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Junot

 

Laure Permon, plus connue sous le nom de duchesse d'Abrantès, épousa Junot en 1800. Elle a tracé dans ses "Mémoires" le portrait de son mari, Andoche Junot :

  Duchesse d'Abrantès
 

Parmi les jeunes officiers que le général Bonaparte avait présentés à ma mère, lorsqu'il fut nommé commandant de l'armée de l'intérieur, elle en avait distingué un, tant à cause de ses manières franches sans rudesse et de son air ouvert, qu'en raison de l'extrême attachement qu'il témoignait pour son général. Cet attachement tenait presque de la passion. Il y avait en lui un enthousiasme tellement touchant que ma mère, dont l'âme élevée, le cœur aimant concevaient tous les sentiments exaltés, avait aussitôt distingué le colonel Junot. Elle lui voua dès ce moment la plus sincère amitié. Il venait quelquefois nous voir, malgré la brouillerie qui existait entre ma mère et son général. J'étais bien enfant alors et je ne me doutais pas que ce beau colonel, aux blonds cheveux, aux vêtements pittoresques, au visage gracieux et sévère tout à la fois, reviendrait, trois ans plus tard, demander par amour la main de cette petite fille à laquelle il faisait à peine attention alors.

   
 

De tous les officiers composant l'état-major du général Bonaparte, le colonel Junot était celui qui avait eu la destinée la plus aventureusement heureuse. Idéalement brave, il portait, en stigmates fraîchement reçus, les glorieuses marques d'une valeur que ses ennemis même les plus acharnés n'ont pas pu lui disputer. Le général en chef avait su l'apprécier, et à l'origine de sa fortune se rattachaient plusieurs actes très remarquables, non seulement de courage, mais aussi d'honneur et de loyauté. C'est au siège de Toulon que le général l'avait connu, et d'une manière qui mérite par sa bizarrerie d'être rapportée avec détail.

Junot naquit à Bussy-le-Grand, département de la Côte-d'Or, le 24 septembre 1771, et, pour le dire en passant, on lui donna pour nom patronymique celui du saint dont le jour de sa naissance était la fête; ce qui fut cause qu'il eut bien le nom le plus extravagant qui fût en France. Il s'appelait Andoche. Aussi que de mal ce malheureux nom ne donna-t-il pas par la suite aux maîtres en l'art de plaire, qui étaient en possession de chanter les puissances.

Les parents de Junot étaient de bons bourgeois; sa famille avait de l'aisance. Les deux frères de sa mère étaient, l'un médecin à Paris, où il jouissait d'une considération méritée, l'autre premier chanoine de la cathédrale d'Evreux, ayant de bons bénéfices qu'il devait laisser à l'aîné de ses neveux, M. Junot, qui est mort receveur général de la Haute-Saône. L'abbé Bien-Aimé était un digne prêtre, dont je vénère la mémoire. Il est mort évêque de Metz en 1806, regretté de tout son diocèse, dont les pauvres l'appelaient le Bien-Nommé.

Avant la Révolution de 89, la classe bourgeoise ne mettant pas ses fils au service, Junot se destinait au barreau. Il étudia pour être avocat et fit ce qu'on appelait alors de bonnes études. Son éducation, commencée à Montbard chez un brave homme nommé M. Heurté, dont il parlait toujours avec reconnaissance, fut terminée au collège de Châtillon-sur-Seine. C'est là qu'il connut Marmont, élève du même collège, et qu'ils se lièrent tous deux de cette amitié que rien n'altéra jamais, bien qu'ils suivissent tous deux la même carrière. Cette amitié n'eut de terme qu'à la mort de Junot en 18l3.

 Junot avait un caractère fort remarquable et que n'ont pas toujours apprécié ceux qui l'ont approché, parce que lui-même y mettait obstacle quelquefois par un défaut qui nuisait en effet à ses nombreuses qualités, c'était une extrême irritabilité, facilement excitée chez lui par la seule apparence d'un tort. Dès qu'il pouvait en supposer un, surtout relativement à quelqu'un sous ses ordres, pour un objet dépendant du service, il ne pouvait s'empêcher de le témoigner d'une manière d'autant plus dure que, dans le même cas, il aurait été tout aussi sévère pour quelqu'un des siens. Combien cette manière d'être lui a fait d'ennemis de gens qui ne pouvaient, après tout, lui reprocher d'autre tort que celui qu'eux-mêmes avaient eu! Une inexactitude dans le service, une tenue négligée, une administration douteuse, toutes ces fautes le mettaient hors de lui et sa franchise alors ne lui permettait aucune parole transitoire.

