui, lui était destinée : on avait cru pouvoir lui tenir ce langage, parce que l'on savait qu'il avait toute la confiance du roi, qui non seulement tolérait la fraude, mais l'encourageait sous main, pour favoriser le commerce hollandais. Mais le général n'était pas homme à transiger avec ses devoirs. Ses instructions lui imposaient celui de réprimer la contrebande : au risque de déplaire au roi, il saisit le convoi entier de marchandises. Louis en éprouva beaucoup de mauvaise humeur, et la lui fit sentir.
Le général baron Travers est décédé à son château de Nieuwenhoven, près de St-Trond, le 10 septembre 1827, après quarante années de service effectif, emportant au tombeau les regrets de ses compagnons d'armes, qu'il regardait et traitait comme des frères, ceux de tous ses amis et les pleurs d'une famille qui le chérissait tendrement.
Gachard.

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(1) Ce sentiment de mauvaise humeur perce dans l'ouvrage que Louis a publié sous le titre de : Documens historiques et Réflexions sur le gouvernement de la Hollande : il lui fait dire que le général était «devenu insupportable dans l'exil, par ses opinions, ses manières et ses discours, et qu'il se fit employer en France ». Une seule considération peut rendre excusables ces imputations si injustes: c'est que les apparences purent faire croire à Louis que le général avait négocié son emploi en France, ce qui n'était pas. Un peu plus loin, Louis parle des intrigues secrètes ourdies pour l'isoler : mais il prétend que ce furent ceux qui furent dupes de ces intrigues, tandis que ce fut lui qui s'en laissa circonvenir.
(2) Le général Guillaume de Vaudoncourt.
(3) Le même.

 

 

 

 

 

 

 

 

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  Voir aussi : http://napoleon-monuments.eu/Napoleon1er/Travers.htm
     
         

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