|
Toute
l'armée était, à cette époque, livrée
à une effroyable insubordination. La garnison de Nancy, surtout,
portait à l'excès l'indiscipline ; et, sous prétexte
que les officiers lui faisaient d'injustes retenues, elle allait
souvent jusqu'à les maltraiter, jusqu'à les consigner.
Ces scènes de désordre se passent dans l'intervalle
du 16 au 31 août 1790. L'assemblée nationale, en ayant
été instruite, prend les mesures les plus vigoureuses
pour réprimer l'anarchie militaire. Elle rend, sous l'inspiration
du comte de Mirabeau, un décret sévère contre
la garnison de Nancy. Cette garnison était composée
de trois régiments, celui du Roi, celui de Mestre-de-Camp,
cavalerie, et le régiment suisse de Châteauvieux. M.
de Malseigne, officier distingué parles sentiments d'un excellent
Français, et remarquable par une force de corps prodigieuse,
est chargé d'aller lire à la garnison rebelle de Nancy
le décret qui lui ordonne de rentrer dans le devoir. Les
deux régiments français écoutent avec une vive
impatience la lecture du décret; mais le régiment
de Châteauvieux se montre encore plus emporté dans
son insubordination. Il menace M. de Malseigne ; un soldat
d'abord veut l'arrêter, en lui présentant la baïonnette ;
l'officier français l'écarte, et se retire: il a bientôt
affaire au régiment tout entier, et ce n'est qu'après
une lutte opiniâtre et qui honore à jamais son courage
et son dévouement, qu'il lui est permis de gagner sa maison.
Le lendemain d'une journée où il a couru de si grands
dangers, vers midi, il part pour Lunéville, où résident
huit escadrons de carabiniers. Lorsqu'il est près d'arriver
dans cette ville, il se voit poursuivi par plusieurs cavaliers de
la garnison de Nancy ;heureusement il aperçoit en ce
moment sur la route un détachement des carabiniers de Lunéville ;
il les somme de lui prêter main-forte, ils obéissent,
et il revient à leur tête contre les cavaliers rebelles ;
il en blesse neuf ou dix, et met le reste en fuite. Le lendemain,
toute la garnison de Nancy, irritée du traitement qui a été
fait à ses soldats, vient à Lunéville pour
en demander vengeance. Les carabiniers qui, la veille , avaient
prêté à M. de Malseigne un appui généreux,
ont la lâcheté de le trahir ; ils le surprennent
dans le sommeil, et le livrent pieds et poings liés à
la garnison révoltée. Dans le même temps, celle-ci
maltraitait et arrêtait un grand nombre de ses officiers.
M. le marquis de Bouillé était alors gouverneur militaire
à Metz ; son gouvernement se composait des anciennes
provinces de la Lorraine , des trois évêchés,
de l'Alsace et de la Franche-Comté. Ce général,
loin d'imiter la conduite de tous les officiers qui avaient fait
la guerre d'Amérique, était entièrement dévoué
à la famille royale, et s'était déjà
fait connaître par quelques actes opposés à
la révolution. Aussitôt qu'il est instruit que la garnison
de Nancy s'est mise en pleine révolte, il compose à
la hâte une petite armée de la garde nationale de Metz,
et d'un régiment suisse ; et, le 31 août, marche
à sa tête contre les rebelles. Déjà il
est près des murs de Nancy ; les rebelles s'effrayent;
ils lui envoient des députés ; il leur répond
avec inflexibilité : il exige qu'on mette sur le champ
en liberté tous les officiers arrêtés, qu'on
pose les armes, et qu'on sorte de la ville. La première condition
est remplie; et déjà les révoltés s'apprêtaient
à remplir les deux autres, lorsque le régiment de
Châteauvieux, campé à la porte Stainvîlle,
voyant que ce sont des Suisses, des compatriotes, qui marchent contre
lui, s'abandonne à la fureur, et se prépare à
combattre. Le beau, le noble dévouement d'un jeune officier
du régiment du Roi, M. Désilles, ne peut fléchir
sa colère. Ce généreux jeune homme s'est placé
à l'embouchure d'un canon ; rien ne peut l'en arracher,
et il s'y tient cramponné, jusqu'à ce que, percé
de plusieurs coups de feu, il tombe sans connaissance. Huit jours
après, ce brave officier meurt de ses blessures. Cependant
les soldats de Châteauvieux tirent leur canon contre leurs
compatriotes ; c'est le signal du combat. L'armée de
M. de Bouillé, enflammée de fureur, se précipite
dans la ville par la porte Stainville, poursuit avec acharnement
les rebelles, leur tue et leur blesse un grand nombre d'hommes ;
le désordre est à son comble dans la malheureuse ville
de Nancy. Heureusement le régiment du Roi ne peut venir prendre
part au combat ; il s'est tenu enfermé dans sa caserne,
par les conseils de ses officiers. Sans cette sage précaution,
Nancy avait tout à craindre des fureurs du soldat. Les révoltés,
poursuivis partout vigoureusement, se sont retirés dans les
maisons ; et des fenêtres et des toits, ils combattent
encore l'armée fidèle de M. de Bouillé. Enfin,
au bout de trois heures de résistance, à sept heures
du soir, le combat finit ; les rebelles se soumettent , et
implorent leur pardon par l'organe de leurs officiers M. le marquis
de Bouillé déploie, dans cette circonstance, toute
la fermeté nécessaire, et mérite de justes
éloges. L'assemblée nationale se charge de prononcer
le jugement des soldats français qui ont si fort compromis,
par leur révolte, la tranquillité publique. Quant
aux Suisses, il sont livrés à la justice de leur régiment ;
dix-sept d'entr'eux sont pendus, et vingt-deux envoyés aux
galères.
|
|
Désilles |
|