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(...)
J’ai
rejoint mon Corps le 2 mars 1815. Etant en marche pour y arriver,
j’entendais parler de ville en ville le long de ma route, que l’Empereur
était débarqué de son île, et qu’il marchait
à grande journée avec de la troupe pour se diriger
sur Paris. En effet, plusieurs régiments ont reçu
l’ordre du Roi de quitter leurs garnisons et de marcher contre l'Empereur,
qui comme il est dit se dirigeait sur Paris. Il y en eut qui se
sont refusés de marcher, d'autres ont obéi aux ordres,
et ont marché sur Lyon où l'Empereur se dirigeait.
Enfin le Roi donna aussi ordre à sa Garde de partir, et quand
toute sa troupe fut rencontrée avec celle de l'Empereur,
plusieurs corps d'armée ont passé avec celui-ci et
les autres n'ont pas voulu faire feu. Le Roi fut aussitôt
instruit de cela, et il a été obligé ainsi
que sa famille, de quitter Paris, et s’enfuirent du côté
de l’Ille, et ils ont je crois embarqué pour l'Angleterre.
Notre régiment n'a fait aucun mouvement, l'Empereur rentra
aussitôt dans ses Etats et il est arrivé à Paris
le 1er avril 1815.
Il fit de suite organiser les régiments, et donna ordre de
choisir les hommes disponibles, et d'en former trois bataillons
de marche par régiment au lieu de 4 dont étaient composés
les régiments. Et ceux indisponibles d'en former le dépôt.
Cela fut exécuté dans peu de temps, et aussitôt
l'exécution de cet ordre, on fit partir le régiment
de la dite ville du Havre et le dépôt y resta.
Nous sortîmes de la garnison le 22 avril pour nous rendre
à Paris où nous sommes arrivés le 2 mai, et
le 8 du même mois nous nous sommes réunis sur la place
du château des Thuilleries, où l'Empereur nous y passât
en revue avec plusieurs régiments, et il donna ordre de partir
le lendemain 9 mai pour nous diriger sur Laon (ville de Picardie)
(bour-où nous fûmes cantonnés dans les environs
jusqu'au 11 juin, et à cette époque on donna ordre
de marcher en colonne sur la vile de Monbeuge où l'ennemi
venait nous attaquer. Les 13 et 14 nous avons marché sans
l'apercevoir, mais le 15 nous l'avons trouvé près
de Charles-le-Roi, où il s'est livré une petite bataille
sur les hauteurs devant cette ville.
RN L’ennemi n’étant point en force il s’est retiré
rejoindre le fort de leur armée, qui était dans la
plaine de Fleurus. Le 16 juin au matin, l'armée française
s'est mise en mouvement pour aller attaquer l'ennemi qui se trouvait
en bataille dans la dite plaine ; aussitôt que les Français
ont débusqué de la forêt située entre
Fleurus et Charles-le-Roi, l'ennemi fit feu sur nous, et aussitôt
l'artillerie française se mit en bataille et elle a de suite
fait feu. La cavalerie, l’infanterie etc. se sont aussi mis en bataille
et de suite les tirailleurs ont été envoyés
en avant. Le feu s'est animé de part et d'autre, si bien
qu'on a continué à se battre jusqu'à huit heures
du soir et sans quitter les positions, nous avons fait beaucoup
de prisonniers et grand nombre d'hommes furent tués et blessés
de part et d'autre, cependant à 9 heures du soir, l'ennemi
s'est retiré de sa position et il a pris la fuite pendant
la nuit du 16 au 17 juin. Les Français ont bivouaqué
sur le champ de gloire, et ayant passé la nuit sous les armes,
le 17 au matin nous partîmes de cette position pour aller
à la poursuite de l'ennemi.
En traversant le champ de bataille, nous avons été
obligés de passer sur les corps morts tant il y en avait
de tués ; nous avons vu une grande quantité de Prussiens
qui avaient voulu se sauver en passant dans des jardins, et plusieurs
étaient tués et restés dans les haies où
ils voulaient passer pour s'enfuir. La bataille fut ce jour-là
honorable pour les français.
Durant cette journée du 17 il n'a cessé un instant
de pleuvoir. La troupe était toute harassée de fatigues.
Enfin, on nous fit bivouaquer dans une plaine à près
d'une lieue éloignée de Waterloo, c'est-à-dire
de l'autre côté du village nommé Jemmapes ;
sur la route de Bruxelles, ayant encore passé une triste
nuit dans l'eau et sur la terre, nous étions fatigués
de la marche, et encore plus par l'eau que nous avions reçu
pendant la nuit ; nos armes qui se trouvaient incapables de faire
feu tant elles étaient rouillées. On a aussitôt
à la pointe du jour donné ordre aux régiments
de nettoyer et d'apprêter leurs armes, et de les mettre en
état de faire feu ; et en même temps de regarder dans
les gibernes si les cartouches n'étaient point mouillées.