Junot avait une belle âme, ignorait le mensonge et était doué d'une générosité, d'une noblesse de caractère, que ses ennemis ont cherché à présenter comme un vice, mais que sa nombreuse famille, qui pendant quinze ans n'eut d'autre soutien que lui, la foule de militaires infirmes, de veuves chargées d'enfants, qui recevaient de lui des pensions et des secours, ne nommeront jamais que la vertu d'un noble cœur.

On pensera peut-être que j'ai mis de la partialité en traçant le portrait de mon mari ; il n'en est rien. Je n'écris que sous l'influence de la vérité. Celle dont la magie pouvait m'égarer est détruite depuis bien des années. Je ne fais que mon devoir, en lui reconnaissant des vertus qu'il avait en effet. Il possédait à un degré éminent les qualités d'un bon fils, d'un bon ami et d'un excellent père. Je me rappelle que M. Fox me dit un jour combien il avait été touché en voyant Junot, la veille, à la sortie de l'Opéra, s'occuper de sa mère avec le soin, le respect qu'il aurait eu pour la première pairesse d'Angleterre. Que d'amis de collège, que de parents dans l'indigence il a aidés, secourus et sauvés ! Combien d'ingrats dont il a fait la fortune, dont il a été le patron, le frère ! (...)

Junot adorait ses enfants. Il faut connaître comme moi toute cette sollicitude, si vive, si tendre, qui l'occupait au milieu même du danger. Quelles lettres il m'écrivait quelquefois ! Combien elles étaient touchantes par leur naïveté, si je puis me servir de ce mot ! C'était pour savoir si la dixième dent de son fils était enfin percée. « Mais quand sèvreras-tu donc le petit Rodrigue? » Et puis ses filles, que faisaient-elles? Étaient-elles grandies? Travaillaient-elles? Ces détails peuvent paraître puérils; mais ces lettres étaient écrites sous le feu de l'ennemi, au milieu des glaces de la Russie, ou bien une heure après avoir reçu une balle dans la figure, avant même d'être pansé. je les ai toutes, ces lettres précieuses. Mes enfants les :recevront de moi comme un héritage sacré.

Entré dans le monde avec la Révolution, Junot est tout à fait l'un de ses fils. Il avait à peine vingt ans lorsque le premier roulement de tambour se fit entendre. Un cri de guerre retentit dans tout le royaume; les plus sages voulaient le combat, tous s'ennuyaient du repos. Si Junot n'eût pas été mon mari, je dirais comment il devint aussitôt un jeune Achille. Ce fut un réveil, une passion des armes et, au même instant, un oubli entier de cette vie molle et oisive qu'il menait auparavant.
- Et cependant, me disait-il lorsqu'il me parlait de ce temps-là, il ne me paraissait pas que j'eusse jamais été autrement.

Ce fut alors qu'il entra dans ce fameux bataillon des volontaires de la Côte-d'Or, si renommé par la quantité de généraux et de grands officiers de l'Empire sortis de ses rangs. Il avait pour chef l'aimable et malheureux Cazotte. Après la reddition de Longwy, le bataillon fut dirigé sur Toulon, qu'il s'agissait de reprendre sur les Anglais. C'était le moment le plus affreux de la Révolution. Junot était sergent de grenadiers, grade qu'il avait reçu sur le champ de bataille. Souvent, en me racontant les premières années de sa vie aventureuse, il me parlait de cet événement comme d'une chose immense dans son existence. Il disait, avec cet accent qui persuade parce qu'il est vrai, que dans le cours de sa carrière d'honneurs, rien ne lui avait donné un délire de joie comparable à ce qu'il avait éprouvé lorsque ses camarades, « tous aussi braves que lui », disait-il, l'avaient nommé leur sergent, que leur chef le confirmait dans ce grade et qu'il était élevé sur un pavois tremblant formé de baïonnettes encore fraîchement teintes du sang de l'ennemi.

