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  Faits et événements  > L'assassinat du duc d'Enghien

Dernière modification le 18 octobre 2006.

Avril 1804 : L'assassinat du duc d'Enghien
Les réactions en Europe

  Extrait de l'Ouvrage de Henri Welschinger : Le duc d'Enghien 1772-1804, Paris 1888 :  
 

Quelle a été l'attitude de l'Europe après l'attentat d'Ettenheim et l'exécution de Vincennes? Elle a été lamentable. A part quelques puissances, la Russie, la Suède et l'Angleterre, l'Europe a paru s'associer à la violation flagrante du droit des gens et au meurtre qui l'a suivie.
L'électeur de Bade, en réponse à l'injure faite à son territoire, adresse les plus plates excuses au premier Consul et chasse les émigrés de ses États. "C'était au souverain de Bade seul à se plaindre, observe Napoléon, et il ne l'a pas fait." Et plus tard l'Empereur affirme que l'Électeur lui a livré le prince. Le ministre de Bade à Paris, le baron de Dalberg, ne se décide à informer officiellement sa cour que le 20 mars, si bien qu'on peut déduire de ce retard voulu la complicité silencieuse de l'Électeur. D'ailleurs, ce prince, comme tous ceux qui ont pris part à ces déplorables événements, reçoit sa récompense. Ses États sont agrandis. En 1806, il est nommé grand-duc. La Russie, au contraire, appuyée par la Suède, proteste vigoureusement. Devant la diète de Ratisbonne, elle choisit pour grief principal la violation du territoire badois et l'offense faite au droit des gens (1). Son mémoire, rédigé par le prince Adam Czartoryski, fait appel à la vengeance de l'Europe. Mais l'électeur de Bade, redoutant les foudres du premier Consul devenu empereur, remercie la Russie de la pureté de ses intentions. Il supplie en même temps la Diète de ne donner aucune suite aux ouvertures faites les 6 et 13 mai, de crainte de troubler le repos de l'Empire et de l'Europe. Sa déclaration, conçue dans des termes dictés par Talleyra:nd lui-même, est approuvée par l'Autriche, la Prusse et les divers électorats, si bien que l'intervention du Tzar demeure sans résultat. Pour le moment, tout se borne entre la Russie et la France à une rupture de relations diplomatiques. La dépêche où Talleyrand rappelait l'assassinat de Paul 1er avait irrité au plus haut point le Tzar, qui cherchait l'occasion de se venger. Sur sa volonté, le cabinet russe négociait dans l'ombre avec l'Angleterre et l'Autriche une intervention contre la France.
Le roi de Suède, ami du duc d'Enghien, manifesta ouvertement son indignation. Aussitôt, des personnes attachées à l'électeur de Bade allèrent trouver notre agent, M. Massias, et le prièrent de faire savoir à l'Empereur "que le séjour du roi de Suède (à Carlsruhe) était, sous bien des rapports, à charge à S. A. S. Électorale (2)." Ainsi l'Électeur, qui avait si facilement sacrifié son hôte, était encore prêt à sacrifier son gendre, tant il avait peur de Napoléon !... La Prusse, qui tenait à l'alliance et à la neutralité françaises, n'osa protester. La haute société seule se livrait à des commentaires malveillants que notre ambassadeur, M. Laforest, ne craignait pas de reproduire dans ses dépêches (3). Mais la cour, en général, gardait le silence. Pour éviter l'embarrassante question du deuil, la Gazette royale de Berlin ne fit aucune allusion au procès et à la condamnation du duc d'Enghien. Le cabinet de Berlin renvoya toute cachetée à Louis XVIII la protestation que ce prince avait adressée au roi de Prusse
contre l'enlèvement de son neveu. Il alla même plus loin. Il fit complimenter ironiquement Louis XVIII, par le président de 'Hoym, d'être resté étranger aux complots dirigés contre le premier Consul.
A Munich, on se soumettait aux circonstances. A Stuttgard, même attitude, mêmes courbettes. A Dresde, la peur domina aussi l'indignation. Quant à l'Autriche, elle prit le parti de dissimuler. Connaissant sa faiblesse, le premier Consul traita dédaigneusement cette puissance. « Si les mesures prises, mandait Talleyrand à notre ambassadeur Champagny, étaient l'objet de quelque observation qu'on élèverait devant vous, vous ne manqueriez pas de repousser, même avec moquerie, les arguments qu'on voudrait tirer du droit des gens (4). » A ces explications
sardoniques Talleyrand joignait un ordre. Il fallait que l'Autriche éloignât immédiatement, à cinquante lieues des frontières, les émigrés français qui pouvaient rester dans la Souabe et dans le Brisgau. L'Autriche obéit à l'ordre. Elle ne répondit pas à la lettre de Louis XVIII. Elle combla l'ambassadeur français de cajoleries et d'attentions. François II alla même jusqu'à dire à Champagny: " Si vous n'êtes pas content de mes ministres, adressez-vous à moi ; je les ferai aller! » En résumé, l'Autriche accepta toutes les humiliations, comptant sur l'avenir et nouant peu à peu des intrigues secrètes avec la Russie et ]'Angleterre (5).
La cour de Naples fit prévenir notre ambassadeur Alquier "qu'il n'y aurait pas de deuil». La cour de Rome s'émut de l'attentat. "Quand le cardinal Fesch vint, de la part du chef de la France, rapporte Consalvi, annoncer au Pape l'assassinat de cette grande et innocente victime, le Saint-Père pleura beaucoup et dit que ses larmes coulaient autant sur la mort de l'un que sur l'attentat de l'autre (6)... » L'exécution de Vincennes fut une des raisons qui firent longtemps hésiter le Pape à se rendre à Paris pour le sacre. Il ne céda que dans l'intérêt de la religion. La cour de Madrid osa montrer de la satisfaction à notre ministre Beurnonville. "Le Roi a témoigné qu'il aurait désiré que le ci-devant prince ne se fût point compromis ainsi, et le prince de la Paix m'a rajeuni le mot déjà usé, que lorsqu'on a du mauvais sang, il faut le verser 1 l "Aussi l'on comprend que Louis XVIII ait fait retourner au monarque espagnol l'ordre de la Toison d'or, ne voulant pas porter cette décoration en même temps que le premier Consul, auquel le misérable Charles IV décernait en cette occasion de piteux éloges. " Il est clair d'après cela, observait Beurnonville à Talleyrand, que la cour d'Espagne a envisagé cet événement sous le jour où votre instruction m'aurait fait un devoir de le présenter. " Ainsi Talleyrand prescrivait à ses agents de présenter l'exécution du duc d'Enghien comme le châtiment d'un crime avéré, et le général Beurnonville voyait tout simplement dans le propos effroyable de Godoï la reproduction même des instructions ministérielles.
L'Angleterre protesta de toute son énergie contre la part qu'on lui avait attribuée dans la conspiration de Georges, et par suite dans les faits qui avaient amené la mort du duc d'Enghien (7). Elle ne pouvait cependant nier sérieusement qu'elle eût favorisé certaines intrigues dirigées contre la France, et le génie astucieux de Talleyrand sut adroitement tirer parti de sa complicité. N'ayant pu trouver dans les papiers du duc d'Enghien la preuve manifeste d'un complot dirigé contre le premierConsul, et voulant quand même justifier la violation du territoire badois, le ministre des relations extérieures mit à profit pour sa cause les complots peu habiles de quelques agents anglais. L'un d'eux, Spencer Smith, s'était fixé à Stuttgard, où il cabalait contre le gouvernement français. A Munich, sir Francis Drake, autre agent anglais, se livrait à de semblables menées. La police consulaire eut recours en cette occasion à l'adresse de l'ex-j'acobin Méhée de la Touche. Celui-ci découvrit les intrigues de Drake, tandis que le capitaine Rosey, se faisant passer pour un complice, s'emparait adroitement de la confiance et des secrets de Smith. Deux rapports officiels dénoncèrent avec fracas toutes ces machinations à l'Europe. Mais le 30 avril, lord Hawkesbury, dans une circulaire adressée à tous les cabinets, les traita de calomnies. Il affirmait que ces accusations avaient été inventées pour détourner l'attention publique de l'acte sanguinaire commis récemment au mépris du droit des gens, des lois de l'honneur et de l'humanité. Cette réponse contenait une grande partie de vrai. Tout en blâmant les menées de Drake et de Smith, il faut reconnaître que les missions de Méhée et du capitaine Rosey, les rapports du grand juge et les commentaires de Talleyrand n'ont eu d'abord pour but que de faire prendre le change aux esprits sur les derniers événements. Ces documents, exagérant les faits, ont essayé, mais en vain, de prouver qu'une immense conspiration menaçait la vie du premier Consul, de Strasbourg à Munich, de Stuttgard à Ettenheim, de Fribourg à Offenbourg, de Kehl à Besançon. A quoi donc en réalité ont servi ces rapports dont on a inondé les départements français et les capitales étrangères ? Leur but principal est évident. S'ils n'ont pu démontrer la culpabilité du duc d'Enghien, ils ont largement contribué à satisfaire l'ambition du premier Consul. Après la communication de l'affaire Drake, le Sénat résolut de consolider les institutions du pays par d'autres institutions, « jugées nécessaires pour perpétuer les bienfaits de l'ordre social" , c'est-à-dire de créer l'Empire.
Deux mois après l'exécution de Vincennes, Bonaparte monta sur le trône de France. La majeure partie de l'Europe qui, au lendemain du 21 mars, avait montré sa pusil- lanimité et sa condescendance, salua son maître. Elle allait bientôt voir se réaliser la prédiction de l'un de ses diplomates: « Bonaparte lui-même, malgré son insensibilité, a eu sinon des remords, du moins des craintes pour sa future renommée, et l'Europe, soyez-en sûr, payera son crime des fruits ruineux pour elle d'un surcroît de gloire française (8). La coalition de 1805 devait en effet aboutir à Austerlitz.

