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SEGUR
( Louis-Philippe, comte de), connu comme poète et comme historien,
fils aîné du maréchal, naquit à Paris,
en 1753. Après avoir reçu une éducation sévère
et fait de brillantes études, il embrassa la carrière
des armes, et alla avec le grade de colonel faire la guerre d'Amérique.
L'amitié du premier chef de la république américaine
fut le premier titre d'honneur acquis au jeune officier. Revenu
en France avec un nom qu'il commençait à ne devoir
qu'à lui-même, il ne tarda pas à être
envoyé en Russie avec le titre d'ambassadeur. Catherine II
apprécia M. de Ségur, qui bientôt rétablit
la bonne intelligence entre les cours de Versailles et de Pétersbourg,
et qui parvint même à conclure un avantageux traité
de commerce (1787). Il avait eu le singulier honneur d'accompagner
l'impératrice dans le fameux voyage de Crimée, promenade
de luxe, véritable féerie, où tout l'or demandé
à la sueur des peuples servit à cacher aux yeux de
Catherine les maux dont ils étaient accablés. Il revint
en France au moment où se formait l'orage politique qui devait
changer la face du monde, et ne tarda pas à être promu
au grade de maréchal de camp. Ségur ne pensa pas,
comme tant d'autres privilégiés, que son devoir fût
d'émigrer et d'aller ameuter les souverains étrangers
contre son pays. Sympathisant avec l'idée de rénovation
, de progrès et de liberté, mais déplorant
les excès qui se commettaient en son nom, il attendit le
péril dans ses foyers et n'abandonna pas ce qu'il devait
défendre. Nommé ministre plénipotentiaire près
du pape Pie VI, ce prince refusa de le recevoir. En 1791 Louis XVI
l'envoya à Berlin, pour tâcher d'obtenir de la Prusse
qu'elle s'abstînt de déclarer la guerre à la
France; et au retour de cette infructueuse mission, il lui offrit
le portefeuille des affaires étrangères. Ségur,
touché de la position personnelle de la famille royale, était
disposé à l'accepter, lorsqu'un ancien premier commis
des affaires étrangères, qui était attaché
à sa famille, vint le prévenir que ce ministère
dont on voulait le charger n'était qu'une déception,
que l'accepter serait inutilement se compromettre, puisque toutes
les mesures qu'il croirait devoir prendre, toutes ses actions, seraient
déjouées par un personnage occulte établi dans
les cours étrangères et chargé confidentiellement
des véritables intentions du roi et de la reine. Quand donc
il revit le roi, il s'excusa avec douleur et respect. Peu de temps
après éclatait la catastrophe du 10 août, sinistre
précurseur des massacres de septembre. Pendant le procès
de Louis XVI, Ségur tenta tous les moyens de le servir dans
l'esprit des conventionnels, la plupart des girondins influents
étant ses amis. Durant la terreur il se retira avec sa famille
au village de Chatenay, près de Sceaux, où il demanda
à la culture des lettres tout à la fois des distractions
pour oublier autant que possible les malheurs des temps et des ressources
pour soutenir sa famille. Le Directoire lui offrit à diverses
reprises les moyens de se créer une fortune nouvelle. Il
refusa sans balancer. Il était pauvre, cependant, mais il
était joyeux et fier d'obtenir de ses talents des secours
qu'il n'aurait demandés à personne. Il composa des
pièces de théâtre d'un genre léger, mais
étincelantes de verve et d'esprit, qui furent réunies
à celles qu'il avait déjà composées
en Russie pour Catherine II et Imprimées sons le titre de
Théâtre de l'Ermitage ( Paris,1798). C'est aussi à
cette époque qu'il publia la Décade historique, espèce
de miroir où tous les cabinets de l'Europe se représentent
avec leurs qualités et leurs défauts, et son excellent
Tableau historique et politique de l'Europe de 1786 à 1796
( 3 vol., 1800), suivi bientôt après d'un agréable