C'est dans ce même temps que, étant un jour au poste de la batterie des Sans-Culottes, un commandant d'artillerie, venu de Paris depuis peu de jours pour diriger les opérations du siège en ce qui regardait l'artillerie sous les ordres de l'intelligent Cartaux, demanda à l'officier du poste un jeune sous-officier qui eût en même temps de l'audace et de l'intelligence. Le lieutenant appelle aussitôt La Tempête et Junot se présente. Le commandant fixe sur lui cet œil qui semblait déjà connaître les hommes.
- Tu vas quitter ton habit, dit le commandant, et tu iras porter cet ordre. Il lui indiquait de la main un point plus éloigné de la côte, et lui expliqua ce qu'il voulait de lui. Le jeune sergent devint rouge comme une grenade, ses yeux étincelèrent.
- Je ne suis pas un espion, répondit-il au commandant; cherchez un autre que moi pour exécuter votre ordre.

Et il se retirait.
- Tu refuses d'obéir? lui dit l'officier supérieur d'un ton sévère; sais-tu bien à quoi tu t'exposes?
- Je suis prêt à obéir, dit Junot, mais j'irai là où vous m'envoyez avec mon uniforme, où je n'irai pas. C'est encore bien de l'honneur pour ces... Anglais.

Le commandant sourit en le regardant attentivement.
- Mais ils te tueront ! reprit-il.
- Que vous importe? Vous ne me connaissez pas assez pour que cela vous fasse de la peine et quant à moi, ça m'est égal... Allons, je pars comme je suis, n'est-ce pas ?
Alors il mit la main dans sa giberne.
- Bien ! avec mon sabre et ces dragées-là, du moins la conversation ne languira pas, si ces messieurs veulent causer.
Et il partit en chantant.

Après son départ, « Comment s'appelle ce jeune homme? demanda l'officier supérieur. 
- Junot. 
- Il fera son chemin. » 
Alors le commandant inscrivit son nom sur ses tablettes. C'était déjà un jugement d'un grand poids, car on a facilement deviné que l'officier d'artillerie était Napoléon.

Peu de jours après, se retrouvant à cette même batterie que l'on appelait la batterie des Sans-Culottes, Bonaparte demanda quelqu'un qui eût une belle écriture; Junot sortit des rangs et se présenta. Bonaparte le reconnut pour le sergent qui déjà avait fixé son attention. Il lui témoigna de l'intérêt et lui dit de se placer pour écrire une lettre sous sa dictée. Junot se mit sur l'épaulement même de la batterie. A peine avait-il terminé sa lettre, qu'une bombe lancée par les Anglais éclate à dix pas et le couvre de terre ainsi que la lettre.
- Bien! dit en riant Junot, nous n'avions pas de sable pour sécher l'encre.

Bonaparte arrêta son regard sur le jeune sergent; il était calme et n'avait pas même tressailli. Cette circonstance décida sa fortune. Il demeura près du commandant d'artillerie et ne retourna plus à son corps. Plus tard, lorsque la ville fut prise et que Bonaparte fut nommé général, Junot ne demanda pas d'autre récompense de sa belle conduite pendant le siège que d'être nommé son aide de camp (1), préférant un grade inférieur à celui qu'il pouvait avoir en restant au corps. Mais pour cela il fallait quitter Bonaparte et Junot ne le pouvait déjà plus.

Junot avait une âme de feu et le plus noble cœur.  Il s'attacha bientôt à son général avec un dévouement qui devenait un culte. Sans avoir la mesure du géant qui était devant lui, son esprit pénétrant avait jugé qu'il voyait un grand homme. Voici l'extrait d'une lettre dont l'original est dans mes mains. Elle fut écrite en 1794, lorsque M. Junot père, alarmé de la résolution de son fils, lui demanda quelques renseignements sur l'homme dont il suivait la fortune :
- Pourquoi as-tu quitté le commandant Laborde ? Pourquoi avoir quitté ton corps? Qu'est-ce que c'est que ce général Bonaparte? Où a-t-il servi? Personne ne connaît ça.
Junot répondit à son père et lui expliqua pourquoi il avait préféré le service d'état-major, surtout d'une manière aussi active qu'il allait le faire avec son général, au service plus lent dans ses résultats que celui qu'il aurait fait en restant à son bataillon, puis il ajoutait :
- Vous me demandez ce que c'est que le général Bonaparte? je pourrais répondre comme Santeuil : Pour savoir ce qu'il est il faut être lui-même ! je vous dirai toutefois que, autant que j'ai pu le juger, c'est un de ces hommes dont la nature est avare et qu'elle ne jette sur le globe que de siècles en siècles (2).

