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Nous
campâmes aux environs de Genappe. La pluie qui avait commencé
le 17 dura toute la nuit.
Le lendemain, 18 juin, nous nous mîmes en route à cinq
heures du matin et nous vînmes faire halte près d’une
ferme où se trouvait l’Empereur. Vers onze heures, notre
régiment se remit en marche et arriva sur un grand plateau,
à gauche, où il y avait déjà une grande
quantité de troupes toutes en colonne. De là on apercevait
les masses d’infanterie anglaise rangées sur des hauteurs
en avant de la forêt de Soignies.
A peine arrivés sur ce plateau, nous eûmes l’ordre
de nous porter en avant et de nous déployer à gauche
de la 5e division (1re division de notre corps). Avant d’arriver
sur le terrain, ma compagnie de voltigeurs fut envoyée pour
fouiller le petit bois d’Hougoumont sur lequel s’appuyait la gauche
de l’armée. Je déployai le reste de mon bataillon
à gauche du 69e qui formait la gauche de la 5e division.
Un pli de terrain dérobait cette division à la vue
des Anglais, et cachait aussi mon bataillon. Un chemin creux qui
faisait suite au pli de terrain semblait devoir servir d’abri à
notre 2e bataillon : mais comme en s’y établissant on faisait
un peu rentrer la ligne, notre général de brigade
(qui fut tué peu de temps après) ordonna au 2e bataillon
de s’établir en avant du chemin creux. Cela le mit en vue
de l’ennemi : aussi à peine la 1re division était-elle
placée que les batteries anglaises, établies d’avance,
firent un feu très vif qui coucha par terre une vingtaine
d’hommes du 2e bataillon, et les boulets se succédaient avec
une telle rapidité qu’on fut obligé de redescendre
dans le chemin creux. Ces coups de canon semblèrent donner
le signal de l’action principale et le feu s’alluma sur toute la
ligne.
Après divers mouvements, je fus envoyé vers une heure
après-midi pour soutenir les tirailleurs du bois d’Hougoumont.
Au débouché du bois il y avait une maison que les
Anglais avaient crénelée. Plusieurs fois nos tirailleurs,
malgré l’ordre qu’ils avaient de se borner à empêcher
l’ennemi de déboucher sur notre gauche, voulurent emporter
cette maison qui les gênait. Chaque fois ils étaient
repoussés et rétrogradaient en deçà
du bois ; alors je m’efforçais de les soutenir et de les
ramener à leur place : car j’avais été bien
prévenu que c’était sur nous que devait pivoter l’armée
et par conséquent qu’il fallait à tout prix conserver
notre position. Je passai ainsi une partie de la journée,
ayant souvent des hommes blessés par les balles anglaises
ou par des obus.
Pendant que j’étais assis au bas d’un talus, au bord du bois,
j’entendis rouler quelque chose derrière moi. Je me retournai
et je vis un obus qui descendait la pente à ma droite. J’eus
le temps de me coucher, et il éclata sans me faire de mal.
Vers cinq heures, un petit mouvement rétrograde se manifesta
sur notre ligne. Ce mouvement était, je crois, occasionné
par le retour de notre cavalerie qui n’avait pas produit l’effet
qu’on attendait. Cela nous parut un fâcheux pronostic, mais
ne nous empêcha pas de tenir bon en face des Anglais.
Il était
déjà tard et, malgré tous nos efforts, nous
n’avions pu nous emparer du château d’Hougoumont ; nous avions
perdu plus des deux tiers de notre monde, notre colonel, le brave
Cubières, était grièvement blessé. Le
général de brigade Bauduin venait d’être tué.
Ce qui restait de notre régiment se réunit dans un
chemin creux pour se reformer. A côté de nous se trouvait
le général Guilleminot, qui envoya son aide de camp
près du prince Jérôme pour avoir des nouvelles.
Il était environ sept heures du soir quand l’aide de camp
vint nous dire, de la part du prince, que Grouchy débouchait
sur la gauche des Anglais et que, par conséquent, la bataille
était gagnée. Joie trompeuse ! Alors le général
fit marcher en avant nos débris que nous plaçâmes
en bataille, en avant du chemin creux, à côté
d’un escadron des lanciers rouges de la Garde.
(...)
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