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Dernière modification: 22/12/2002

 

Reichardt


5 décembre.

Aujourd'hui j'ai à vous initier aux mystères du cérémonial. C'est une question qui est devenue une grosse affaire, non seulement pour les audiences du Premier Consul, mais même pour celles des ministres.

Bien que je sois très recommandé à Talleyrand, il a exigé que je lui fusse présenté dans les règles, par notre envoyé, avant d'être admis chez le Premier Consul. Tous les envoyés ont, du reste, été avisés qu'ils ne devaient plus s'occuper que de personnes reçues à leurs cours respectives ou de gens d'une notoriété exceptionnelle. Il faut donc prévenir le ministre des affaires étrangères, lui soumettre la liste des personnes sollicitant une audience du Consul et les lui présenter à lui-même, préalablement à l'audience. On ne va chez le ministre qu'en costume : le noir est toléré pour ceux qui n'ont pas de fonctions ; mais le catogan, les manchettes, l'épée et les souliers à boucle sont de rigueur.

C'est samedi, à deux heures, que notre envoyé m'a conduit chez Talleyrand. Dans le salon d'attente, il y avait une centaine d'étrangers devant paraître, le lendemain, à l'audience consulaire. Le nouvel ambassadeur anglais, lord Witworth, amenait à lui seul trente-six de ses compatriotes faisant pour la plupart partie de sa légation. Les Anglais entraient dans le cabinet de Talleyrand au moment où nous arrivions ; nous avons donc dû attendre un certain temps. Les ambassades autrichienne et russe avaient passé les premières ; les Espagnols ont suivi les Anglais, notre tour n'est venu qu'après.

Talleyrand nous a à peine laissé le temps de lui faire quelques compliments. Avec son air fatigué, sa physionomie maussade et son grand habit bleu chamarré de broderies d'argent, il ne répond guère à l'idée que l'on a de sa haute capacité. Après quelques phrases de politesse, il n'a parlé que du cérémonial à observer le lendemain, en nous avertissant que nous pourrions assister « en uniforme » à la grande parade qui précéderait l'audience ; ses instructions données, il nous congédia. Pendant l'audience, nous avions fait porter nos cartes chez les quatre préfets du palais et chez Mme Talleyrand, une certaine Mme Grant que le ministre, vient d'épouser. Dans la soirée, la série de mes présentations a été complétée chez les deux autres consuls et chez les ministres par le dépôt de ma carte, formalité indispensable si l'on veut être admis à leurs réceptions. - Jeudi prochain, il faudra me faire présenter à Mme Bonaparte ; et dimanche, pendant l'audience du Premier Consul, ma carte devra être remise préalablement chez sa femme.

Dimanche matin, à onze heures, Lucchesini m'a emmené aux Tuileries et présenté à Duroc, dont l'appartement, au rez-de-chaussée, était plein d'hommes et de femmes en toilette. L'envoyé de Tunis, bel homme de tournure majestueuse, éblouissant de broderies, était l'objet de la curiosité générale. Il causait volontiers en italien, lorgnant attentivement les beautés russes et italiennes de l'assistance.

A midi, la parade a commencé; environ six mille hommes de troupes ont défilé. L'infanterie était rangée entre la grille qui sépare la cour du château du reste de la place, la cavalerie en dehors, sur le terrain que l'on appelle le Carrousel. Cette place a été considérablement agrandie et embellie depuis dix ans : on a démoli les bâtisses qui l'encombraient; elle s'étend maintenant de la galerie du Louvre à la rue Saint-Honoré. Au milieu de la grille qui coupe la place du sud au nord, les chevaux de bronze qui décoraient la place Saint-Marc, à Venise, font assez piteuse mine entre les supports en fer de quatre lanternes. Ils se présentent isolément, alors qu'il est évident qu'ils ont dû former jadis l'attelage d'un quadrige, et flanquent deux à deux l'entrée principale au-dessus de laquelle planent des coqs dorés, qui m'ont tout l'air de devoir se métamorphoser en aigles. Ces coqs donnent lieu à une foule d'allusions malicieuses à "la basse-cour ".

L'infanterie s'est massée par bataillon, de telle sorte que Bonaparte, avec son nombreux état-major, a pu parcourir les rangs en tous sens. Aussitôt après le défilé des fantassins, Bonaparte, sur un cheval blanc, précédé, de quelques généraux et suivi de son inséparable mamelouk, a dépassé la grille pour inspecter la cavalerie. Il portait le petit uniforme de la garde nationale, habit bleu à revers blanc et chapeau d'ordonnance, sans autre insigne. Dix ou douze généraux, escortés par un autre mamelouk, l'entouraient de très près.

Bonaparte est bien à cheval et paraît plus grand sur sa selle qu'il ne l'est en réalité. Je ne saurais détailler sa physionomie, ne l'ayant vu que passant devant les fenêtres de l'appartement de Duroc ; ce qui m'a frappé, c'est son calme sérieux qui s'harmonise à merveille avec son profil antique.

Chaque corps d'infanterie avait sa musique, qui jouait au moment où Bonaparte passait devant le front; j'ai remarqué avec surprise que les morceaux n'avaient pas un caractère belliqueux. Il n'y a que la musique de la garde consulaire qui ait exécuté une marche militaire. Cette excellente bande est ensuite venue se placer au milieu de la cour, près des fenêtres où nous étions, et n'a cessé, pendant le défilé, de jouer des morceaux variés, quelques-uns d'un rythme lent et triste, avec lesquels les trompettes de la cavalerie faisaient une opposition bizarre.

La garde consulaire, composée de beaux hommes d'une allure vraiment héroïque, est superbe. Son uniforme est d'un bel effet : le gilet, la culotte et la buffleterie jaune clair ressortent bien avec l'habit bleu, et les plumets rouges qu'elle porte, comme les autres troupes d'infanterie, complètent l'aspect d'ensemble.