Lorsque Napoléon partit pour l'Egypte, il passa par la Bourgogne en allant s'embarquer à Toulon. Il s'arrêta à Dijon, où était alors mon beau-père, qui lui fit voir la lettre que je viens de citer.
- Elle ne fait que me confirmer dans la conviction que j'ai de l'attachement que me porte votre fils, monsieur Junot, dit le général. Il m'en a donné de fortes preuves dont je suis très touché. Aussi, vous et lui pouvez compter que je l'aiderai de tout mon pouvoir et de toutes mes relations pour faire son chemin dans notre aventureuse carrière.

Mon beau-père ne demandait plus alors ce que c'était que ce petit général Bonaparte ; ses paroles étaient aussi précieuses pour le bon vieillard que s'il eût été Siméon et se fût trouvé en présence du Messie. Un quart d'heure après cette conversation, ce que lui avait dit Bonaparte était écrit dans son portefeuille et dans sa poche gauche, bien près de son cœur. Son adoration pour Napoléon devint dès ce moment presque aussi forte que celle de son fils.

Bonaparte tint la parole qu'il avait donnée au père de Junot. Il fut pour lui un bon et utile patron ; mais aussi combien le lien prêtait pour donner un texte à la bienveillance! On a vu précédemment comment Junot, au désespoir de l'arrestation et de la mise en accusation du général Bonaparte, avait voulu partager sa captivité, comment il avait été repoussé de la prison par Napoléon lui-même, qui lui avait fait enfin comprendre qu'il lui serait plus utile en restant libre. En effet, nous voyons que la défense de Napoléon adressée par lui aux représentants du peuple, Albitte et Salicetti, qui l'avaient fait arrêter, est de l'écriture de Junot. On y trouve seulement quelques notes de la main de Bonaparte. Après la mise en liberté du général, Junot, comme on l'a vu, l'avait suivi à Paris. Là, il partagea constamment sa misère et lui fit toujours part de ce qu'il recevait de sa famille.
- Les galions ne sont pas encore arrivés, disait Bonaparte à ma mère, lorsqu'il venait la voir avec une figure bien allongée et une redingote grise, qui depuis est devenue bien fameuse mais qui alors n'était qu'un vêtement fort râpé.
- La diligence de Bourgogne n'est pas arrivée. Si elle ne vient pas ce soir, nous ne dînerons pas demain, à moins que vous ne nous receviez, madame de Permon.

Ce que Napoléon appelait les galions consistait en deux ou trois cents francs que Mme Junot la mère envoyait à son fils. Il partageait avec son général.
- Et c'est toujours moi qui ai la plus grosse part, disait Bonaparte.

Lorsqu'après le 13 vendémiaire Napoléon reçut le commandement de l'armée de l'intérieur, il prit d'autres aides de camp. Marmont fut du nombre, et à cette époque, lui, Junot et Muiron étaient les privilégiés de son état-major.

Junot et Muiron étaient intimement liés ensemble. Ils furent quelque temps les deux seuls officiers attachés au général Bonaparte. Marmont ne fit partie de son état-major qu'après le 13 vendémiaire, lorsqu'il fut nommé général de l'armée de l'intérieur; encore je ne pense pas qu'il ait été breveté aide de camp avant la nomination du général en chef de l'armée d'Italie. Quant à Duroc, ce n'est positivement qu'en Italie qu'il fut attaché à Bonaparte. L'amitié de Junot pour Muiron ne reçut aucune altération de l'arrivée de Marmont à leur petit état-major, bien que, comme je crois l'avoir dit, ils eussent été élevés ensemble dans le même collège, à Châtillon-sur-Seine, et il continua à être intimement lié avec Muiron qu'il aimait comme un frère.

Une chose assez particulière au caractère ou plutôt au cœur de Junot, c'est qu'il était aussi faible, aussi superstitieux pour ses amis qu'il aimait le plus intimement, qu'il était insouciant et téméraire pour lui-même et toutes les fois qu'une bataille devait avoir lieu, il était tourmenté sur le sort de ses amis, jusqu'au moment où il se retrouvait avec eux. (...)

Pendant toute la durée des campagnes d'Italie, Junot suivit Bonaparte dans ces champs de gloire; son sang n'y fut pas épargné. Il se trouva à toutes les belles journées d'Arcole, de Lodi, de Castiglione, de Lonato, du Tagliamento, etc., etc. Il servit son pays sur le champ de bataille et son général avec toute l'activité que l'on pouvait attendre d'un attachement comme le sien. Bonaparte, qui le connaissait et savait l'apprécier, l'employa dans les campagnes d'Italie autrement que comme un officier d'avant-garde.