On en trouva de suite et elles furent remplacées.
Sur les dix
heures du matin (18 juin 1815) le régiment sortit de son
campement pour se diriger sur Waterloo, où la bataille était
déjà animée, les régiments qui faisaient
partie de notre corps d'armée (6e d'observation) se sont
réunis, et ils ont marché en colonne jusqu'aux environs
de la bataille, on nous fit tenir dans cette position jusqu'à
trois heures de relevée, et ayant été exposé
un grand longtemps par les boulets de canon qui venaient tomber
dans nos rangs, on nous fit marcher en colonne serrée jusqu'au
milieu du champ de bataille ; marchant pour arriver à cet
endroit plusieurs hommes furent tués dans les rangs, et étant
arrivés, on nous fit mettre en carré par régiment
en raison de ce que la cavalerie anglaise était près
de nous qui se battait avec des cuirassiers français, elle
est venue plusieurs fois pour foncer nos carrés ; mais elle
n'a remportée aucun succès, les boulets et la mitraille
tombaient dans nos carrés comme la grêle, nous étions
là avec ordre de ne pas tirer un coup de fusil et ayant la
baïonnette croisée, beaucoup d'hommes furent tués
dans cette position.
Après quelques heures de position en carré, les chefs
de bataillon ont reçu ordre d'envoyer leurs voltigeurs en
tirailleurs, j'étais sergent-major de la 3e compagnie, et
aussitôt cet ordre donné nous y fûmes conduits
par nos officiers, et étant arrivés près de
l'ennemi nous nous sommes disposés çà et là
près d'un bois situé sur la droite de la route de
Bruxelles, étant bien animé et soutenu par des colonnes
de cavalerie qui étaient derrière nous, nous avons
restreint l'ennemi à se retirer ; mais aussitôt notre
poursuite quarante mille hommes ennemis débusquèrent
à l'instant du bois et ils ont de suite fait feu sur nous
; les voltigeurs qui se trouvaient là ont été
tous tués et blessés : moi d'abord je fus blessé
d'une balle qui me traversa le corps en passant par l’aine gauche
et qui est sortie après une incision faite, au gros de la
fesse droite, elle me fit tomber le ventre à terre et je
fus de suite ramassé par deux de mes sergents qui se trouvaient
alors près de moi, ils m'ont ramassé et m'ont mis
sur un cheval d'artillerie ; mais à peine avais-je fait vingt
pas sur ce cheval que je fus obligé de me laisser tomber
en bas du dit cheval en raison de ce que je ne pouvais supporter
sa marche : j'ai resté sur le champ de bataille les 18, 19
et 20 juin, époque où je fus ramassé par des
paysans, et de suite conduit à Bruxelles, où l'on
me pansa pour la première fois : je faisais partie d'un convoi
de 1500 hommes blessés ; la bataille fut terrible pour les
Français, ils ont eu une déroute complète,
des parcs d'artillerie, de caissons de munitions, et de vivres,
furent restés au pouvoir de l'ennemi ; la retraite était
si précipitée qu'on n'avait à peine le temps
de couper les traits des chevaux attelés après les
pièces, pour se sauver. Enfin je ne ferai point la description
entière de cette malheureuse retraite, puisque je fus pris
prisonnier ; mais étant resté sur le champ de bataille,
j'ai vu grande partie de la troupe ennemie qui marchait à
la poursuite des Français. J'étais resté sur
place baigné dans mon sang, et malgré cette cruelle
position, j'eusse encore la précaution avant que l'ennemi
ne passe dans nous, de défaire mes culottes et mes caleçons,
et de me mettre sur mon ventre le nez en terre pour leur faire voir
que j'étais tué et pillé ; quoique cette bonne
précaution, il y eut un cavalier qui a voulu se satisfaire
de mon sort, il m'a lancé un coup de pointe de sabre sur
le cou, mais j'ai encore eu assez de forces pour ne pas bouger de
ma position ; car si j'eusse fait le moindre mouvement, il est à
croire qu'il m'aurait achevé, et je fus dans mon triste sort
assez heureux de conserver un peu d'argent que j'avais eu la précaution
de cacher dans ma bouche.
Etant arrivés à Bruxelles comme il est parlé
ci-dessus nous y avons resté quelques jours, et de là
on nous fit embarquer pour aller à Anvers. (...)
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