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Ce
royaume nouveau n'a pas même un nom, adopté en commun
par les habitants ; car ceux qui le nomment les Pays-Bas et ceux
qui l'appellent le Neerland , se traitent réciproquement
d'étrangers et d'ennemis.
Une simple discussion législative a fait éclater aux
yeux des observateurs attentifs ce schisme moral et politique de
la Hollande et de la Belgique, ou, comme on dit ministériellement,
des provinces
septentrionales et des provinces méridionales. Un jurisconsulte
savant, M. Kemper, avait été chargé par le
gouvernement de rédiger un nouveau code civil ; il y a mis
bien du savoir, de la prudence et du talent ; ses définitions
générales préalables étaient d'une justesse
et d'une précision admirables, quoique peut-être trop
minutieuses ; elles étaient en partie tirées de Domat,
de Potbier. On pouvait les modifier, les repousser même comme
inutiles ; mais tout a été décidé par
un motif que l'esprit de parti pouvait seul dicter. « Le
code civil français est ce qu'on a vu de plus parfait en
législation. Comment un Hollandais, un Néerlandais
a-t-il pu le réformer? Qu'il retourne dans ses marais ! Ce
n'est pas aux Néerlandais à donner des lois à
un peuple hautement civilisé, à un peuple qui a participé
aux immortelles lumières de la révolution française
! » Telles sont les déclamations par lesquelles
on repousse la révision d'un code que personne n'admire en
France, pas même les libéraux les plus ignorants, d'un
code particulièrement contraire aux intérêts
d'un pays agricole comme la Belgique. Mais il faut soutenir la révolution
française et proclamer la haine contre les Hollandais ; voilà
tout le système du parti français à Bruxelles.
Comme cette discussion continue encore et continuera longtemps,
il faut voir si, lors de la
présentation des articles positifs, le bon sens des Belges
ne prévaudra pas sur l'esprit de parti.
On a vu , dans les discussions des états-généraux
des Pays-Bas , combien une circonstance, puérile en elle-même,
peut donner d'audace aux esprits essentiellement faux et légers
qui adoptent aveuglément les systèmes de la révolution
française. Parler et écrire le français avec
correction, avec élégance, est assurément un
mérite essentiel dans un Français ; mais, dans tout
autre Européen, c'est un avantage étranger aux grandes
qualités de l'homme public, du savant, et même du littérateur.
M. Pitt et M. Fox, avec leur accent anglais, étaient certainement
des hommes d'état fort supérieurs à tel prince
russe qui enchante les dames parisiennes par son ton et son langage
; les poèmes de Byron, de Goethe, d'Alfieri, survivront assurément
aux vers français de Frédéric II et du prince
de Ligne. Eh bien! le parti de l'opposition à Bruxelles est
d'avis que, lorsqu'on ne parle pas le français avec toute
la pureté brabançonne, on n'est pas digne de donner
des lois aux Belges. Des hommes d'Etat hollandais ont eu la faiblesse
de vouloir s'exprimer dans une langue qui leur est étrangère.
Chaque faute de grammaire qui leur est échappée a
été considérée comme une preuve du peu
de capacité de ces pauvres Néerlandais. Nous qui lisons
avec la même impartialité les discours dans l'une et
l'autre langue, nous ne pouvons nous empêcher de reconnaître
dans les Hollandais plus de vues politiques et plus de connaissances
administratives que dans leurs concitoyens méridionaux.
Nous parlerons, dans un autre endroit, des relations coloniales
de ce royaume. |
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