|  | Gand, 
              7 messidor an XI (20 juin 1803).  Général, 
              le citoyen Faipoult est préfet du département de l'Escaut.; 
              c'est un bon administrateur, considéré, très 
              estimé et sachant d'ailleurs par un esprit conciliant attirer 
              et réunir tout le monde. On dit du bien des sous-préfets : celui d'Audenarde est le 
              seul dont on parle avec défaveur.
 Le maire de Gand est un homme sans moyens et très ordinaire. 
              L'évêque (1) a de l'esprit, il se conduit bien, et 
              dirige parfaitement son clergé, dont en général 
              on est content.
 Les grains sont encore chers, mais il y a tout lieu d'espérer 
              que bientôt ils baisseront, la récolte donnant de si 
              belles espérances.
 Les routes du département sont assez bonnes. On trouve seulement, 
              allant à Anvers, une lieue et demie de sables difficiles, 
              parce qu'il 
              n'y a pas de pavé. Il se fait peu de contrebande dans ce 
              département.
 On évalue la population de Gand à 55.000 âmes. 
              Cette ville est une des plus importantes de la France par son commerce. 
              Il y a des négociants très riches. Son industrie est 
              dans un état florissant. La ville fourmille de fabriques, 
              manufactures et raffineries. On y peint une grande quantité 
              de toiles de coton, on le file, et il s'y fabrique de très 
              beaux basins. Il y a encore des tanneries qui fournissent des cuirs 
              superbes et qui le disputent, dit-on, à ceux d 'Angleterre. 
              C'est encore le pays des belles et bonnes toiles et des dentelles 
              : ces deux derniers articles sont surtout demandés par l'Espagne. 
              La ville est traversée par l'Escaut et par une quantité 
              considérable de canaux presque tous navigables. Il y a encore 
              un muséum intéressant ; le bâtiment en est surtout 
              remarquable, c'est une ancienne église construite sur le 
              modèle de Saint-Pierre de Rome, et, quoique en petit, cet 
              édifice mérite d'être vu, l'architecture en 
              est riche et agréable.
 Mais rien ne m'a frappé à Gand comme la maison de 
              détention. C'est un établissement qui honore l'humanité 
              et véritablement curieux. Le repaire du crime a été 
              converti en ateliers de toute espèce : on prépare 
              le coton, on y file du fil, on y fait de très beaux basins, 
              et des ouvrages en fer et en menuiserie. Ce qui a l'avantage d'arracher 
              ces malheureux à l'oisiveté et de leur rendre par 
              là leur détention plus supportable réunit encore 
              celui de diminuer les prix de la main d'œuvre, le salaire étant 
              moins considérable que celui des autres ouvriers. Il n'y 
              a jamais eu de couvent mieux et plus proprement tenu que cette maison, 
              qui cependant renferme plus de six cents condamnés des deux 
              sexes. L'édifice est beau par lui-même, surtout très 
              ingénieusement construit : je crois qu'on le doit à 
              l'empereur Joseph II.
 Le département de l'Escaut est riche par son sol, son agriculture 
              bien entendue, mais principalement par son industrie. De tous côtés 
              on trouve des manufactures et des fabriques, surtout à Saint-Nicolas, 
              petite ville de onze à douze mille âmes de population 
              située sur la route d'Anvers. Les plus chétifs villages 
              flattent la vue par leur grande propreté et annoncent partout 
              l'aisance. Les habitants sont bons, ils comptent pour une grande 
              époque de bonheur le passage du premier Consul, et c'est 
              ici le cas de le dire, tous les cœurs volent à sa rencontre. 
              Il n'en est pas tout à fait de même dans le département 
              des Deux-Nethes 
              : il y a un fait qui vient d'arriver à Anvers qui fait peu 
              d 'honneur à ses habitants. Une garde d'honneur s'était 
              organisée, mais n'a-t-elle pas eu la bassesse de se dissoudre 
              et de rendre ses armes à la suite de quelque mesure qui avait 
              été prise contre les conscrits, qu'on ne peut faire 
              partir qu'avec des difficultés incroyables !
 Le premier régiment de chasseurs est à Gand depuis 
              trois ou quatre jours : c'est un corps superbe, dont j'ai déjà 
              eu l'honneur de vous parler dans ma lettre de Verdun. II y a encore 
              un bataillon de la 108e, dont je vous ai rendu compte par ma dernière 
              d'Anvers. Les casernes sont très belles à Gand.
     
                  Salut et respect. 
 Lagrange.
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