L'affaire de Venise, dans laquelle il fallait à la fois de la finesse et une extrême fermeté, lui fut confiée. Il vint apporter des drapeaux que son bras avait aidé à conquérir et sa mission avait, ainsi qu'on le verra, un but tout diplomatique.

J'ai dit précédemment que Junot avait prodigué son sang pour la gloire de sa patrie. J'en rapporterai ici quelques exemples. Pendant la campagne d'Italie, au combat de Lonato, il reçut, comme on vient de le voir tout à l'heure, cette belle blessure que l'on voyait à sa tempe gauche, mais la plus affreuse de ses blessures était un coup de feu reçu en Allemagne, lorsqu'il y était simple volontaire. Cette blessure, dont la cicatrice seule faisait frémir, avait dû être terrible. On sentait le battement du cerveau, et jamais un peigne ne pouvait la toucher. La cicatrice était longue au moins d'un pouce et profonde de sept à huit lignes.

A des intervalles assez rapprochés, pendant les trois ou quatre années qui suivirent cette campagne, cette blessure se rouvrait d'une manière aussi singulière qu'effrayante et, le sang circulant avec une violente rapidité, Junot courait à chaque fois le risque d'une hémorragie. Un jour, à Milan, étant chez Mme Bonaparte, où ils jouaient au vingt-et-un, Junot était assis à une table ronde, tournant le dos à la porte du cabinet du général en chef. Le général sort de son cabinet sans être entendu de Junot. Il fait signe de ne rien dire et, s'avançant doucement, il met sa main dans cette belle chevelure blonde qu'avait alors le jeune aide de camp et lui tire fortement les cheveux. Junot ne peut retenir un demi-cri, tant la douleur est violente. Il sourit, mais son visage est devenu pâle comme celui d'un mort, puis d'une rougeur effrayante. Le général retire sa main; elle était pleine de sang !

Junot joignait à une imagination brillante et créatrice un esprit fin et très prompt à saisir l'inconnu, dès qu'il s'offrait à lui. Il apprenait tout avec une rapidité incroyable. Il faisait de jolis vers très facilement, jouait la comédie avec un talent tout à fait remarquable et écrivait à merveille. On pourrait dire de lui, en voyant ses lettres, que son cœur avait de l'esprit. Il était vif et même emporté. Cela venait de la trop rapide circulation de son sang. Mais jamais il ne fut ni grossier ni brutal et, dans les treize années qu'a duré notre union, je n'ai pas été une seule fois témoin de scènes pareilles à ce dont on parle dans le Mémorial de Sainte-Hélène. L'empereur n'a pas pu le dire, ou bien alors, dans sa distraction, il a prononcé un nom pour un autre. L'image de Junot, parcourant son bel hôtel, comme le nomme le Mémorial, le sabre à la main, pour solder ses créanciers, est vraiment bouffonne pour qui connaissait Junot et savait à quel point il était désireux d'être en harmonie avec la place élevée qu'il occupait. Junot recherchait tout ce qui avait été fait pendant le temps du gouvernement du duc de Brissac. Cette charge, si éminente jadis sous les Bourbons, l'était bien autrement sous l'empereur.
Le gouverneur de Paris commandait activement à près de quatre-vingt mille hommes. Son autorité, du moins du temps de Junot, seul gouverneur de Paris qui ait eu un si grand pouvoir, son autorité, dis-je, s'étendait jusqu'à Blois, et je crois même jusqu'à Tours.
Tous les militaires de marque étrangers et français, qui passaient par Paris, étaient reçus par lui. Tout ce qui venait en France ayant quelque renom était admis au gouvernement de Paris et, dès le premier jour de sa nomination, Junot voulut rappeler le duc de Brissac, sinon par ses deux queues et son écharpe blanche, au moins par la politesse de ses manières.
Ce désir d'être bien dans ses rapports avec le monde social date même de bien plus loin, malgré l'amour de Junot pour la république et son aversion pour les anciennes coutumes. (...)

_______________________________________
(1) Junot et Muiron, qui périt depuis si malheureusement, furent les deux premiers aides de camp que Napoléon ait eus.
(2). L'empereur a eu les deux lettres en sa possession, en passant par la Bourgogne trois ans plus tard, pour aller en Égypte.

 

Voir : Laure Permon, duchesse d'Abrantès.

     

 

 

 

     

 

 

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