 

 

 

(1) Voir pour les détails les Mémoires du prince A. Czartoryski, librairie Plon, 1887, t. 1er; la Correspondance de Russie, aux Archives des affaires étrangères, et les Mémoires du général Dirk von Hogendorp. (La Haye, 188'1.)

 

  (2) Archives des affaires étrangères. Correspondance de Bade.
Le roi de Suède avait fait demander le 3 avril au ministre des relations extérieures le testament du duc d'Enghien, dans l'intérêt de la princesse de Rohan. M. de Talleyrand fit brutalement répondre par M. Massias: «Comme nous ne nous mêlons aucunement des affaires de la Suède. nous n'entendons pas qu'on s'occupe des nôtres. 1
 

  (3) Correspondance de Russie.
 

  (4) Correspondance de Vienne. - L'Aulriche conclut, le 6 novembre 1804, un traité secret d'alliance défensive avec la Russie.
 

  (5) Mémoires du cardinal Consalvi. ,
 

  (6) Correspondance de Madrid.
 

  (7) Pitt déclara que le premier Consul s'était, par cette mort, fait beaucoup plus de mal que ne lui en avait fait l'Angleterre.
 

 


 
  (8).Voir les mêmes impressions dans le rapport du marquis Lucchesini en date du 24 mars 1804.  

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

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