Parmi les régiments de cavalerie, les cuirassiers, avec leurs casques étincelants et leurs cuirasses complètes bien polies, sont des plus imposants. Cependant leurs chevaux bruns m'ont semblé trop petits pour ces grands et vigoureux cavaliers. En général, la cavalerie est moins bien montée que celle des armées autrichiennes et prussiennes.

L'artillerie légère a passé la dernière au grand trot, avec tout le fracas de ses canons et de ses caissons. La revue terminée, au moment où Bonaparte faisait tourner son cheval pour mettre pied à terre, une foule de gens bien mis qui, malgré les sentinelles, s'étaient rapprochés peu à peu des fenêtres du rez-de-chaussée, ont entouré le Premier Consul. On lui a présenté de nombreuses suppliques ; c'est, paraît-il, le seul moyen de lui faire parvenir sûrement une pétition.

Avant de rentrer, Bonaparte avait remis des sabres d'honneur à quatre capitaines de cavalerie, qu'il a invités à dîner. Pendant la revue de l'infanterie, il avait fait sortir des rangs plusieurs grenadiers retour d'Égypte et leur avait adressé quelques mots. Il saisit toutes les occasions de distinguer les Égyptiens d'une manière flatteuse.

Il avait plu avant la parade, mais le soleil s'est montré pour l'éclairer; Bonaparte a cette chance heureuse dans la plupart de ses fêtes militaires.

Vers deux heures, toutes les personnes devant être présentées se sont réunies dans ce que l'on appelle la salle des Ambassadeurs. (...)

Notre audience devait commencer à deux heures et demie; nous avons attendu jusque vers quatre heures la fin de l'audience militaire ! (...)

Dans la salle d'audience, tendue de tapisseries de haute lisse et ornée dans les angles des drapeaux de la garde disposés en trophées, les envoyés, entourés chacun de ses nationaux, se sont rangés suivant l'ordre des préséances. Le prince Louis de Bade, qui devait se faire présenter sous le nom de comte d'Eberstein, se trouvait presque au dernier rang. Bonaparte a su s'y prendre de façon à témoigner des égards au prince, sans contrevenir à l'étiquette. D'après le programme, la légation anglaise devait être présentée en premier lieu ; mais avant que le ministre Talleyrand eût commencé son office, Bonaparte se dirigea vers le prince Louis, le salua en souriant et causa quelques instants avec lui d'une façon très gracieuse. Au moment où le grand et magnifique envoyé anglais, conduit par Talleyrand et par un autre dignitaire, s'avança, Bonaparte prit congé du prince, il devint sérieux et se plaça au milieu du demi-cercle formé par son entourage, un peu en avant des deux autres consuls, - immobiles et muets pendant toute l'audience, aussi bien que les ministres rangés derrière eux. Bonaparte se tint droit, grave et silencieux en face de l'envoyé anglais, qui le salua profondément et lui adressa une assez longue allocution. Quand il eût cessé de parler et salué une seconde fois, Bonaparte, faisant une légère inclination, répondit courtoisement, mais en peu de mots, et l'envoyé rejoignit le personnel de sa légation.

Le premier consul procéda ensuite à sa tournée habituelle des audiences, en commençant par le légat, cardinal Caprara. Il s'arrêtait devant chaque légation, échangeait quelques paroles avec l'envoyé et deux ou trois des personnes présentées. Arrivé devant nous, il me fit l'honneur, après que nous eûmes été nommés, de m'adresser plusieurs questions sur notre cour et notre opéra italien. Il s'est montré particulièrement affable pour l'ancien envoyé prussien, M. de Sandoz-Rollin, que le marquis Lucchesini lui présenta comme arrivé depuis peu. Sa ronde finie, il revint encore causer avec M. de Sandoz-Rollin, eu lui tenant les propos les plus obligeants.

Comme je me trouvais placé à côté de Sandoz et que j'avais derrière moi l'envoyé suisse, avec qui Bonaparte s'est aussi entretenu intentionnellement, à haute voix, de la nouvelle députation suisse et de ses dispositions, j'ai eu toute facilité pour considérer cet homme extraordinaire et étudier sa physionomie. Il a même pénétré dans nos rangs, afin d'échanger quelques mots avec des princes ou généraux russes de sa connaissance, venus à l'audience, sans avoir à se faire présenter une seconde fois. Enfin, à la suite d'une nouvelle causerie avec le prince de Bade, le premier consul, reprenant son air grave, est allé se mettre un peu en avant des deux autres consuls et a salué l'assistance, qui s'est retirée à reculons. J'ai remarqué, à ce moment seulement, que le pourtour de la salle était garni d'officiers de l'état-major. Les légations, redescendant le grand escalier, ont repassé par le couloir d'arrivée pour gagner leurs voitures, stationnées devant une porte latérale des Tuileries.

Pour clore mes comptes rendus officiels, un mot d'un grand dîner chez le conseiller d'État Regnault de Saint-Jean d'Angely. De toutes notabilités rencontrées là, c'est le général Menou qui m'a le plus intéressé. Son commandement en Égypte, et les ennuis qui en sont résultés pour lui, lui ont valu une certaine notoriété. Sa tournure n'a rien de militaire. Avec son costume civil, avec son crâne dénudé, dont la base laisse voir quelques cheveux courts et clairsemés, il a l'air d'un financier. Au total, il m'a fait l'effet d'un bon vivant et nous a longuement vanté le merveilleux café, les châles de l'Inde , valant deux mille livres pièce, dont il a fait cadeau à Mme Bonaparte. Il va occuper le poste de gouverneur de Milan.

(...)

 

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