recueil de Contes, Fables, Chansons et Vers (1801). Aussi Ségur
joignit-il bientôt à la réputation acquise par
ses services publics la célébrité des lettres
qui reprenaient alors une vie nouvelle. Le bouillonnement des partis
était presque calmé. L'Institut naissant recueillait
les illustrations littéraires, artistiques et scientifiques,
momentanément écartées du sol natal. La France
se retrouvait dans ses hommes d'élite, et le calme lui rendait
une vie nouvelle. Le 18 brumaire était consommé, et
le déserteur de l'Egypte, à force de sagesse et de
talent, de patriotisme et de gloire, ennoblissait son attentat,
le faisait admirer à ses partisans, et contraignait ses adversaires
à le lui pardonner. Le prévoyant consul ralliait autour
de lui les hommes influents par leur naissance, leur fortune ou
leur renommée; il se fortifiait de tous les débris
des partis, les rapprochait, les concentrait dans un intérêt
commun dont il se faisait le représentant. Ségur fut
appelé à faire partie du conseil d'État, dans
la section de l'intérieur. Son expérience, ses lumières
lui permirent de concourir à la rédaction de nos codes,
les plus belles, les plus durables de nos conquêtes, puisque
ces codes régissent encore les peuples affranchis de notre
domination. L'Académie Française admit aussi alors
(1803) dans ses rangs Ségur, que de nombreux succès
et la voix publique désignaient a son choix. Le consulat
se transforma en empire; et dans la cour improvisée par Napoléon,
Ségur occupa l'une des plus hautes charges, celle de grand-maitre
de cérémonies. L'empereur avait sans doute pensé
que les manières élégantes d'un grand seigneur
de la vieille cour donneraient d'utiles leçons aux apprentis
courtisans, qui, tout empreints de la glorieuse poussière
des batailles, échangeaient gauchement leur frac républicain
contre des oripeaux monarchiques. Chaque acteur se façonna
bientôt à son rôle, et le ridicule fut presque
entièrement caché par l'éclat de hautes illustrations.
Ségur alliait avec une merveilleuse facilité les devoirs
de sa charge et les occupations littéraires Cest alors qu'il
composa presque entièrement son Histoire universelle, ancienne
et moderne (44 vol.,Paris, 1817; souvent réimprimée
depuis ), sa Galerie morale et politique (1817), compilation a l'usage
de la jeunesse, le beau poème Les Quatre Ages de la Vie (
1819) et ses remarquables Mémoires, ou souvenirs et anecdotes
{1825). En 1813 Segur, déjà depuis longtemps créé
comte de l'empire, fut appelé à faire partie du sénat
conservateur : c'était là une recrue utile pour un
corps qui avait tant besoin de s'adjoindre des hommes propres à
le sauver du mépris public. A la première restauration,
Louis XVIII le comprit au nombre des membres de la pairie instituée
par la charte ; mais Ségur perdit cette dignité l'année
suivante, pour avoir accepté des fonctions publiques de l'empereur
pendant les cent jours. Elle ne lui fut rendue qu'en 1819. Dans
la chambre des pairs, on le vit toujours prêter l'appui de
son talent aux défenseurs du pays et de ses droits; et il
n'y eut point de mesure sage qu'il ne soutint, d'injustice qu'il
ne combattit. Il mourut le 27 août 1830, deux ans après
sa vénérable compagne, fille du chancelier d'Aguesseau
, qui pendant longtemps lui avait servi de secrétaire, sans
que l'âge ralentit son zèle. La douleur d'une perte
si cruelle acheva d'user une vie si bien remplie. Une douce consolation
charma du moins ses derniers jours. Il avait vu l'Académie
Française récompenser le beau succès qu'avait
obtenu l'ouvrage de Philippe de Ségur intitulé Histoire
de la Campagne de Russie, en l'appelant dans son sein, et donner
ainsi au père le fils pour collègue. Une édition
de ses Œuvres complèles a paru de 1824 à 1830, en
30 volumes in-8°.
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