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Adresses au premier consul

     
 

 

Depuis la constitution de l’an X, le régime républicain de Brumaire s’est transformé, comme l’écrit Jean Tulard, en « un despotisme auquel ne manquait plus que le titre monarchique ou impérial ».
Le premier consul nomme à toutes les places lucratives, il dispense faveur et honneurs.
"La centralisation avait placé tous ces ressorts dans sa main. Tous les corps de l’Etat, toutes les administrations, toutes les assemblées, tous les citoyens disposant d’une influence quelconque, étaient nommés et payés par lui, se mouvaient sur un signe de sa volonté." ( Pierre Lanfrey.)
D’autre part, le premier consul tient dans ses mains le Moniteur, journal officiel, et tous les autres journaux sont sévèrement contrôlés par lui. Il ne lui est pas difficile, dans ces conditions, d’insuffler des mouvements d’opinion qui donnent l’illusion que la France unanime veut lui donner tous les pouvoirs.
A croire les journaux, il n’y a pas d’opposition. Il serait plus juste de dire que toute manifestation d’opposition est interdite et vite étouffée.
Quant aux adresses dont le Moniteur regorge, on trouve, dans des Mémoires, des témoignages de la façon dont elles sont "spontanément" émises :

Thibaudeau, à l’époque préfet des Bouches-du-Rhône, écrit dans ses Mémoires :

     
 

Lorsque Moreau fut arrêté, Regnaud de Saint-Jean-d’Angély m’écrivit : "(…) Ils veulent tuer Bonaparte ; il faut le défendre et le rendre immortel par la succession. C’est mon opinion bien réfléchie. Si j’étais préfet, tout mon département écrirait dans ce sens."
(…) L’impulsion donnée de Paris dans les départements produisit ses fruits ; je ne voulus pas rester en arrière. D’après le conseil de mes amis, j’envoyai une adresse au Premier consul au nom du conseiller d’Etat préfet du département, du conseil de préfecture, du secrétaire général, du commissaire général de police et de son secrétaire général. (…)

     
 

Quant au général Thiébault, qui commandait à Orléans, il rapporte :

     
 

Le 2 mai (1804), je reçus toute rédigée une adresse qui avait pour but de supplier très humblement le premier consul de se laisser nommer empereur. Cette adresse devait être lue de suite à tous les fonctionnaires militaires et à toutes les troupes se trouvant à Orléans, et revêtue du plus grand nombre de signatures possible, elle devait être renvoyée par courrier et arriver à Paris le samedi soir. La lettre d’envoi portait en outre de me trouver, avec le major du 40e de ligne, à Saint-Cloud, le dimanche suivant à onze heures du matin, pour participer à la solennité du vœu exprimé dans l’adresse. L’exécution fut ponctuelle ; mais pour arriver à l’heure dite, ce major et moi, nous fûmes forcés de partir par un service spécial de poste, c’est-à-dire de faire des frais dont le remboursement parut être dans l’honneur qu’on nous avait fait et dans le bonheur que nous devions goûter de voir s’accomplir ce que, par parenthèse, nous n’avions souhaité ni l’un ni l’autre. Notre vœu d’ailleurs n’allait s’exaucer que pour le malheur de celui qui l’avait ordonné et de ceux qui de gré ou de force l’exprimèrent.

     

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Documents

 

     
  Pierre Lanfrey, Histoire de Napoléon (1869), tome 3, p. 7 :    
 

La Révolution avait vécu de la puissance de l’opinion ; les partis l’avaient violentée au profit de leurs passions, mais ils ne l’avaient ni confisquée, ni falsifiée. Bonaparte, qui l’avait d’abord réduite au silence, résolut de s’approprier cette force précieuse en la mettant en jeu avec des ressorts plus dociles. La centralisation avait placé tous ces ressorts dans sa main. Tous les corps de l’Etat, toutes les administrations, toutes les assemblées, tous les citoyens disposant d’une influence quelconque, étaient nommés et payés par lui, se mouvaient sur un signe de sa volonté. Il suffisait d’un mot pour mettre en action l’immense machine qui saisissait le pays tout entier et le remuait dans ses dernières profondeurs. On avait besoin d’un mouvement national ; on le commanda, et on en eut aussitôt un parfait simulacre exécuté avec la ponctualité d’une évolution sur le champ de manœuvres. Ce fut l’affaire d’une consigne donnée aux préfets et aux évêques. Et l’on vit ce pays affamé de repos, rassasié de gloire militaire, possédant plus de conquêtes qu’il n’en pouvait garder, étranger aux querelles de son maître et désirant avant tout la paix, retentir tout à coup d’un long cri de guerre qu’il était étonné d’entendre ; on le vit, trompé peu à peu par l’illusion de cette agitation factice, s’enflammer d’une ardeur nouvelle en faveur d’une cause qui n’était plus la sienne. Ce fut à la fois le coup d’essai et le triomphe de cette centralisation que Bonaparte venait de restaurer avec un instinct si profond des conditions du despotisme. Ce fut aussi le premier châtiment de la lâche apathie avec laquelle la nation avait souffert qu’on lui imposât ce honteux régime. Elle y avait cherché le repos, elle y trouvait la guerre.
Le signal fut comme toujours donné à Paris. Les assemblées publiques reçurent les premières le mot d’ordre. Tour à tour amoindries, épurées, annulées par une longue série de remaniements et de savantes réglementations, elles vivaient entourées de silence, confinées obscurément dans des questions de droit civil et d’administration ; elles s’étaient déjà habituées à considérer la politique comme un domaine exclusivement réservé au pouvoir exécutif. On leur rendit la parole pour la circonstance en leur communiquant une très faible partie des pièces diplomatiques relatives à la rupture avec l’Angleterre (…)

     

 

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