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Rouen.
Extrait d'une lettre d'un officier supérieur de l'armée,
reçue à Rouen le 25 juin.
J'arrive de l'armée, et quoique je n'aie point été
initié dans les secrets de l'état-major, je puis vous
donner, comme témoin oculaire et accoutumé à
voir des troupes et des batailles, quelques renseignements exacts
sur les derniers événements qui ont eu lieu.
L'armée, qui a passé la Sambre, se composait des 1er,
2e, 3e, 5e et 6e corps ; de la garde ; de la cavalerie, et de l'artillerie.
Les cinq corps étaient composés de 68 régiments
d'infanterie, forts l'un dans l'autre de 1000 hommes, ensemble ....68.000
hommes
La garde avait à peu près.........18.000
La cavalerie .........16.000
L'artillerie, avec 300 pièces de canon...... 6.000
Total... 108.000 Hommes.
Les forces de l'ennemi étaient à-peu-près de
150.000 hommes.
(...)
L'Empereur, avec le reste de l'armée, qui, après les
pertes faites la veille à Ligny, pouvait s'élever
à 60.000 hommes, déboucha le 17 par la grande route
de Bruxelles, et fut prendre position en arrière du Mont-Saint-Jean.
La plupart des régiments furent établis sur des terrains
marécageux, où ils étaient dans la boue jusqu'à
mi-jambe. La nuit fut affreuse ; la pluie tomba à verse,
et la violence du vent la rendait insupportable. Personne ne put
prendre de repos. On partit à deux heures pour se porter
en arrière de la ferme de Planchenois, où avait couché
l'Empereur. On donna l'ordre de nettoyer les armes et de se préparer
au combat pour neuf heures : aussitôt qu'elles sonnèrent,
l'armée s'ébranla ; le 2e corps se plaça sur
deux lignes, ayant le 1er à sa droite ; la cavalerie derrière
; puis le 6e corps, et ensuite la garde.
L'ennemi nous
attendait en bataille ; sa droite appuyant à un village fortifié
et couvert par un petit bois garni de ses tirailleurs ; son centre
était placé sur le revers d'un rideau qui nous masquait
son infanterie et sa cavalerie ; son artillerie seule était
en évidence (1). Elle tira les premiers coups ; bientôt
la canonnade s'engagea, et notre artillerie ne tarda point à
prendre une grande supériorité sur celle des Anglais
: elle leur fit sauter une trentaine de caissons. Le prince Jérôme
attaqua la droite des Anglais ; et, après un combat très-acharné,
réussit à s'emparer du bois, mais il ne put point
se rendre maître du village.
Cependant, le centre de l'ennemi fit un mouvement rétrograde,
et il découvrit ses masses ; notre artillerie les écrasa,
et l'armée se porta en avant. On croyait la bataille gagnée,
et on commençait à se féliciter, lorsqu'un
mouvement fait par la cavalerie anglaise décida la nôtre
à se porter au galop en première ligne, où
elle fit plusieurs belles charges, et prit quelques drapeaux ; mais
elle s'y trouva exposée au feu le plus violent que j'aie
jamais vu, et dans peu, elle fit de grandes pertes : les braves
généraux Excelmans et Lallemant furent tués.
Vers quatre heures, on entendit une forte canonnade qui s'engageait
sur notre flanc droit (le corps du maréchal Grouchy). Mais
le désordre commençait sur les derrières de
l'armée, où des malveillants criaient : Sauve
qui peut ! Cependant tous les régiments se battaient
avec le plus grand acharnement. Entre six et sept heures nous occupions
encore une grande partie de la position des Anglais ; mais, bientôt
après, un régiment de cuirassiers et les grenadiers
à cheval de la garde repassèrent nos lignes pour se
porter, sans doute, sur un autre point ; leur retraite fit une forte
impression sur l'esprit des soldats.
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